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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Thibault GUICHON – Bedford, Bedfordshire, England

ThibaultGuichon

La ville est rouge ici. Une déclinaison impressionnante de cette couleur. Il y a d’abord le vif, celui qui est neuf et riche. Il s’affiche aux façades des nouvelles demeures bourgeoise non loin de Bedford Park. Il a dans sa raideur une élégance plaisante qui tranche avec les couleurs toujours plus grises de nos villes occidentales. Puis le temps passe et les riches bâtiments d’autrefois le voient s’assombrir par les pluies, les pollutions. Il devient charmant dans sa vieillesse, quitte la fougue de la jeunesse et s’installe définitivement, sur de lui. Il est plus sombre, passe partout. Parfois lorsque le bâtiment est suffisamment important à la mémoire collective, on tente de le rénover, de le rajeunir. Mais au plus profond de la couleur la vieillesse est toujours là, ce n’est que l’illusion d’une cure de jouvence qui ne change rien.

Il y a aussi ces rouges bâtards, ceux que l’on a plus de difficultés à nommer. Ils sont des rouges ocres, bruns, pastels… Toute un panel d’adjectifs qui ne peuvent suffire. Surtout ils ont en commun un manque crucial de noblesse. Ils s’affichent dans une vulgarité plaintive au coin de chaque rue. Puisque l’ère du temps se caractérise par une certaine tristesse, on ne trouve rien de mieux que d’en adopter ses couleurs. Les lotissements sont rouges ocres, les nouveaux immeubles ont des pans de leur mur rouge pâle. Rien ne s’accorde, tout jure, et le mauvais goût est légion.
Mais il y a ces surprises, ces rouges qui ont cette petite chose en plus, ce trait particulier ; et si rien ne les destinait au souvenir, ils entrent dans la petite légende, celle qui est propre à chaque personne. Ils entrent dans ma légende. Ce rouge de mes chimères je le nomme…

…la brique, la brique, la brique…

La brique a une âme rougeoyante. Elle est une faiseuse de rêves et un tremplin bienvenu à un esprit imaginatif. Déjà dans ma ville natale le moindre espace de murs en brique me transportait. Aujourd’hui que je vis en Angleterre, je suis bien souvent transporté. J’observe et je voyage. Mes souvenirs de lecture ressurgissent. Le premier, le grand, celui qui à chaque fois se cache dans mes murs de briques, c’est Charles Dickens, ses personnages…

Je considère souvent dans la brique l’expression de la pauvreté, de la misère, du prolétariat. Je sais qu’il n’en est absolument rien, peut-être est-ce une erreur attachée à un souvenir, dont je n’arrive à me rappeler, de mon enfance. Surtout, lors de mon arrivée en Angleterre, l’ombre d’un personnage apparaissait toujours entre les briques, Oliver Twist, l’incarnation romanesque d’une misère victorienne. Mais la brique n’est pas l’apanage de l’indigent. Elle s’exprime seulement de différentes façons qu’elle soit sur une pavillon ouvrier ou sur château du Kent. Il y a de l’économie là où l’on va l’accompagner de pierres blanches pour faire ressortir un rouge raffiné, là où l’on joue avec les nuances de la couleur pour offrir une vraie mosaïque.

La brique, la brique, la brique…

Je dois cependant admettre que loin de l’époque d’Oliver Twist il reste dans cette Angleterre où je vis un peu de cette misère victorienne. Les gueules noires ont disparu et les fumées des hauts fourneaux ne sont plus. Pourtant l’on voit dans l’errance de certaine personne, dans leur mine affligée, épuisée, la dureté d’une vie qu’on ne croit ne plus connaître et que l’on devrait en théorie ne plus voir dans nos sociétés occidentales. Des gens trop souvent édentées ; les visages ridés par l’alcool, dernier refuge, les joues tombantes, la face entièrement froissée, le teint jaune.

Venant alors d’arriver, j’avais été surpris par le jeune âge des mères. Je m’interrogeais et l’on m’a dit ; avoir un enfant jeune est le meilleur moyen de pouvoir avoir des allocations. On n’aide quasiment plus les gens qui ont du mal à survivre. On fait des « bébés caf » aussi…

Ce n’est pas un pays du tiers monde, loin de là, mais il s’exprime dans certains quartiers, chez certaines personnes une telle solitude de l’âme, une telle détresse du corps et de l’esprit que je ne peux m’empêcher de voir dans certaines des briques de la ville une misère venant directement d’un roman de Charles Dickens.

La brique, la brique, la brique…

Ce n’est pas un pays du tiers monde, loin de là, loin de là… Il y a encore ce confort, cette jouissance, ces belles et luxueuses voitures. Je veux parler de ces petits pavillons proprets où le lierre s’accroche joliment aux façades, où les arbustes sont bien taillés, épousent parfois dans une pure tradition anglaise les formes d’une licorne, d’un visage. Il y a dans cette brique l’expression d’un rêve, celui qui glisse petit à petit, celui qui nous terrifie si jamais il s’en allait ; Le Welfare State, l’état providence, la grande époque de l’après guerre. Il y a encore beaucoup de ces quartiers à Bedford, ils nous parlent eux aussi, mais sont plus lassants que les autres, moins de relief, trop vus, trop communs. La brique s’efface, laisse place à ces rouges bâtards et tristes ; on s’en va chercher ailleurs l’imagination. Le confort est gentil, et la gentillesse est ennuyeuse. Plus on vit ici et plus on veut la brique qui a vécu, on veut y voir la rudesse du temps, ses douleurs, ses grandeurs…

La brique, la brique, la brique…

Aussi il y a cette belle église. Elle est en brique, elle est vieille, un peu ruinée par le temps et l’histoire.C’est un plaisir infime que de s’y arrêter. Sur un banc, juste en face, l’on peut passer des heures à la contempler. Alors ce n’est pas seulement les personnages de Charles Dickens qui apparaissent, ce sont aussi ceux des sœurs Brontë, ceux des Austen, les monstres de Shelley, de Stoker… Il y alors une foule de sentiments qui se pressent dans le ciment. Et dans une frénésie de l’imagination sans nul pareil, on célèbre ensemble le temps passé, présent, futur de …

…la brique, la brique, la brique…