APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Perle NICOLLE – Retour à Jérusalem

A pied : rue Emek Refaïm – rue Keren HaYesod

Il est trop tôt quand le réveil sonne ce vendredi. Je traverse d’un pas pressé les ruelles arborées du quartier de la « Moshava Germanit » (la colonie allemande), aussi branché qu’historique, devenu ces dernières années le fief des jeunes « Srougim » *. Sionistes, bobos, éduqués, engagés, nationalistes parfois, élitistes souvent, ils dominent ce coin de ville aussi branché qu’historique. Au son de l’appel d’un muezzin dans le lointain des collines, Jérusalem s’éveille. Je croise des soldats, nombreux, de retour chez eux pour shabbat, visiblement épuisés. Il est 6 heures, ils arrivent surement des bases des environs du checkpoint vers Bethlehem, et Hébron sur la route de la Bika’a. Ouverte depuis peu aux véhicules palestiniens, elle plonge sous le niveau de la mer depuis l’Est de Jérusalem, traverse la vallée du Jourdain, perce à travers les arides collines de Judée, contourne Jéricho, longe la Mer morte, évite Ramallah, trace son sillon entre les kibboutz puis les implantations, de la Galilée vers le désert, le long de la frontière jordanienne.

Les arbres feuillus frissonnent sous le soleil déjà brulant, monte unesuave odeur de jasmin dans la brise matinale. La voix des informations résonne en Hébreu ou en Arabe, leurs échos sont emportés par le vent,charriant au passage les plumes des oiseaux migrateurs revenus de leurslointains voyages.
Bus 18 : rue Jaffa – station centrale

Le bus 18 remonte vers l’entrée de la ville. Un petit garçon orthodoxe s’amuse à nouer ses papillotes aux poignées du bus, son père, plongé dans un livre de prière, le regarde d’un regard complice lorsque sa mère finit par le réprimander. L’esprit encore embrumé, le bus m’emmène autour des plaies béantes du béton sur le chantier du tramway pour sauter dans un bus matinal vers Tel Aviv. Aux abords du shouk, mes rêveries s’épicent de coriandre, de safran, d’anis et de za’atar. Les portes centrales s’ouvrent sur les clameurs de la rue vociférante, une odeur d’aromate et de café s’engouffre dans mes narines.

Des familles nombreuses, chargées de légumes frais, grimpent et s’accrochent aux moindres aspérités, ballotées entre les poussettes, les sacs, les armes des soldats et les cabas de fruits aux couleurs chamarrées. Freinage brusque. Le chauffeur s’est arrêté devant la boulangerie et bloque un instant tout le trafic de la rue Jaffa pour acheter des pains ronds au sésames qu’un gamin court lui apporter. Au premier virage, une pastèque s’échappe, roule et dévale tout le bus avant de repasser de mains en mains vers l’arrière.
Bus 405 : Jérusalem – Tel Aviv

La foule agglutinée devant les portiques de sécurité s’impatiente, les trottoirs fourmillent. Le coup de fil tant attendu n’est toujours pasarrivé, mais il faut bien avouer que notre armée est aussi baroque que la société qu’elle vient défendre. Un joyeux tohu bohu où tout se perd,se retrouve, se discute – mais comme tous les jeunes israéliens, je m’inquiète de savoir ce qu’elle me réserve. Mes réflexions sombrent dans les tons d’un camaïeu vert olive. Je me plonge dans un livre avant delaisser les petites lettres noires se mélanger et courir seules sur lepapier et guider mon regard au dehors vers le labyrinthe bleu et blancdes drapeaux de l’autoroute. Ils sont partout, sur les voitures, les vélos, les poussettes. Chaque journal en fournit un avec le supplémentdu weekend. Les oxymoriques journées de Yom HaZikaron (le Jour duSouvenir) et de Yom HaAtzmaout (le Jour de l’indépendance) approchent. Du silence assourdissant à l’appel des sirènes, lundi, éclatera plus exubérante encore, triomphante presque, la joie simple d’exister. Deux journées aussi opposées que complémentaires pour qu’Israël fête 62 ans d’une histoire faite d’amour et de ténèbres.

Les tours de Tel Aviv apparaissent à l’horizon comme un mirage inexplicable. Une ville comme un aimant, aussi irrésistiblement attirante d’insolence que repoussante de saleté. Un royaume d’immeubles à l’occidentale et de constructions Bauhaus resplendissantes de blancheur sous son soleil, une cité bohème au bord de l’eau turquoise. Une métropole orientale aux lignes épurées, imparfaite, mutine sous le vent de la Méditerranée.
Taxi collectif « shérout » : rue Levinsky – rue Trumpeldor

Une meute de chats s’attaque à un cageot orange de nèfles printanières, oubliées contre un des murs décrépits de la station centrale. Au milieu du trafic frénétique, je hèle un taxi collectif. Levinsky n’était le nom de personne, c’est en fait un acronyme formé à partir du mélange des lettres formant le nom de Salonique, d’où immigrèrent au début du siècle les premiers habitants de la rue.

Tel Aviv est bleue, comme une vision dessinée par Bilal un jour heureux. Une fois les pieds dans son sable frais, bercé par le ressac, l’esprit s’évade et tout entier s’absorbe dans l’écume de ses vagues. Les pensées salées se perdent dans sa mer en attendant le passage du marchand de glace ambulant de la plage. Les gamins lui courent après, choisissent avec sérieux un bâton coloré d’eau glacée qu’ils iront déguster assis aux bords de l’eau encore fraiche.

La semaine israélienne commence le dimanche pour se finir le vendredi après-midi dans une atmosphère fébrile. Une odeur de pain envahira alors les cours, et le roucoulement des mouettes trouvera un tempo dans les soupirs saccadés des marmites sur le feu. Le pays marque une pause complète du vendredi soir au samedi nuit pour shabbat, mais la jeunesse libérée de Tel Aviv se pressera dans ses bars et ses cafés toute la nuit. Tous les transports s’apprêtent à s’arrêter, déjà il faut rentrer.

Comme deux facettes d’une même personnalité, deux villes s’apaisent mutuellement. Le dernier bus remonte les collines verdoyantes, toussote, cahote, crachote dans les montées, rugit à chaque accélération. Retour aux pierres envoûtantes de Jérusalem, au noir profond des manteaux des orthodoxes, aux peaux brunes de henné des jeunes filles arabes de l’Est. Aussi opposées que complémentaires, une fois encore.

* Srougim : l’expression désigne les religieux modernes qui se réfère à leur kippa tricotée, colorée en comparaison de celle noire veloutée des orthodoxes traditionalistes.