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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Ursula CHENU – Visites dominicales au Togo

Togo (route de Kara)

Ce dimanche matin, un nouveau rythme flotte dans l’air. Je suis seule et je n’entends pas les femmes faire le ménage.

La majorité de notre groupe est en randonnée et les autres dorment encore. Ces derniers ont atteints leurs limites. Leur dos réclament du repos, tandis qu’une entorse à la cheville me tient éloignée de cette excursion que j’attendais avec impatience.

Comme tous les jours, je me lave avec un seau d’eau. Je ne tente même pas d’allumer le feu. Je suis incapable de dompter les morceaux de charbons, il faut savoir accepter la défaite. J’oublie le petit-déjeuner et me décide à partir explorer les environs. Je veux savourer ce moment de solitude.

Je n’avance pas vite, et rapidement, une moto s’arrête à mes côtés. Je reconnais Ataké, un homme du village qui nous sert de chauffeur. Derrière lui, un « vieux » très souriant qui ne parle pas français. Un dilemme se pose à eux : ils ne veulent pas me laisser toute seule, craignant que je me perde. Je tente de les rassurer, de leur promettre de rester sur la grande route, rien n’y fait. Entre eux, et en kabyé, ils prennent une décision. Et sans avoir eu mon mot à dire, je me retrouve moi aussi sur la moto. Le programme est simple : Ataké a promis au Vieux de l’emmener boire puis ils me feront découvrir les environs. Je ne pouvais rêver mieux.

Au bord de la route se tient un apatame. L’objet occidental s’en rapprochant le plus est le parasol. L’air circule sans entrave et le toit protège du soleil. En dessous, un banc en terre permet de s’installer. Je comprends enfin que c’est une sorte de bar. Il n’est pas encore neuf heures et l’on me propose un petit verre de sodabi, un alcool local très très fort. Je n’ai encore rien mangé, mais le Vieux m’invite, je ne peux refuser. Je goûte et ma mimique de surprise ravie mes voisins. Discrètement Ataké finit mon verre et nous reprenons la route. Le Vieux veut me présenter aux personnalités de la région. La messe bat son plein à l’église, et les visites seront probablement un échec, mais l’important est de se présenter sur chaque concession.

Nous commençons par le chef du village. Il vit dans une maison très occidentale et sa façade ressemble à celle de mes grands-parents. A notre arrivée, il n’est pas là. Une femme nous propose à chacun une chaise et une calebasse de tchouk, une bière de mil épaisse. Je prends une gorgée et encore une fois mon guide du jour boit le reste pour moi.

Le temps s’étiole, le silence prend place. Il fait frais et je profite enfin de cette terre africaine. J’espère pouvoir voir autre chose que ce que tout le monde sélectionne pour nous depuis le début.

Il s’est écoulé cinq minutes ou peut-être trente. Le Vieux se lève, remercie la femme, et nous repartons. Il n’y a plus aucune route par ici, juste un chemin entre deux champs. Nous ne voyons rien, les plantations s’élevant à deux mètres du sol. La moto s’arrête devant une autre concession. Les maisons sont en terre, les poules s’éparpillent à notre arrivée. Les enfants attirés par le bruit prennent la fuite en voyant la couleur de ma peau.

Là encore aucun homme ne peut nous recevoir. Nous nous installons sur un banc. Ataké a bien compris qu’il fallait cesser de m’offrir de l’alcool. Alors il invente une excuse, l’estomac des français est très fragile, blablabla et hop, je me retrouve avec une calebasse de bière non-fermentée. Au premier coup d’œil je ne fais pas la différence, mais au goût, je n’ai aucun doute : c’est absolument infect ! Me voilà encore plus embarrassée qu’avant. Mais je souris et les enfants défilent pour me serrer la main. Encore une fois, Ataké me sauve la mise et leur offre ma calebasse. Ma visite surprise transforme leur matinée en moment de fête.

Personne ne s’occupe de nous, les femmes ont trop de travail pour ça. Alors je prends un cours d’architecture et je pose mille et une questions sur tout ce que j’aperçois.

A nouveau, nous saluons, remercions, laissons un message pour le chef de famille et remontons sur notre moto. La même expérience se renouvelle à deux reprises. Le temps a disparu, de même que ma douleur à la cheville. Les enfants prennent plaisir à serrer une main blanche, Ataké est enchanté de boire et le Vieux continue de sourire. Il semble être fier d’être celui qui me conduit d’un point à l’autre.

Finalement nous arrivons à notre dernière étape, la plus éloignée de la route, de l’église, de tout. Cette fois-ci les hommes sont présents, assis dans la cour centrale, chacun avec une calebasse en main. Ils me font une place parmi eux, plusieurs parlent français, ont voyagé en France et je peux donc quitter le silence religieux de ma matinée pour une discussion animée. Je peux enfin de moi-même décliner le tchouk que l’on m’offre. Mais je n’ai pas le droit de refuser. Je dois le goûter. On me rassure, je n’ai aucune obligation de le finir et je peux à mon tour l’offrir. Les sept hommes qui m’entourent me font du charme pour recevoir la calebasse encore pleine. Une plaisanterie à la volée me permet de faire mon choix.

Lorsque j’explique que je donne les cours d’été au collège, la surprise se lit sur leur visage. Ils ont tous des enfants qui vont dans l’établissement où je travaille, mais aucun d’entre eux n’avait entendu parler de la possibilité de suivre de cours gratuits assurés par des Français. Je doute de l’utilité de ma présence. La discussion se poursuit, nous refaisons le monde, je donne des nouvelles de la France, ils évoquent les prochaines élections. J’aimerais pouvoir prendre des notes ou des photos. Mais je n’ai rien sur moi et je ne veux pas briser ce moment.

Le Vieux mettra fin à nos échanges. Il est l’heure pour lui de rentrer, sa famille pourrait s’inquiéter. A regret je salue tout le monde, me glisse entre deux huttes en terre et me retrouve à l’extérieur de la concession. En quelques minutes je rejoins les autres volontaires et tout l’univers de faux-semblants qui nous entoure. Je repousse à plus tard mes interrogations sur mon statut de prof volontaire, pour mieux garder à l’esprit chaque moment de cette matinée, la dissimulant aux autres comme mon plus beau trésor.