APAJ
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Avec le concours du MAD
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Avec le conconours de la Presse Régionale
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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Astrid SAMAZEUILH – Ça sent le rhum et le tabac

prix apaj libération 2011---

Elle danse, seule, sur un air de salsa.

Santiago de cuba, un soir de décembre.
Un de ces soirs d’hiver qui ressemblent étrangement à l’été.
Elle ferme les yeux.
Elle danse comme pour s’évader. Rien qu’un instant.

Elle est encore jeune. Vingt-deux ans à peine.
Elle vit dans une de ces cases que l’on ne ferme pas à clé, un de ces endroits dénués de tout superflu.
Où il ne leur manque rien, où il nous manquerait tout.
La fumée des cigares rend l’air de la petite pièce opaque.
La porte est restée entrouverte.
Tous la regardent.

Ses longs cheveux noirs tanguent, langoureusement, le long de son dos dénudé.
Sa robe rouge tressaille au rythme de la musique entêtante.
Une chaleur tropicale l’enlace.
L’humidité est pesante.
Tout est totalement embrumé.

Seul un souffle, venant de la mer, rend l’atmosphère de temps en temps plus légère.

Elle, elle rêve d’un ailleurs.
Elle en est sûre, l’ailleurs est plus vaste, plus simple, plus vrai.
Mais surtout plus riche et plus libre.
Elle rêve donc de traverser ce bout d’océan, cette petite étendue d’eau qui la sépare de la Floride.
250 kilomètres devenus au fil des ans toujours plus infranchissables.
Elle rêve de l’Amérique. De l’Eldorado mythique. De celui qu’on imagine.

Une de ses sœurs a déjà quitté l’île. Un heureux mariage de ce qu’il s’en est dit.
Elle s’est envolée vers l’Europe, vers les promesses d’un avenir meilleur.
D’un avenir tout court, d’ailleurs.

Bien sûr, cela fait longtemps qu’elle ne l’a plus revue, la sœur lointaine. Problèmes administratifs.
Son père en a pleuré.
C’était d’ailleurs la première fois qu’elle voyait son père pleurer, devant les quelques photos de mariage disséminées sur les murs décrépis.
Depuis, la seule pièce de la case est devenue une sorte de mémorial dédié à cette fille perdue.
Ses portraits sont là, pour ne pas qu’elle cesse d’exister. Pour ne pas l’oublier.

Elle, elle n’a jamais quitté son île caribéenne.
Alors elle espère, un espoir fou, que d’une façon ou d’une autre, elle quittera Cuba. Un jour.
Elle raconte alors, qu’elle deviendra interprète, ou qu’elle fera quelques ménages, peu lui importe. L’essentiel sera de se sentir vivante.
Elle y emmènera son fils de trois ans.
Petit garçon aux grands yeux noirs et à la carrure déjà fière des enfants cubains.

Elle s’accroche à son rêve. Plus que jamais.
On a beau lui dire que ce ne sera pas facile, qu’elle en souffrira sûrement, qu’elle pourrait même le regretter.
On a beau lui contait les multiples merveilles de son île.
Que l’on y trouve l’une des meilleures éducations, l’une des meilleures médecines, une façon de vivre incomparable.
Que l’on y trouve solidarité et affection qui fait font tant défaut à nos pays occidentaux.

Mais, elle ne veut rien entendre.

Ce soir, ses hanches se balancent.
Elle danse comme si rien ne pouvait lui arriver.
Elle danse. Comme on rêve de liberté.