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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Bénédicte JEANDEAUD – Floride : C’est l’amour à la plage

Jeandeaud

Toute l’année, c’est une retraite dorée américaine qui peuple la ville. Des mamies comme « Les Craquantes », teint usé et brûlé, des breloques clinquantes pleins les bras et des caniches nains supportant les mêmes casquettes que leurs maîtresses, les unes comme les autres arborant néanmoins un port fier et altier. Je vois ces couples sillonner la plage infinie, à pas de fourmis et souvent hésitants, comme ralentis par le sable et les années. Des palmiers sont plantés de manière régulière et ordonnée sur le bord de mer. Les rues sont propres. Le shérif discute accoudé à sa voiture. Les armes sont en vente libre chez les bijoutiers. Mais la ville est tranquille.

Sauf au printemps.

Au printemps, la température monte d’un cran. Au pays du puritanisme roi, à cette période d’exode massif de la jeunesse américaine, la ville se transforme en un cocktail à base d’hormones en effusion concentrées dans un shaker dans lequel on ajouterait une bonne dose de DHEA.

C’est le Spring Break de Fort Lauderdale. Le climat devient lourd et lascif. Le rythme oscille, évolue et la ville devient alors une immense maison de retraite accueillant un groupe d’étudiants en médecine anatomique, en pleine séance de travaux pratiques.

Adieu l’éloge de la pudeur, au regard de ceux qui m’entourent, mon tailleur paraît bien désuet. Pas une hanche, pas une épaule, ni une cheville ne doit réchapper aux brûlants UV. Sur la promenade, déambulent à mes côtés les courbes rebondies des demoiselles à peine majeures et celles des retraitées dont les fessiers affaissés ressemblent plutôt à de vieux soufflés ratés. Dorés, mais flétris.

Je m’installe sur un tabouret au bar du Oceans qui borde la plage de Deerfield Beach. D’ici, mon poste d’observation est idéal, entre les tables alignées face à la mer remplies de pensionnés et la plage envahie par des dizaines d’étudiants au mètre carré.

Des générations les séparent mais les deux clans usent du même langage. De mon promontoire, légèrement surélevée, j’entends fuser les mêmes exclamations et les mêmes mots. « Gorgeous » est la partie de beach-volley, « Gorgeous » aussi le kiki du pauvre chien qui sert d’apparat à la mamie.

Je vois les mêmes couleurs criardes parer les corps un peu rabougris comme ceux qui viennent d’éclore. J’observe les mêmes pina colada, les mêmes margharita sirotées au travers des dentiers ou par des bouches pulpeuses et fournies.

Et je m’amuse de voir les yeux des dames d’un certain âge s’animer à la vue des corps athlétiques et reluisants des apollons qui descendent sur la plage. Les effluves laissés dans leur sillage ont alors sur ces femmes l’effet des boissons les plus alcoolisées. À voix basses, je les entends toutes les appeler « baby ». Comme si cet élan jouvenceau temporaire redonnait goût à ces vies un peu fanées.

Devant moi, des « limo » s’arrêtent les unes après les autres et libèrent des grappes entières de spring breakers. Strass sur les maillots, visages grimés, la tenue est complétée d’inutiles bijoux de pacotilles accrochés au nombril des filles. Pour les garçons, monoï comme onguent, shorts hawaïens et claquettes aux pieds.

Sur le sable, les corps se frôlent et s’électrisent. Je sens les parties de volley devenir le prétexte à de véritables parades amoureuses. Chacun se contorsionne et s’observe, l’œil aux aguets et les sens en éveil, les peaux réchauffées. Pour ces matches là, les équipes sont mixtes et se forment au gré des rencontres de la veille. Le jeu devient, juste sous mes yeux, la scène d’un duel entre deux prétendants où la victoire n’est plus un trophée mais plutôt une charmante demoiselle aux gestes malhabiles, mais toute excusée. Et facilement conquise.

Un des ballons s’échappe vers moi, je m’apprête à relancer. Mais soudain, je perçois les corps alignés fatigués qui, d’un coup, se redressent et les regards s’illuminer. Les lunettes sont rehaussées d’un geste à peine dissimulé et les torses se bombent chez ces messieurs. Les dames font éclater à nouveau leurs rires d’antan et passent langoureusement leurs mains dans leurs cheveux peroxydés. Je laisse Bob, gourmette au poignet et ancre délavée sur l’avant-bras, effectuer la relance. Il lâche un rire goulu et satisfait et me remercie d’un clin d’œil.

La frontière entre la plage et les restaurants est ténue. D’un côté l’avant, de l’autre, l’après. Au centre, le bar, son lot de quadra et moi, plus vraiment majeure, pas encore retraitée.

Bob est au bar lui aussi, il vient du Michigan. Il est là pour le travail mais ne vient ici que pendant Spring Break, pour le « show » me dit-il.

J’aurais plutôt placé Bob du côté des retraités. Il s’esclaffe d’un rire gras, rentre son ventre à l’approche des bikinis et cache son bridge par des petits coups de langues méthodiques et répétés qui rendent son accent encore plus difficile à cerner.

Plus la conversation avance, plus je comprends que Bob est un habitué. Il ne vient pas pour Molly et sa permanente un peu passée, ni pour son yorkshire Dolly –lui aussi coiffé- qui vivent là me dit-il « depuis bien trop longtemps ». Ces deux-là, pendant Spring Break, ont leur table attitrée. Au menu, toujours le même thon aux agrumes parsemé de graines de sésame. Un bol d’eau bien frais.

Bob, lui, vient dans ce bar car il s’y installe comme pour regarder une bonne série télévisée.

Confortablement assis, une bière à la main, il regarde avec délectation les joueuses de volley.

Mais ce soir, il s’inquiète de moi, de ne pas me voir sur la plage et ma peau si peu hydratée. M’offre une pina colada. Une tape dans le dos. Et fait rire les voisins parce que je ne me suis pas bien placée. C’est apparemment sur la plage que je devrais me poster.

Soudain, un petit groupe venant de la mer se dandine vers le bar, Bob stoppe net la conversation, les yeux écarquillés. Il en oublie même les petits coups de langues à son bridge. Et je remarque quelques graines de sésames s’y coincer avant de le voir à nouveau s’esclaffer.