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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Nina CHAUVET – La belle âme des indiens boruca

Costa Rica 1

L’air est lourd, encore chargé de l’humidité qui s’est déversée le matin même aux abords du fleuve General, au sud-ouest du Costa Rica.

Le soleil se montre enfin, illuminant le sentier qui me mène à Boruca. Encerclé par les altitudes verdoyantes, le village de 2500 âmes se niche sur le flan d’une colline.

Un souffle de vie me transperce quand j’entame ma descente, première activée, vers le centre du bourg. Les couleurs de ce pays diffusent un encens permanent de légèreté et d’apaisement. Et ici, s’y ajoutent celles des masques et autres créations des multiples échoppes artisanales.

Je cherche la casa de Pedro Rojas. J’attire le regard des habitants. L’Européenne seule dans son 4X4 blanc. Une curiosité simple, dénuée de moquerie ou de jalousie. Et c’est avec un sourire généreux que le même Pedro me remarque et m’indique les chemins à emprunter pour me rendre dans son humble demeure. Il ne m’attendait pas si tôt. Il court chercher les clés de chez Katy, jeune mère solitaire, qui m’ouvre ses portes pour les deux prochaines nuits. Je parque mon engin entre le mur de la maison de pierres familiale et les pilotis du ranch typique où Pedro a élu résidence.

C’est un lundi d’avril. Je suis impatiente d’en connaître davantage sur les indigènes qui peuplent le village. Les Boruca sont l’une des huit communautés reconnues du pays. La grande époque, d’un empire qui s’étendait de Quepos à la frontière panaméenne, est révolue. Moins de 2000 d’entre eux se font aujourd’hui les représentants d’une culture ancestrale et combative. La famille Rojas en fait fièrement partie. Assise sur une chaise de la cour, droite, je dévore des yeux l’environnement qui m’entoure. Le doux parfum des heliconias vient caresser mes narines. Rosa, la maîtresse des lieux, me propose discrètement de quoi sustenter ma faim. L’appétit me manque, mais j’accepte poliment un léger repas.

Pedro me fait face. Sa stature est imposante. Grand, corpulent, il porte un short ample et un tee-shirt sans manches noir. Ses longs cheveux ébène sont attachés. Un brun de rockeur en lui. Pourtant, ces traits arrondis et délicats, l’étincelle de ses yeux légèrement bridés et son sourire enfantin dévoilent la douceur du personnage. A 41 ans, il a pas mal valdingué dans le pays, enchaîné les petits emplois en mécanique automobile et dans le tourisme avant de rejoindre son cocon natal. On vit en famille ici. Cette valeur chère au cœur de Pedro est aussi celle qui réunit l’ensemble des Boruca. Leur culture a maintes fois été menacée de disparition. Aux temps des invasions espagnoles sur le pays d’abord. Quand hommes en armes et hommes de Dieu parvinrent à faire taire les récalcitrants, après plus de 150 ans de résistance. Et que la population boruca fut réduite à son minimum. Peu à peu évangélisée. Au cour des XIXe et XXe siècles ensuite, lorsque les travailleurs perdent leurs savoir-faire d’antan en s’esquintant la santé dans les exploitations de banane, café, cacao ans co.

« En 1970, il ne reste plus de Boruca que son nom », m’expliquera le lendemain Margarita Lazaro. A 60 ans, petite, la fougue de la lutte n’a jamais abandonné cette femme. A l’époque, elle a le courage et la verve de mener de front le combat de sa vie, celui de la renaissance de la culture boruca.Je me suis posée sur un petit banc, face à elle, tranquillement allongée dans son hamac. Et pendant une heure et demie, je l’ai écoutée attentivement, souvent étonnée, me conter l’histoire de son association, la Flor. Celle de sept entêtées pour réapprendre la couture du coton à l’ancienne, obtenir des fonds, ériger un musée, sauver le dialecte et transmettre aux enfants. Les plus grandes féministes applaudiraient la volonté salvatrice de ces dames de cœur. Dans ce laborieux projet, elles ont trouvé le concours des derniers tenants de la culture boruca.

Ce fut notamment le cas de Don Ismael Gonzales Lazaro. Le maître des masques. L’art de tailler « la mascara » est sans doute l’un des savoir-faire les plus ancestraux des indigènes boruca.J’ai rencontré son plus grand défenseur l’après-midi de mon arrivée. Sur le canapé décrépi de son entrée, j’ai également prêté l’oreille à la voix vieillie de cet homme de 82 ans. Don Ismael est un mythe au sein du village. Il me touche d’abord par la faiblesse de sa démarche. Son cancer des poumons le ronge à petits feux. Et une telle nostalgie dans le regard ! Emue, je lui laisse le temps de remettre en ordre ses souvenirs. Il a créé un centre d’apprentissage destiné aux jeunes Boruca, baptisé Rabru. Et aidé ainsi à la tâche entreprise par l’association de femmes du village. Je suis pendue à ses lèvres. Les gouttes qui ruissèlent sur mes membres, et les attaques de moustiques assoiffés de sang, ne parviennent pas à perturber mon attention. A l’évocation du passé, la fierté rejaillit sur le visage de l’artiste.

Il ne s’agit pas de simples sculptures sur bois, me prévient-il. En taillant les têtes d’animaux féroces, de monstres aux canines aiguisées, ses prédécesseurs ont voulu attiser la crainte de leurs ennemis. Une fois l’affrontement terminé, ils ont perpétré cet art à l’occasion de leur fête annuelle, el juego de los diablitos. Depuis 350 ans, entre le 31 décembre et le 2 janvier, les habitants rejouent les scènes de lutte contre les Espagnols. Parés de masques, ils poursuivent le Taureau tortionnaire qui les tue un à un. Mais ils se relèvent, attrapent la bête féroce, la brule et découpe sa chair pour qu’il n’en reste plus une trace. La symbolique de la vengeance et du combat s’est maintenue chez les Boruca. Les âmes réincarnées font référence à la légende qui entoure le Dieu du peuple. Cuäsran aurait échappé au triste sort de ses compatriotes. Son corps jamais retrouvé, les Boruca croient que son esprit réside toujours dans les montagnes alentour. Protégeant les êtres du village et la faune nourricière.

Aujourd’hui bien sûr, ils vivent harmonieusement avec les héritiers Ticos des conquistadores. Le juego de los diablitos attire des centaines de personnes, nombreuses d’Europe et d’Amérique du Nord.

Lors de nos soirées, accoudés autour d’un rhum 7 ans d’âge, Pedro m’a convaincue de prendre part à cette ambiance chaleureuse et théâtrale. Au cœur de la vivacité de l’identité boruca.
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