APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Stephanie VAN DEN HENDE – NEW YORK

StephanieVanDenHende

Nous étions de ces enfants qui avalent goulûment et sans mâcher les VHS des « Villes du monde » de la collection Hachette dans les années 90. Des enfants nés dans des patelins perdus qui regardaient le monde à travers l’écran bombé et le tube cathodique de la vieille Philips familiale.

Chaque premier mercredi du mois, je guettais l’arrivée de ma mère par l’œil-de-bœuf de la lingerie en espérant la voir débarquer sur le pas de la porte avec au creux du bras un petit paquet marron contenant mon ultime précieux : un nouveau numéro des « Plus Belles Villes du Monde ». J’avais déjà regardé en boucle celui de Rome, d’Amsterdam, Madrid, de Paris et le plus fascinant de tous, du Caire. Ah Le Caire, ville enchanteresse où l’on pouvait faire du chameau toute la journée, et caresser de gros chats géants au nez cassé. J’avais bien évidemment choisi de devenir archéologue et le Caire (qui n’appartenait alors dans mon esprit à aucun pays spécifique, si ce n’est un flou « Egypété ») regorgeait de trésors qui n’attendaient plus que moi pour se révéler au monde. Un après-midi, cependant, elle poussa la porte avec le numéro de novembre : New York. J’avais entendu, vu, lu du New York et je fronçais le nez à la découverte de cette ville, en terrain connu, qui devait faire mon ravissement jusqu’en décembre.

Notre magnétoscope était gris et d’énormes boutons de couleur à la Kandinsky, représentant leur fonction, étaient alignés sur la tranche, un drôle de perroquet plat dans lequel j’insérais tous mes trésors : Retour vers le futur II, la Petite Sirène et ma VHS du Caire donc. En ce mois de novembre 1991, c’est New York qui apparue dans le salon. Ma sœur et moi, les jambes croisées sur la moquette beige rase, contemplions pour la première fois, l’Empire State Building dans un autre cadre que celui de « An Affair To Remember ».

C’était le New-York des années folles, la fin de la Rotting Apple, où le Golden Boy était roi, le building toujours plus haut et où Manhattan s’apprêtait et accueillait des soirées démentes dignes des années Scott Fitzgerald, interdites aux marginaux poussés par Giuliani dans les autres boroughs. Assise au fond d’un bus rouge virtuel,une casquette NYC vissait sur le crâne, je visitais New York sans transition passant de Lower East Side à Harlem en coupant par Madison Avenue pour aller à Colombus, et Greenwich semblait alors si peu éloigné de Coney Island. Une vidéo commentée par un homme dont la voix chaude et suave sonna le glas de mon intérêt. Et puis, il est arrivé, entre deux scènes présentant des joueurs d’échecs de Chelsea et des pizzaïolos en grand-angle de Little Italy. Le summum de ce que je ne trouverais jamais ici, au dessus même de Néfertiti et de son Akhenaton, des sphinx et des vessels : l’homme aux rollers de la City. Il avait déposé à coté d’un taureau de bronze une multitude de petits cônes de toutes les couleurs. Il traversa ensuite cet arc en ciel de plastique, en zigzaguant avec ses patins à roulettes fluos sur une musique de Run- DMC. J’étais amoureuse.

Ainsi quand nous avons décidé de partir à New York, moi c’est à ce grand black et son taureau que j’ai repensé.

Un jour j’irais à New York avec toi

Les couples font des tas de projets qui restent en l’air, et tous se jurent d’aller à New York. Ça arrive un lundi soir, pénards dans le canapé, on regarde Everybody says i love you de Woddy Allen sur Arte, votre mec fantasme sur Nathalie Portman et vous, vous cachez les sous-titre avec votre main pour voir si vous comprenez toujours l’anglais et, l’un de vous lance en fixant Drew Barrymore « Un jour, on ira à New York ensemble ? » « Oh oui, nia nia Building et le blah blah Square, nia nia des Ramones et le Central Park et Gossip Girl ».

