APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Louise Charrier – Un dimanche matin de mai

Il était une fois, dans un petit village de campagne, un jeune garçon. Ce petit bonhomme croyait au Paradis. Il était persuadé que les gentilles personnes partaient dans un monde meilleur quelque part dans le ciel. Il s’imaginait alors ces gentilles personnes, leurs ailes blanches dans le dos, traversant les nuages et veillant sur ceux qui leur étaient cher.

C’était un dimanche matin de mai. Maman était dans la cuisine en train de faire griller les tartines de Lucas. Il était très pointilleux sur la cuisson de ses tartines. Elles devaient être roussies sans être trop cuites mais surtout fondantes à l’intérieur. Personne ne savait les faire mieux que Maman.

Lucas était toujours le premier levé de la fratrie. 6 heures 15 tous les matins, samedi et dimanche compris. Il était le cadet, le benjamin de trois frères inséparables. Nathan et Pierre se relayaient, lorsque Maman n’était pas là, pour s’assurer que Lucas fasse bien ses devoirs, prenne son bain, mange correctement et aille se coucher à une heure décente. Certains soirs, c’était très silencieux dans la maison. Alors, les deux grands prenaient Lucas dans leur chambre et les trois frères dormaient ensemble.

Ce dimanche, le programme de la journée était fixé. Tout le monde debout à 10 heures pour un départ de la maison à 11 heures 30. Interdiction d’être en retard. Lucas grignotait ses tartines beurrées, appréciant non seulement le goût du pain frais grillé mais aussi le son de la tartine qui se crispe sous les assauts de la mâchoire. Un vrai régal ! Maman s’affairait dans la cuisine, elle rangeait les bols et les couverts qui trainaient en veillant à laisser deux bols et deux cuillères sortis pour les deux derniers monstres qui, d’une minute à l’autre, allaient sortir de leur hibernation. Ils descendraient quatre à quatre les marches de l’escalier, suivis sûrement d’ailleurs du chien familial. Bien qu’il ait absolument interdiction de monter ces escaliers, Maman le retrouvait régulièrement dans la chambre de ses deux ainés, coincé la nuit entre les livres de classe, les maquettes d’avion et un drap que l’un des deux monstres avait consenti à lui prêter pour la nuit. Elle allait râler bien sûr, pour la forme mais au fond, cela l’attendrissait qu’il dorme avec ses enfants.

La maison était propre, les enfants étaient prêts, les derniers desserts cuisaient dans le four, les nappes étaient mises, la vaisselle du dimanche sortie, tout était en ordre. Quand Maman monta les escaliers en direction de la salle de bain, Lucas pensa qu’elle avait l’air bien fatiguée pour un dimanche. Et puis, pourquoi avait-elle tout changé dans le salon ? Il aimait bien, lui, la table centrale sur laquelle ses frères construisaient leurs maquettes. Il pouvait les regarder en silence pendant des heures. Quelques fois, ils lui laissaient coller une pièce. Lucas se sentait alors comme un grand et se voyait déjà, lui aussi, assembler, coller, peindre. Et puis ces habits ! La cravate lui tailladait le cou, ses souliers cirés étaient trop petits et Maman lui avait bien dit : « Interdiction de courir dans la boue avec ! ». Il était condamné à attendre sagement avec ses frères dans le salon et à porter une tenue qui l’étouffait.

A 11 heures 25, Maman descendit. Elle avait cette jolie robe noire d’été. Lucas trouvait sa maman très jolie dedans. Il avait toujours cette impression étrange que c’était surtout le tissu qui portait Maman. Elle prit son sac, les clefs de la voiture, ferma la porte et à 11 heures 30, la jolie petite famille était en route.

A 12 heures, ils arrivèrent à la grille. Lucas la connaissait bien cette grille. Il y avait beaucoup de monde devant le Bâtiment 25A. Lucas se pressa à la rencontre de ses amis avant que Maman ne le rappelle et lui dise de rester près d’elle. Il connaissait tout le monde et Maman lui avait bien appris à dire bonjour à chaque personne qu’il croisait. Il allait avoir la langue pâteuse à force ! Tout le monde prit place dans la chapelle. Lucas pensa qu’il était bien chanceux d’être au premier rang. Il allait sûrement pouvoir jouer avec ses copains plus tard. L’aumônier arriva et la cérémonie commença. C’est alors que Lucas les vit. Treize photographies, parfaitement alignées devant l’autel. Il s’arrêta plus longuement sur l’une d’entre elle, en noir et blanc. Deux hommes de dos semblaient poser pour une autre photo. Il avait reconnu l’un d’entre eux. Maman aussi le regardait. Alors, ce fut à son tour de prendre la parole :

« Cela fait maintenant un an que nous avons perdu nos treize hommes. Ils étaient nos maris, nos frères, nos camarades. Nos vies se sont écroulées un samedi de mai. Un appel a suffi. Puis, une visite. Trois hommes que nous n’aurions jamais voulu rencontrer, dans un kaki que nous connaissons tous trop bien. Un tremblement de terre. Nous avons été là, les uns pour les autres. Faibles entre nous, forts pour nos enfants. Il a fallu se soutenir, se porter, s’entraider. Je repense aux sorties d’école, à tour de rôle, alors que certains d’entre nous devaient courir : trouver une maison, les papiers, les courses, le travail. Je repense aussi à toutes ces petites attentions, les visites chez les uns et les autres, les barbecues, le Noël des enfants. Nous sommes restés tous solidaires dans la peine car c’est ce que l’on nous a appris. Nous comptons les uns sur les autres car c’est pour nous la seule manière de continuer à vivre. Je vais terminer par des remerciements. Merci aux camarades de nos défunts, d’avoir si bien honoré les valeurs de notre belle institution en ayant été présents à chaque étape de cette tourmente. Merci à toutes les familles, pour avoir si bien su nous soutenir dans ces moments qui nous font à tous si peur. Merci à mes frères et soeurs de douleur, pour cette solidarité dans le deuil dont nous avons tous témoigné. Un an que treize membres de notre grande famille sont partis, leurs proches en tête et leur patrie au cœur. »

Au fond, ce pourrait être l’histoire de n’importe quel petit garçon qui croit au Paradis mais cette histoire est singulière car c’est l’histoire d’une famille unie autour de valeurs ; la loyauté, le dépassement de soi, l’abnégation. C’est aussi une famille unie par l’amour, celui des siens et de la terre qui les abrite. Il y a cependant une chose que ce petit garçon qui croit au Paradis retiendra. Il n’y a rien de plus fort que la solidarité. Ce petit garçon apprendra plus tard, quand il sera bien plus grand et qu’il partira lui aussi porter les valeurs de sa famille, que cette solidarité porte un nom bien singulier : la Fraternité.