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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Niels LABUZAN – Chili, quand la terre gronde

Atacama

Bien qu’il soit encore très tôt, le soleil perce déjà le ciel de toute son ardeur. Pas un nuage, pas un seul souffle venteux lorsque je pousse la porte de mon hôtel et que je me retrouve dans les rues sableuses de San Pedro.

Autour, les murs en adobe, blanc, ocre, effrités, brillent d’avoir passé leur vie dans le désert. Les branches des poivriers sauvages autour sont immobiles, figées dans l’éternité sans date de ce petit village.

La voiture roule à vive allure et avale l’asphalte. Tandis que nous montons inlassablement vers la Cordillère des Andes, Guillermo, mon guide, me parle de sa vie avec ce drôle d’accent du Nord. Il me raconte d’abord Allende, puis Pinochet – comme tous – et ce qu’il a ressenti un matin à la vue de soldats inconnus ; il me raconte son exil en Bolivie où il étudiera l’Histoire; il me raconte l’anarchie et ses frères d’armes, la puissance des Incas. Engoncé dans son blouson de cuir bleu, ses yeux voyageurs s’animent au fil de son récit. On est à 3.500 mètres lorsque l’on croise un marcheur esseulé. Il est vêtu pauvrement. Il supplie d’un air triste. Sa peau resplendit de reflets cuivrés. Dans sa bouche édentée, des feuilles de coca mastiquées sans relâche rendent ses yeux noirs brillants. Il est bolivien et n’a pas passé la frontière légalement. Guillermo nous met en garde quant à ces promeneurs esseulés. Ce sont bien souvent des trafiquants, dit-il, de cocaïne, mais aussi de voitures volées. C’est pour cela qu’il porte à sa ceinture un revolver.

Sur la gauche, nous quittons les lignes tracées par l’homme pour entrer dans le Salar de Tara, l’un des endroits au monde les plus arides. L’air se raréfie autour de moi. Mes poumons peinent à se remplir d’oxygène. Nous sommes à 4.900 mètres, au milieu de nulle part, perdus entre la frontière chilienne, argentine et bolivienne. Autour de moi tout est pur horizon. Au loin, le volcan Licancabur, de son éternité, garde les lieux. Il y a des années de ça, des Incas l’ont escaladé pour entrer en communion directe avec le Terre et y ont construit un temple pour leurs dieux. Un temple à 6000 mètres pour exprimer leur gratitude. Ici, tout est inhumain. Pics, crevasses, pierres argentines, flamands perdus dans la rosée, herbes hérissées sur un sol lunaire et rougeoyantes montagnes.

Nous roulons des heures. Le compteur du 4×4 indique 150. Depuis que nous avons quitté le goudron, nous n’avons croisé âme qui vive. Je demande quoi faire si je me retrouve perdu seul ici. Un rire gros et gras résonne dans la solitude. « Prier ».
L’Araucania

Il semble qu’un dieu ait tout réuni sur cette terre étroite. Le paysage est grandiose, irréel, accidenté. Il y a le volcan Villarrica, imposant et enneigé qui, impatient, fume tout au long de l’année. Il y a les élancés araucarias qui nous enseignent la patience du haut de leur millénaire. La légende raconte qu’ils sont les gardiens de la mémoire chilienne et qu’ils étaient là pour l’arrivée de Pedro de Valdivia, qu’ils ont vu la domination espagnole puis l’indépendance, l’autorité de Bernardo O’Higgins, la guerre du Pacifique et aussi tout ce qui s’en est suivi. Et puis il y a les lacs, Caburgua, Colico, Calafquen, les cieux embrasés, les montagnes bleues, les Mapuches aux costumes moutonnés, à la démarche lente et suave, au visage rougi et fier. Tout cet univers est figé dans le temps, comme pour rappeler d’où ce monde primitif est issu et quels furent les premiers à poser pied sur cette terre dans les temps immémoriaux.

Ici c’est angoisse calme passion survivance réconfort joie ; ici c’est la vie qui s’étend. Sur cette terre, je me sens petit.

On dit que le ciel est laiteux, qu’il est nourricier, infini. A la tombée de la nuit, sous la poussière étalée au-dessus de mes songes, je regarde la lave chaude sauter et danser dans l’air. Je regarde la lave dansant dans la Nuit étoilée pensant que c’est une porte vers le centre de la Terre. Bulles rouges et magiques s’échappant des entrailles fondatrices.

Priez pour que le monde furieux ne se réveille pas.

Lorsque la Terre a bougé

Elle s’appelle Christiane. Elle est chilienne, elle est peintre. Dans l’ascenseur qui m’emmène au 17è étage d’un des nombreux buildings de Santiago, je regarde ses yeux de jais, ses longs cheveux ondulants, son sourire intact et franc.

Il est une heure du matin, et je vais me coucher. Je rêve de ces paysages mixtes et mélangés.

Une main me réveille en sursaut.

« Terremoto »

Tout autour est étrangement noir quand un roulement incertain se fait entendre si fort, si cruel. Les entrailles de la Terre poussent un râle plaintif. L’immeuble vibre au son de cette voix.

Je n’y comprends rien. Juste ma gorge qui se bloque, mon cœur qui se paralyse.

Je tente d’avancer. Mais avancer où ?

Que se passe-t-il ?

Cela n’a pas de sens pour moi ni de réalité, et pourtant.

Les murs grondent, le sol saute et tout autour les meubles s’écrasent au sol.

Tremblements.

Peur.

Abandon.

Je me colle au mur et suis repoussé. Les portes en bois claquent, s’ouvrant et se fermant sans relâche, et ce bruit, ce cri furieux.

Cette force nous dépasse, nous ne sommes rien.

Je renonce.

Je suis à un point de non retour et ce 27 février 2010, je pense que je vais mourir.

Dans mon esprit, il y n’a que le néant. Ni défilé d’images, ni souvenirs, ni visages, ni prières. Collé au mur, les yeux grands ouverts, je pousse ce que j’imagine être mon dernier cri.

Durant deux minutes, j’ai été l’être le plus seul au monde.

Face à la catastrophe, l’entraide n’a jamais été aussi forte. Plus rien n’importe ; ni l’âge, ni le milieu social, ni le vice et encore moins le talent. Quelqu’un vient juste de nous rappeler ce que nous étions, nous pantins fragiles et impuissants. Une chose nous relie tous à présent, le même traumatisme vécu à 03h34 du matin. Le reste de la nuit, je le passe avec cette famille palestinienne. Je ne les connaissais pas avant, mais ensemble nous rions autour d’une bouteille de vin, pour se donner réconfort et contenance. Je les aime, eux et Christiane. En cet instant, ce sont eux que j’aime le plus au monde.

Ça fait maintenant quelques jours. Je suis toujours là, sur le sol de cette Terre, au-dessus des plaques, des failles, au-dessus de Nazca et je ne sais plus rien. Ce soir-là, après que la Terre ait tremblé, j’ai perdu mes certitudes innocentes et me suis senti vivant au milieu d’une humanité bouleversée.

CRATERRE