S’en suivent plein de bêtises, mais après tout, vous ne connaissez New York qu’à travers les statuts et les photos loupées de vos amis sur Facebook qui posent Starbucks à la main devant le magasin M&M’s ou à Time Square. Ainsi, choisir New York comme première escale pour notre tour du Monde a été une évidence étant donné que nous n’en avions jamais parlé et que nous ne nous étions jamais rien promis. Maman dit toujours « C’est celui qui en parle le plus qui en fait le moins ». Maman dit aussi « Profites tant que tu es jeune ». Maman a souvent raison.

Après un repas au Campanile de Roissy et une nuit d’amour et d’eau fraiche et des « Vrouououou » d’avion à l’Etap Hotel, nous avons embraqué pour New York. Un Lexomile entier dans le nez, j’ai regardé 24 minutes d’X-men et je me suis mise doucement à baver sur l’épaule de mon compagnon de voyage qui guettait les aller-retours des hôtesses les bras remplis de plateaux-repas, de cannette de Coca light et de magazines de vente par correspondance. Trois repas en 8heures de vol, c’était déjà l’Amérique.

I happen to love New York

Pour nous New York, c’était Le Dakota Hotel, Central Park, La Trilogie New Yorkaise de Paul Auster, le film Annie, Elle et lui, Seinfeld, Friends et Glee (…)

Arrivés à midi à Newark, c’est à dire deux heures après notre départ, une pluie battante nous a accueillis et accompagnés pendant trois jours. L’équation « décalage horaire – pluie – acariâtre hôte » ne donnait pas le résultat escompté. Comme je t’ai détestée New- York de m’avoir tant trompée.

Soho nous a trempé jusqu’au os, je me suis faite disputer par une serveuse ronchon, on avait mal au ventre, mal aux pieds et je rêvais de retrouver mon Café Crème du Marais. Les taxis passent à fond les ballons et t’éclaboussent, des dinguos crient à la fin du monde, des hommes sandwichs te harcèlent de prospectus et nulle part un black en roller fluo ne te sourit. Nos chaussures étaient mouillées et chaque matin, c’est le bruit des rues qui allait nous éveiller. En d’autres termes, nous n’étions pas adaptés à cette véritable jungle urbaine. Deux jours où New York n’a été synonyme que de Malls, de Market Places et de Center-chose où les gens fourmillaient. Le haut des immeubles disparaissaient dans une brume à la Jurassic Park et faisait tomber sur nous les larmes de notre désespoir.

Et puis le soleil est apparu, un jour, à Chelsea. On a mangé « two slices of peperoni pizza », on a acheté du cheese cake et on s’est installé au Madison Square Garden. Le soleil chauffait et on a enlevé nos K-way. Ensuite, on a vu Patti Smith en concert au Webster Hall, on s’est bourré de nourritures infectes de hipsters barbus et aux cheveux décolorés au marché de Williamsburg, on a grimacé devant les crapauds et les tortues vivantes au marché de Chinatown, on a bu des bières sur Smith Street, mangé des burgers au Corner Bistrot, des hotdogs chez Nathan’s sur la magnifique et dépressive Coney Island, on a bu des litres de Diet Coke, écumé les toilettes de tous les Starbucks de la ville, dormi à Central Park, mangé un hotdog à Wall Street, participé à notre façon aux commémorations de 9/11, on regardé Doctor’s sur ABC, les Simpsons, Family Guy et Hell’s Kitchen, on a marché le long des rayons de Barner&Noble, triché à l’Empire State Building et on a finalement compris le métro new-yorkais. Hier, déjà, on se plaignait des touristes

Oublier le carton pâte.

Nous avons tellement vu et imaginé New York qu’elle ne nous surprend plus. Nous connaissons ses buildings par cœur, ses rues, son rythme. Nous ne lui laissons pas le droit à l’erreur. Nous nous étions fait une fausse image de New York, celle de années 20 où les cabarets étaient bondés, où les galeries d’art proposaient un nouvel art, celle aussi de Woody Allen toujours enneigée. En rentrant au Moma, on a vu ce New-York qui vieillissait et qui ne tenait pas ses promesses, on a été déçu. On était des Américains à la recherche d’Hemingway sur la place de la Contrescarpe, des peintres à Montmartre et du Castor au Flore.

New York n’est pas jolie. Il faut creuser pour l’adorer. Aimer New-York c’est comme aimer une fille intelligente mais laide. Il faut du temps et il faut toujours creuser pour reconnaître l’Amour véritable.