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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Matthieu GONZALES – Du début à la faim

SUR LA ROUTE

Avignon, Pékin, Séoul, écosse, etc… Itinéraire gourmand.

Aussi loin que je m’en souvienne, la première route qui revient dans ma mémoire est une autoroute. Nous allions, je crois, à Salon-de-Provence. Pour moi, c’était le Nord de la France. Jusqu’à mes 20 ans, je ne pense pas être jamais allé au-dessus d’Avignon. Je me souviens d’une route immense, avec plein de voies, plus que je n’en avais jamais vu de ma vie. Je me souviens d’un pont entre les deux rives de l’autoroute et, dans ce pont, il y avait un restaurant. Pour moi, c’était le futur. Et tandis que dans l’insouciance des plus douces années je bâtissais un avenir utopique peuplé de ponts au-dessus des autoroutes avec des restaurants à l’intérieur, j’oubliais complètement de me souvenir du goût des aliments que j’avais consommés ce jour-là.

A 20 ans, je suis allé vivre à Paris. Timidement, en 2006, je me suis aventuré en Bretagne, à Saint-Malo. Puis, comme une fièvre, comme une éternité de stagnation à rattraper, ce fut Bruxelles et Lyon la même année, la Bretagne à nouveau, la Normandie et la Touraine. Tout doucement, le monde…

En septembre 2006, j’étais à Pékin, hébergé chez un expat français. En bas de son immeuble, il y avait un boui-boui qui donnait sur la route. Dedans, deux petites tables où s’asseoir, une mince cuisine et le papier peint du fond qui était en train de se décoller du mur. On y mangeait des raviolis faits minute pour 30 centimes d’euros la dizaine. C’est l’une des meilleures choses que j’ai mangée au monde. Le jour de quitter la ville, je suis même allé en acheter pour le petit déjeuner. Les raviolis n’étaient pas prêts. Le vieux a ôté ses tongs et est monté pieds nus sur le plan de travail pour récupérer quelques ingrédients en hauteur. Il est redescendu et il a préparé les raviolis… à l’endroit même où il venait de poser ses pieds. Il m’a tendu le sachet de raviolis, je lui ai tendu 30 centimes et j’ai mangé mes raviolis. C’est, aujourd’hui encore, l’une des meilleures choses que j’ai mangée de ma vie.

Septembre 2006 toujours, dans le cœur de Séoul. Nous empruntons une rue piétonne. Il fait beau, c’est peut-être le week-end, il y a beaucoup de monde dans la rue. Soudain, une odeur nauséabonde envahit mes narines. Une bonne centaine de mètres plus loin, un étal était en train de faire cuire des larves de vers à soie. Il avait embaumé toute la rue. Je me suis approché, l’odeur était encore plus forte, quasi insoutenable. J’ai hésité et puis je me suis rappelé l’odeur des tripes. Mauvais souvenirs. Finalement, j’ai tracé la route. Koh-Lanta a dû me traumatiser, je ne mangerai jamais de vers, aussi petits soient-ils, surtout s’ils puent.

Ecosse, 2000 et des poussières. Je ne retrouve pas les photos. Dessus, il y avait la date. La route s’arrête sur une plage, la plage s’arrête sur une digue et la digue s’arrête sur une colline. Je ne sais plus où exactement. Je crois me rappeler qu’il y a des heures pour passer et d’autres où la mer recouvre le chemin. Nous nous posons à l’intérieur d’un petit restaurant où l’écume vient chatouiller les vitres. Nous discutons avec les tenanciers, un couple de quinquagénaires sympathiques. Il fait la cuisine et elle le service. J’ai mangé un sandwich toasté avec un bol de soupe. C’était simple. C’était bon.

J’y retournerai en 2011. En Ecosse, pas dans ce restaurant perdu dans les tréfonds de ma mémoire. Cette fois, j’ai les photos : des enfants joyeux dans une salle de fête pour Halloween à Crianlarich, du haggis au petit déjeuner, avec Maurice à Glasgow pour notre premier «couchsurfing», une église sur le bord de la route… je recherche le nom sur Internet : Saint-Conan’s-Kirk. C’était complètement imprévu. C’était beau.

Décembre 2010. Lahinch. Irlande. Nous avons pris la route de nuit, depuis Dublin, sous la pluie battante. Arrivés au village, il était convenu que je trouve un petit hôtel tandis que mes compagnons étaient hébergés chez un ami à eux. L’ami nous voyant arriver à trois, nous propose directement de sortir une couchette de plus. Je ne me fais pas prier. Quelques jours plus tard, avec toute la famille, nous participons au repas des fêtes de fin d’année. Au milieu des morceaux de dinde, je tombe sur un petit bout caoutchouteux et un peu différent du reste du plat. Je le coupe en deux et le mange sans trop le mâcher. Nous terminons le repas et le père de famille, assis à côté de moi, demande à l’assemblée : «Qui a mangé le cœur de la dinde ?» Je réalise soudain. «Je crois que c’est moi !» Il m’empoigne par l’épaule. «Bravo ! c’est un signe de virilité.» J’ai souri, je l’ai remercié. Ce n’était pas grand-chose, mais j’étais fier.

Depuis, j’ai vu la route se transformer de la terre au bitume dans une rue paumée de Luang Namtha, je l’ai vue se changer en boue et menacer de faire tomber notre bus dans un ravin le long d’un village perdu du Laos, je l’ai vue qui serpentait dangereusement entre l’Argentine et le Chili derrière la vitre du camion qui nous avait pris en stop, je l’ai vue de sel, à Uyuni, de sable aussi parfois…

Derrière les routes, au bord des routes, et partout autour, il y a toujours eu des gens, des sympas et des moins sympas, des sérieux et des moins sérieux, des curieux et des cons, des sédentaires et des nomades, des arnaqueurs parfois et, toujours, des mains tendues pour vous aider, après la chute, à reprendre la route.

Tout au long de ces routes, il y avait des odeurs aussi, des paysages évidemment, et des saveurs inoubliables : le poivre du Sichuan, la tourbe du whisky sur les côtes d’Ecosse, le camu-camu en Amazonie, le kimchi à Séoul, les langoustes de Cabo de la Vela…

Sur la route, j’ai découvert combien j’étais gourmand. Je me suis trouvé un appétit, un appétit de l’estomac et du cœur, un appétit de vivre, de partager, de goûter et de voyager.

Matthieu Gonzales