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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Clémentine SAGOT-DUVAUROUX – Israel, mois après mois, face au conflit

Photos: CC Paolo CUTTITTA PALESTINE

Photos: CC Paolo CUTTITTA PALESTINE

Vendredi, jour de repos et pourtant il faut se lever bien tôt. Je dois être à Jérusalem avant 11h…

… Pour une quinzaine de kilomètres, je pars à 7h30. L’entrée se fait par le checkpoint de Qalandia.

J’y arrive à 8h30. Beaucoup sont déjà en ligne dans les couloirs de barreaux qui mènent à des tourniquets qui mènent à d’autres couloirs de barreaux menant à d’autres tourniquets. Sur les cinq ou six couloirs seulement deux sont ouverts. Arrivée à l’endroit où nos sacs sont scannés et nos identités vérifiées, j’ai pu voir: un homme porter son enfant au milieu de ce dédale (pas les enfants…); un vieil homme se coincer entre les barreaux du tourniquet.

Toujours dur de voir des personnes très âgées, de se dire qu’ils ont connu l’Avant, leurs terres près de la mer, les oliviers à perte de vue, et puis les guerres, l’exode, et maintenant l’occupation, l’humiliation. Encore plus dur de les voir faire face aux soldats plus jeunes que moi.

Je m’approche de la femme qui me précède, voyant qu’elle ne comprend pas ce qu’on lui demande. Derrière sa vitre (faudrait pas qu’on partage le même air) la jeune soldate avachie lui hurle (en anglais) de tourner son autorisation. Ce qu’elle fait, mais pas dans le sens que souhaite madame… qui hurle, donne à son visage l’expression la plus haineuse possible.

Je ne la quitte pas des yeux, je commence à avoir envie de vomir, je tourne l’autorisation de la vieille femme et la soldate lève un sourcil pour indiquer que c’est bon. Je m’approche de la vitre de la cabine et m’aperçois que mon hôtesse d’accueil en Territoires palestiniens occupés n’est pas seule. A ses côtés, trois soldats dorment sur leurs chaises, bonnets baissés sur leurs visages.

Autant de couloirs qui pourraient être ouverts, de Palestiniens qui ne perdraient pas autant de temps pour aller prier, travailler; autant de frustrations en moins… Je pose mon passeport sur la vitre, à la première page. La soldate, irritée de devoir se pencher vers le micro, me hurle « VISA ». Je lui montre; un frémissement de l’œil droit : je suis libre de passer, avec mon envie de vomir et de pleurer.

Ne les hais pas, ne les hais pas.
Mars

Visite de Saint Jean d’Acre, ville à majorité arabe à l’intérieur d’Israël, sa vieille ville fortifiée, ses rues étroites, caravansérails, et autres vestiges des croisés, mamelouks et ottomans. Pas de rénovation dans ce genre de villes, où la trace archéologique de la présence juive n’existe pas. On a du mal à accepter de voir ces bâtiments se détériorer. La seule partie rénovée est une citadelle croisée, la présence chrétienne étant certainement plus intéressante à valoriser que celles des musulmans qui suivirent…

Pour rejoindre Acre, je prends le bus à Jérusalem. On longe le mur, je réalise que l’on roule dans les Territoires palestiniens annexés par ce dernier.

Il n’a pas le même aspect côté israélien; il est savamment masqué par des talus de terre. Je vois les villages palestiniens de part et d’autre et imagine qu’ils ont été voisins il n’y a pas si longtemps.

Par la fenêtre j’observe le paysage que l’on dit biblique. Des bâtiments immenses bordent la mer. Des usines, des quartiers résidentiels tous similaires couvrent les terres à droite et à gauche. De vieilles maisons ottomanes tombent en ruines. La plupart des villages arabes que l’on passe sur la route ne sont tout simplement pas indiqués sur les panneaux. Les colonies, plus loin, le sont.

L’arrivée à Saint Jean d’Acre permet de se détendre. Je passe la nuit sur la terrasse d’un hôtel, d’où l’appel du muezzin est immanquable. La ville a gardé ses souks grouillants de monde, et de vieilles bâtisses qui ont vu des générations de marchands et de pêcheurs. Intramuros, c’est un havre de calme (faute de paix).
Avril

Non violence. C’est acquis, c’est la solution. Chaque mort est un mort de trop. Il ne devrait pas y avoir de « mais », mais…

Chaque personne étrangère que j’ai pu voir ici s’étonne de l’incroyable calme des Palestiniens. Comment supporter cette vie d’enfermement et d’humiliation. Alors quoi ? On ferait quoi ? On prendrait les armes, on lancerait des pierres ? