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Gwenola Macé – Repartir

Repartir

Repartir

SUR LA ROUTE
Il doit y avoir une bonne part de hasard dans ce que je m’apprête à faire. À ceux qui voient une fuite dans chaque voyage, j’oppose mon besoin de savoir que je reviendrais….

Repartir.
Il doit y avoir une bonne part de hasard dans ce que je m’apprête à faire. À ceux qui voient une fuite dans chaque voyage, j’oppose mon besoin de savoir que je reviendrais….

l doit y avoir une bonne part de hasard dans ce que je m’apprête à faire. À ceux qui voient une fuite dans chaque voyage, j’oppose mon besoin de savoir que je reviendrais. Je ne cherche pas à m’échapper, mais le changement radical qu’implique un grand départ m’attire… j’aime l’idée de tout mettre sur pause ici pour aller voir ailleurs si je m’y sens bien. Même si ça fait peur. Même si ça demande beaucoup d’efforts. Repousser mes limites me fait prendre conscience de qui je suis. Un an plus tôt, je n’aurais jamais pensé retourner en Laponie pour y passer l’hiver… pourtant j’ai tout quitté, dit au revoir aux amis et adieu au quotidien, mon sac est rempli et je ne suis déjà plus à la maison.

Déracinée.

L’envie de faire demi-tour me brûle les pieds ; qu’est ce qui m’a pris de partir ?

Au bout d’une semaine la douleur se tait : une amie m’a rejoint au dessus du cercle polaire et j’ai retrouvé, à travers elle, un lien avec ma vie d’avant. On s’installe ensemble pour un volontariat au cœur de l’hiver. On s’adapte à la vie du nord, la nuit polaire arrive et le thermomètre oscille autour de -25°C. On saisit des occasions, se laissant entraîner sur un lac gelé, dans un traîneau tiré par des huskys qui s’élancent sous les étoiles. Le froid engourdit nos joues, les aurores boréales dansent, nos cheveux givrent et nos yeux pétillent. On passe du temps avec des gens d’ici, des liens se tissent, une nouvelle vie se construit.

Et puis…

Le temps a filé. Sept semaines sont passées et, déjà, le moment du départ est là. J’ai détourné les yeux jusqu’au bout pour ne pas le voir arriver, maintenant ils sont noyés. Difficile de savoir si je suis triste d’être heureuse, ou heureuse d’être triste.

Il faut

à nouveau

tout quitter.

Déboussolée.

Le bonheur du retour est insidieux, après l’émotion des retrouvailles la réalité cogne : je reconnais l’entourage sans m’y retrouver moi-même. Mon univers a disparu, j’ai tout bouleversé en le quittant deux mois plus tôt et, surtout, l’expérience vécue au nord a changé mon regard sur le monde. L’absence de routine effraie, beaucoup la disent insécuritaire, mais aujourd’hui j’y vois ma liberté. Rien ni personne ne peut diriger ma vie à ma place ; pas même l’argent, qui n’a jamais eu si peu de valeur à mes yeux. Là-haut l’échange et le partage étaient naturels : j’ai donné sans que ça me coûte, et j’ai reçu tellement ! On n’avait pas froid dans la nuit polaire, constamment entourées de chaleur humaine. Ici, parfois, le monde semble glacial.

Pendant un mois, j’étire le temps.

Les doutes et les réflexions abondent.

Où est ma place, si je suis devenue nomade ?

Repartir est une évidence.

Poussée par l’envie de vérifier ce dont je suis capable, je m’en vais les yeux fermés en oubliant que je m’arrache encore le cœur. Un besoin d’aventures plus spirituel que physique m’amène en Norvège, sur une île presque déserte où ne vivent qu’une habitante et des volontaires de passage. L’immersion dans un nouveau quotidien me déstabilise, je ne trouve aucun repère auquel m’accrocher. Mais la quiétude me surprend ; ce calme… Je sors de la maison, ferme la porte, instantanément le silence m’envahit. C’est apaisant, ici.

Sauf que… Alors que je commençais tout juste à m’adapter à cette nouvelle vie, mes pieds s’emmêlent dans des escaliers et je chute. Mon œil devient violet, mon pouce gonfle… Comment ais-je pu être si maladroite ? Où trouver un médecin, depuis une île si isolée ? Et puis qu’est-ce que je fais ici, pourquoi je ne suis pas avec les gens que j’aime ?… Cinq jours passent, les réflexions s’enchaînent, la colère devient résignation et je finis par parcourir 350km pour réparer mon nez cassé. J’en profite pour remarquer à quel point j’ai grandi et me suis enrichie pendant tous mes voyages.

Sereine.

À mon retour sur l’île, c’est comme si je rentrais à la maison. Il y a de l’harmonie dans les jours qui passent, du partage, de la simplicité, une plénitude au présent. Hors du temps. Je me sens à ma place, et ça a si peu à voir avec la géographie… La vie est belle grâce à ceux qui la composent, ces six personnes dont je ne savais rien un mois plus tôt et qui forment aujourd’hui une deuxième famille.

Et puis

tout

s’accélère.

Le quotidien s’émiette.

J’ai oublié de compter les jours, la fin arrive, la maison se vide et ça me bouleverse. Un bout de vie s’achève. Encore. Les départs s’enchaînent mais je ne veux pas rentrer, pas tout de suite, rien ne m’y oblige et je me sens plus libre que jamais. Un des volontaires de l’île m’a proposé de partager un bout de voyage, alors on part à deux, le pouce levé. La route défile, chaque soir des inconnus nous ouvrent leur porte, les rencontres se multiplient, le hasard guide nos pas et l’imprévu nous fait apprécier chaque jour comme un cadeau. Mes rêves de grand nord nous portent jusqu’au village le plus septentrional du monde, au bord de l’océan arctique… Le simple fait d’être ici semble irréel. Cinq jours filent, il faut partir. Mais comment continuer ? Tout parait fade maintenant…

Essoufflée.

Besoin de ralentir.

On revient en arrière, juste un peu, pour arrêter la course chez un de ceux qui nous a hébergés une semaine plus tôt : c’est comme si on retrouvait un ami. Ici, le temps peut rester suspendu. La sérénité revient me surprendre, et je souris du simple fait d’exister. Ici, maintenant, avec eux, dans un équilibre fragile. Depuis un mois je dors peu, aujourd’hui la raison me saute aux yeux : l’impatience de vivre. Je suis consciente que cette plénitude n’est pas éternelle : ce n’est qu’une parenthèse, je peux toujours l’étirer mais il faudra la refermer pour continuer l’histoire. Alors j’apprends à apprécier chaque jour sans m’inquiéter du lendemain. Les itinéraires possibles se multiplient, les routes s’entremêlent, des nœuds se forment et orientent la direction. Le temps file, et tout se met en place naturellement.

Il suffit d’attendre, finalement.

Il suffit de lancer les dés, voir où ils tombent…

Et repartir.

Gwenola Macé