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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Romain VIDAL – Chroniques hanoïennes

Photos : CC ETOILE

Photos : CC ETOILE

Flexion… Extension… Petits pas vieillis, balancement des hanches, tentative de résistance énergique aux années. Je salue d’un sourire ce combat pour maintenir un corps dans les draps de la jeunesse le plus longtemps possible. Je n’ai pas encore pris cette peine.

Heureusement. Laissez-moi vivre tranquille et ressembler dans quelques années à ces vieillards énergiques aux traits fins qui viennent augmenter le nombre des badauds au bord du lac d’Hoan Kiem. Laissez-moi changer de références pour un court instant. 5 mois. C’est tout ce que je demande.

Je me rends chez mon dealer de jus d’ananas, rasant les murs, rongé par cette envie indolente qui mérite son nom de pêché capital durant quelques minutes fugaces. Je m’assois discrètement sur les tabourets de plastique bleu ou rouge au son des cloches de la cathédrale qui se joignent à la fureur des klaxons. Peut-on y voir un pied de nez au Parti qui a longtemps refusé d’avaliser la réouverture du lieu après le départ des français ?

Trois mégères dans un coin mettent leur temps à profit pour colporter les bruits du quartier, gonflant les rumeurs d’une saveur nouvelle à la faveur d’un soir d’été. Leur discussion est interrompue par un coup de sifflet autoritaire. La police fait fuir les motos mal garées. Tout ce beau monde s’éparpille rapidement avec un respect comique. Chacun joue son rôle. Le policier dresse fièrement le menton. Son autorité lasse dans son uniforme trop grand ne fait pas oublier qu’il est tout aussi jeune que les chenapans qui s’enfuient et qu’au fond il se fiche bien de voir ces motos disparates au milieu de la place. Il préfèrerait peut-être changer de rôle, la camionnette à la bâche verte caractéristique et au haut parleur symbolique est un accessoire superflu pour sa jeunesse confrontée aux appâts du samedi soir.

Je me redirige vers le lac. A côté d’un bâtiment colonial au jaune criard s’ouvre une palissade de tôle bleue rouille. Derrière, s’étend un terrain vague qui s’endort sous une lumière jaune aseptisée. Je tombe bientôt sur l’image que les occidentaux se font de l’Asie. Une ruelle donne sur la cour d’un temple remplie d’une foule bigarrée, havre de paix au milieu de l’enfer d’Hanoï. Un côté presque champêtre avec ces arbres inégaux qui balaient les tuiles de leurs feuilles.

Une grande artère me sépare maintenant du lac. Un polo violet et pantalon crème essaye tant bien que mal de faire redémarrer son bolide en panne au milieu de la rue. Pas préoccupé par le fait que des centaines de moto par minutes le frôlent dans un ballet incessant et un concert de klaxons variés. La conduite au Vietnam est un jeu individuel dans lequel les règles ne sont pas clairement établies. D’ailleurs, lorsque les feux passent au rouge, c’est avec un naturel très asiatique qu’une voie est laissée libre pour ceux qui auraient décidé d’être daltoniens le temps d’une seconde.

Dans un dernier regard sur des boutiques de luxe qui étendent leurs noms anachroniques sur la ville, et sur le Sud de manière générale, je quitte la ville pour le calme relatif des berges du lac. Je suis en été et pourtant des guirlandes courent dans les arbres par intervalles réguliers donnant un air de sapin de noël amusant aux centenaires abris des rats. Ils ne semblent déranger ni les joueurs d’échecs, ni les buveurs dans les bia hoi, ni les joueurs de badminton. Je m’éclaire un instant avant de me renfrogner en voyant arriver un jeune avec ses lonely planet sous le bras, « books ?or…weeds ? », mais non, aujourd’hui quelque chose a changé, aujourd’hui je ne suis plus le touriste occidental qui vient vivre son voyage derrière l’écran LCD de son numérique dernier cri, aujourd’hui j’ai droit à un bonjour et à une question que je ne me lasse pas de réécouter en boucle : « Do you live here ? »
Lendemain

Une main déposée dans le dos, un pyjama aux fleurs de printemps, 2 bouches qui se cherchent sur l’équilibre instable d’une moto… la jeunesse se trouve dans une lente douceur platonique.

Pagodon qui tremble dans un ciel aqueux grisé qui a perdu son éclat lorsque le soleil s’est caché. Dans son ombre se pressent des antennes démesurées, immeubles inachevés, variations sur le thème soviétique, béton sur ciment, gris sur blanc cassé, usé sur vieilli, mais dans cette ode froide aux tons suie s’ouvrent des fenêtres paisibles, grandes feuilles silencieuses enlaçant le miroir et le berçant de leurs couleurs pommes, arbres aux écorces noircies. L’acier rougeoie lorsque reperce un soleil déjà lune.

Un barbouze se fait tirer le portrait avec sa blonde, gros, le pantalon haut, une mauvaise odeur de sueur et de souffrance dans la chaleur moite. J’échange un sourire malicieux avec trois filles qui se gaussent silencieusement. On se moque des mêmes choses, la différence de culture n’est plus.

Gestes amples, éventails roses, blancs et bambous. Cheveux blanc, gris et cendre. Une réunion de vieilles gymnastes se met en place. Une petite trentaine de mamies me fait presque face. Il y a tous les styles, de l’énergique qui s’applique de grandes claques dans le dos et sur les cuisses dans une respiration bruyante jusqu’au vieux chiffon rincé et quasiment désarticulé, pantin vieilli aux jointures qui menacent de casser. Elles se dandinent dans des poses équivoques avec un naturel réjouissant et comme dans une parade minutieusement réglée lèvent les mains pour applaudir le ciel qui ne peut lui-même s’empêcher de rosir à la vue du spectacle.

Chambre d’hôtel miteuse à l’hospitalité humide. Je domine les toits alentours et regarde courir Hanoï au travers des barreaux à la peinture écaillée. J’ai le cœur gros, gonflé par ce que je m’apprête bientôt à quitter, libéré par une délicatesse, une beauté silencieuse dans la culture, une sensibilité dans les formes, dans les visages, les comportements. Je la cultive chaque jour comme un bien précieux, un bien qui m’a permis d’ouvrir les yeux un soir d’été alors que je regardai la ville du haut de mon sommet.

Do you live here?

Yes… I think so…