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Nabil BELHASSEN – Promenade dans Rome au clair de lune

Rome 1

Il était minuit passé lorsque nous terminâmes notre dîner à la Piazza della Rotonda…

Le repas fut copieux, un modeste hommage aux dieux qui nous observaient depuis leur temple. Bruschettas, salades, pâtes, pizzas, bouteilles d’acqua frizzante et vins ne manquaient pas à table. Pouvait-il en être autrement depuis le temps que nous attendions ce moment? Par la suite, n’ayant nul empressement à regagner notre hôtel, nous décidâmes, mes compagnons et moi, d’effectuer une promenade nocturne dans Rome.

Le Panthéon m’inspira une thématique antique à notre flânerie. Je proposai de regagner directement les abords du Tibre et de le longer tranquillement. Une idée qui était largement inspirée par mes récentes lectures stendhaliennes.

La ville était calme en ce vendredi soir. Seul le Corso Vittorio Emanuele II, que nous avions dû traverser pour rejoindre le fleuve, était toujours bouillonnant d’activités. Les autres rues et ruelles de la ville ne remuaient plus. Les teintes orange des réverbères, que reflétaient les murs des édifices, auraient pu faire croire à l’étranger que Rome souffrait d’un second grand incendie.

Nous survolâmes l’Area Sacra, un ensemble de petites ruines qui survécut au modernisme, pour déboucher quelques minutes plus tard sur le ponte Garibaldi. À notre gauche, déposée en plein milieu du Tibre, se dévoila l’intrigante Insula Tiberina. Pour ajouter à la curiosité, compte tenu de la douce température, une légère vapeur flottait aux alentours de l’îlot. Cela ne fit qu’accentuer ma confusion quant à mes premières impressions. De ce que j’avais lu sur l’île je m’attendais à découvrir un ghetto juif, éternels esclaves de cette Rome antique. Et non cette belle allure des habitations. Autant le monument d’Agrippa éleva mon âme lorsque je l’admirai sous son portique, autant la vue de cette boue accumulée sur le cadavre de Tarquin le Superbe et qui donna cette île légendaire me rappela le prix que coûtèrent de telles beautés. Cette pensée m’arrêta dans l’élan de rejoindre l’Isola par le mythique ponte Fabricius. En un seul coup d’œil mon esprit aventurier s’annihila. Ce pont, le plus ancien de la cité et toujours debout, ne sut fléchir cette crainte lointaine que j’éprouvai. Quelle crainte? Je me perdis en réflexions dans ce brouillard surplombant le pont, remerciant au passage quelques dieux pour que cette idée ne fût venue chatouiller la curiosité de mes deux camarades. Nous passâmes donc rapidement devant l’île, sans même prêter attention, à notre gauche, à l’impressionnante synagogue.

Arrivés au ponte Palatino, nous nous éloignâmes enfin de ce fleuve mille fois maudits. Ces moments d’extase à admirer édifices et paysages longeant le Tibre, de la tranquillité des feuillus à la lointaine basilique Saint-Pierre et du Castel Sant’Angelo, se fit probablement au pied du plus grand cimetière de l’histoire de l’Homme. Plus triste encore! De partout nous venons louanger ce cortège macabre, en le glorifiant d’immortel pour cette ville éternelle! Morts et disparus ne sont plus pour émettre leur point de vue sur la chose.

Nous atteignîmes le forum Boarium, avec la toute singulière église de Santa Maria in Cosmedin. Celle-ci se détachait des monuments antiques avoisinant. Son campanile dominait timidement les petits temples d’Hercule Victor, de Portunus, sans parler du pauvre Arc de Janus, habilement caché dans ce décor. Un des rares lieux où il est possible de voir Byzance dominer Rome. Nous nous approchâmes du grillage qui cernait le vestibule de l’église afin d’observer cette fameuse plaque d’égout : la Bocca della Verità. Ce visage barbu à la bouche et aux yeux creux avait le maléfice de mordre quelconque menteur. Pour savoir si une personne disait vraie ou non il lui suffisait d’insérer sa main dans la fente, et si celle-ci ne se refermait pas, c’est qu’il n’y avait pas mensonge. « N’y a-t-il donc aucune trêve concernant le sort des hommes? » pensai-je. « Après la tyrannie des empereurs romains, voici la cruauté de l’Église! Une bouche terriblement massive pour soumettre un peuple. »

Nous poursuivîmes notre promenade sur la via de Cerchi, entre les collines de l’Aventin et du Palatin. À cette vallée faiblement éclairée s’étendait le Circus Maximus.

Outre les maigres vestiges qui subsistaient à cet énorme édifice, une tour et quelques gradins aux extrémités, reposait au centre un magnifique cyprès. L’arbre en tant que tel n’avait rien de particulier, si ce n’était qu’il était paisible face à sa solitude. Comme s’il eut existé depuis tout temps, enraciné par je ne sais quels dieux. Il ne dérangeait personne et personne ne le dérangeait. Jamais ce cirque ne fut aussi beau qu’au moment ou nous l’embrassions. Les courses de chars n’égalèrent certainement pas l’impressionnisme du lieu. L’enlèvement des Sabines, dont le Circus Maximus fut le théâtre, n’arrivait pas éclipser cette sérénité. Et cependant, encore une fois, un léger frisson me parcourût. Cette immense étendue silencieuse, à peine dérangée par le bruit infernal des pneus sur les pavés encadrant le cirque, ne parvenait à m’effrayer : elle m’imposait piété. Sans les tombes, sans les pierres tombales, nous foulâmes un autre cimetière de Rome, où Néron décidât d’allumer les feux. Ne se mouvant pas comme le Tibre, celui-ci était d’un autre type, aussi trompeur par sa grandeur. Romulus, que ta ville est sournoise! Ah cyprès! S’il lui était possible de parler à ce témoin du passé.

La fatigue nous poussa à reprendre notre chemin. Arrivés au bout de la via de Cerchi, nous bifurquâmes sur la via de San Gregorio. Tout comme les empereurs romains notre parcours se termina en apothéose. Cette longue promenade, parsemée de chefs d’œuvre, empreinte d’atroces souvenirs masqués, ne pouvait se conclure qu’en triumpus. Au bout de la via se dressait le superbe Arc de Constantin, premier empereur romain de confession Catholique, voilant à peine l’imposant Colisée. La nuit influença grandement nos sens. La pénombre des alentours nous fit paraître ces deux monuments plus grandioses qu’au grand jour, tant ils semblaient eux-mêmes source de lumière. L’Arc de Constantin, monument commémorant la splendeur de l’homme, et surtout sa bassesse, usurpant la gloire à Trajan en s’emparant de l’arc lui-même, ne m’éveilla que dégoût. L’émerveillement et la soumission firent place au mépris et à la déception. Bas-reliefs, colonnes, statues ne purent m’exalter. Encore moins le grotesque Colisée, immondice de l’Homme. Comment pouvions-nous applaudir de joie et d’extase devant la souffrance d’un frère, gisant devant nous? Demandez à Lord Byron! Je n’imaginai pas la surprise des goths lors du sac de cette ville civilisée quand on leur expliqua l’utilité de cet amphithéâtre. «Barbares? Vous avant nous, oui! auraient-ils constaté.

«Quelle beauté! Impressionnant! Bravo au génie romain!» s’écrièrent mes compagnons en brisant le silence.

Et c’est là que je compris ma naïveté. Je n’avais qu’à me résigner et à admettre la triste vérité. Avais-je le choix? Le spectacle qui soulevait leur admiration ne pouvait agir autrement. Comment expliquer que ces deux monuments, aussi inhumains soient-ils, puissent encore persister après deux millénaires? Tout comme cette ville d’ailleurs.

Je les contemplai de nouveau, sous ce ciel lucidement étoilé.

« Étrange… »

La victoire du Beau.

Rome 2
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