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Aurélien Ficot – Enfermé au paradis

Enfermé au paradis (Picasa)

Enfermé au paradis (Picasa)

SUR LA ROUTE
La journée est déjà bien avancée, comme Robinson Crusoé je m’apprête à affronter mon île pour trouver de quoi manger.

A peine la porte passée, une bouffée de chaleur me rappelle que je vis sous les tropiques, je reste surpris mois après mois. Il suffit de quelques secondes pour que je sois déjà trempé de sueur. Le soleil me fixe en refusant de m’aider. Il invoque le taux d’humidité. Je traverse un labyrinthe de ruelles sans nom avant de me retrouver sur l’avenue principale : la « Majeede Magu ». Coupant la ville en deux, elle concentre boutiques et badauds sans être assez large pour que deux automobiles ne se croisent. Vivre sur une île d’à peine deux kilomètres de long, entièrement recouverte par des bâtiments et grouillant de leurs habitants, c’est un peu comme vivre dans un aquarium d’air surpeuplé émergé au milieu de l’océan. Je croise des femmes voilées qui ne font que passer, des hommes au regard fermé qui prennent leur temps, des maisons multicolores qui attendent de nouveaux étages et j’arrive en bord de mer sans m’être fait trop bousculé, question d’habitude.

Malé, capitale de la république des Maldives. Crédit: nattu/ Flickr

Malé, capitale de la république des Maldives. Crédit: nattu/ Flickr

Voilà le seul endroit de la ville-île où l’on peut se baigner, le long d’une plage artificielle. Un paradoxe pour un pays qui vante aux touristes son sable immaculé. Sur ces quelques mètres linéaires non bétonnés, les enfants viennent batifoler dans une eau turquoise magnifique, en faisant abstraction des porte-conteneurs qui naviguent au loin. Leurs mères se baignent parfois, en gardant leur niqab. Je retire un instant mes nu-pieds pour sentir le chaud sous mes pieds. Un vent marin rafraichit un peu l’atmosphère, je me mets à l’ombre d’un cocotier qui voudrait me faire croire que je suis au paradis. Une farandole de petits drapeaux jaunes volent encore au vent, un des derniers restes de la campagne électorale. Les camionnettes promenaient alors de gigantesques enceintes dans toute la ville dans l’espoir de convaincre les indécis. Derrière elle, le portrait d’un candidat islamiste conservateur. Il ne sourit pas malgré leur dernière victoire électorale. Je renfile ce qui me sert de chaussures et me remets en route. J’opte pour mon itinéraire en bord de mer.

Je slalome entre les scooters dont je ne comprends toujours pas l’utilité quand on peut faire le tour de la ville en une heure et je rejoins le port. Le bateau est le seul moyen de relier les îles de ce pays d’eau saupoudrée de terre. Je continue de longer le bord de ma prison, tournant sans cesse en rond sans pouvoir me glisser entre les vagues et les coraux. Les touristes rejoignent les embarcations qui les mèneront sur leurs île-hôtels où ils pourront, eux, siroter des cocktails alcoolisés. Certains profitent des quelques minutes dont ils disposent pour suivre un guide dans les rues de la capitale, à la recherche d’un peu d’authenticité ou de culture. L’odeur des fleurs de frangipanier vient chatouiller mes narines et en chasser celle des gaz de pot d’échappement, je respire. Je continue mon chemin entre les trottoirs cabossés, quand ils existent, et la route encombrée, prenant garde aux chantiers mal indiqués qui ponctuent cette promenade dont je connais tous les dangers.

J’arrive sur la place principale de la ville, et du pays, à peine plus grande qu’un court de tennis. En face du bâtiment gouvernemental se dresse, blanc et lisse, le quartier général de l’armée. Cette proximité n’a pas empêché le coup d’état de 2012 mais me procure un peu d’ombre. Me tirant de mes pensées, l’appel à la prière retentit depuis la grande mosquée du vendredi, celle qui est attenante au Ministère des Affaires Islamiques. Les magasins ferment à nouveau pour quelques dizaines de minutes, ils le referont en milieu d’après-midi et encore ce soir. Je mets mon estomac de côté et je vais m’asseoir au bord du quai présidentiel. Je balance mes pieds au-dessus de l’eau et je jette un regard vers le bas. Une myriade de poissons chamarrés s’avance à l’aplomb du béton : bleus, jaunes ou rouges fluorescents, ils jouent avec les reflets du soleil. Cela m’amuse un moment.

Je reprends ma marche apéritive après ces quelques minutes de pause. Je passe en retenant ma respiration devant le marché au poisson et j’arrive enfin au marché des fruits et légumes. Des immigrés bangladais vendent là des produits du monde entier. Rien ne pousse sur les langues de sable du pays. On importe tout ce qui se consomme. Un joyeux crépitement de friture me parvient du bout d’une allée, me voilà enfin arrivé. J’indique sans un mot à travers une vitrine une sélection de hedhikaas qui viendront me sustenter. Petites bouchées aux légumes ou au thon, il y en a de toutes les formes et pour tous les gouts. Après un choix cornélien, j’en croque un premier, ce qui à défaut d’être un risque est toujours une surprise. Le croustillant de la croute fait place à la douceur humide des copeaux de noix de coco, vite chassée par le piment qui taquine le poisson émietté. Je souris. Le soleil frappe ma nuque mais je m’en fiche. Mes doigts dégoulinent de gras et cela me plait. Je m’évade de Malé, je m’évade des Maldives.

Aurélien Ficot