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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Hélène CAUSSE – Beautiful Burnout

HeleneCausse

L’autre jour j’ai atterri dans une tornade de poussière à Salt Lake City. C’était juste pour 2 h, une de ces correspondances où l’on est toujours quelque part sans y être encore vraiment.

Un tunnel impersonnel d’attente derrière de grandes baies vitrées d’où l’on regarde des reflets métalliques glisser furtivement sur le fuselage et le museau parfaitement symétriques des avions de ligne qui effectuent leur lent ballet bien rodé, perchés sur leurs minuscules petites roues comme des pigeons aux pattes liées. Il y a aussi le rassurant rituel Starbucks – Hudson News pour acheter Rolling Stones, des chocolats au beurre de cacahuète et un ice-cold soda bourré d’aspartame au goût médicamenteux d’autant plus addictif que suspect, avant de reprendre un autre couloir de moquette grise vers une autre porte pressurisée et un autre siège de skaï bleu marine dont les coutures s’effilochent et qui sent à la fois le renfermé et le café au goût métallique servi dans les tasses en polystyrène. Encore un décollage, encore le topo catastrophe débité en souriant par les hôtesses les plus canons de la compagnie, choisies pour la vidéo où tout le monde est beau et bien peigné et le pilote est une femme blonde des plus avenantes, et où savoir exactement quand le steward fait un clin d’œil à la camera après avoir dégainé son sifflet en plastique rouge ne m’amuse plus des masses.

Un arrêt comme celui-là ne compte pas. Sauf quand juste avant d’atterrir on survole the Great Salt Lake qui donne son nom à la ville.

Peu de paysages aériens me font sortir de ma torpeur : Los Angeles, gigantesque carte mère où les autoroutes font comme ces nappes IDE colorées et bien alignées, la cicatrice à vif dans la terre rouge du Grand Canyon à côté de Las Vegas, la tête ronde et toujours enneigée du parfaitement conique Mount St Helens a Portland, la pointe hérissée de tours de New York City avec la Statue de la Liberté grande comme une figurine Lego, la couche de nuages délicatement posée comme un couvercle de paraffine sur l’Océan Pacifique a Lima, les buildings de Honolulu alanguis sur la plage, l’atoll magique de Bora Bora . Et le lac de sel de Salt Lake City.

J’ai observé, le nez collé au hublot qui chauffait lentement au fur et a mesure que l’avion descendait, un des rares paysages d’où la plante est absolument absente. Pas un atome de chlorophylle pour rappeler qu’on est bien sur terre. Des monts pelés couleur rouille et des croûtes de sel bleu pétrole aux formes anguleuses, comme la pupille impassible d’un vieil iguane ridé. Pas de route ou d’habitation dans cet espace hostile vidé par les vents de sable.

Partout, des petites touffes brulées soigneusement réparties par un maniaque de l’ordre, comme ces trucs moussus marrons qui tiennent avec un point de colle spéciale sur les maquettes ferroviaires, dans des vallées parfaitement rectilignes ravinées par un râteau géant.

Et puis apparait Salt Lake City, sorte de Death Star couleur sienne, parfaite, géométrique et décrépie comme un souvenir de 2153, ou une image jaunie d’un bike-movie dans lequel Peter Fonda bien dans son froc dans un décor de terre sèche et désolée, des goggles noires sur le nez et une cigarette fine de majijuana aux lèvres deciderait de pratiquer la nécrophilie sur l’autel d’une chapelle abandonnée.

Dans le film à bien moins de $100 000 qui commence a se dérouler dans ma tête avec Beautiful Burnout d’Underworld en fond, il n’y a à Salt Lake City que de grands drapeaux américains effilochés qui claquent au dessus de stations service abandonnées.

Dans Downtown vidé par l’exode vespéral, la poussière assourdit des bruits qui n’existent déjà plus et s’agglutine – comme attirée par quelque force magnétique inconnue – en un uniforme voile crasseux sur les buildings qui luisent doucement, lames usées dans la lumière oblique.

Là-bas, chaque bloc est à précisément 1/8 de mile du suivant. Une régularité oppressante et rigide comme le quotidien et le sobre col boutonné jusqu’en haut d’un mormon, mais qui se relâche et se desserre peu a peu en s’éloignant du centre, vers la civilisation du stupre et du luxe, avec l’élasticité d’un Vasarely qui disparaîtrait dans des contreforts montagneux.

En périphérie, le quadrillage encore parfait des rues blanchies à la chaux est désert, à croire que l’apocalypse a eu lieu il y a déjà un paquet de siècles. Rien ne vient déranger les perspectives – elles ont largement le temps d’aller s’abîmer dans un même point d’horizon qui vibre devant les déchirures noirâtres des sommets au loin.

L’inexorable poussière fait des petites volutes au ras du sol, vous savez, comme dans les western, pour annoncer qu’un type qu’on n’a pas encore vu va mal finir, c’est obligé.

Devant le package store aux barreaux déglingués, la peinture des places de parking se détache sous le soleil abrasif et ca fait des cendres blanches qui s’envolent au hasard.

Une pute borgne en contre-jour mâchonne un mégot. Elle a des jambes immenses, solides, et porte des sangles en denim délavé autour de ses bras et de ses seins octogonaux, sorte de Lara Croft première version, mais sale et bourrée. L’autre oeil, vif comme celui d’un rapace aux aguets et violemment maquillé avec du liner de supermarche, recompte des billets déchirés. Un couteau passablement rouillé se balance à une lanière fermement accrochée autour de sa cuisse. Elle a la force masculine de Tank Girl, le charisme bourrin de Juliette Lewis et le langage d’un truck driver de l’Arizona. Elle a une gamine, quelque part au delà du désert mais ça lui est complètement égal. L’enfant ne sait pas qu’elle avait une autre mère, avant, une version féminine de Mad Max amoureuse des espaces sauvages qui avait décidé d’appeler sa fille la couleur d’un film de Wim Wenders, Arizona Blue.

Elle vit derrière le rideau en fer d’un des box de storage loués à l’année, qu’elle squatte et où il fait 50 degrés Celsius à partir de mars.

Sun goes down, température drops

Beautiful burnout, beautiful burnout

Bird

Chrome(*)

La nuit, des mecs passent en trombe devant le magasin, sans un mot, sans musique. Ils ont activé la fermeture centralisée depuis Downtown, leur regard suit furtivement le bas-côté, à la recherche de quelques scènes violentes, et de filles comme elle dormant a coté d’une pompe abandonnée.

(*) Paroles de Beautiful Burnout d’Underworld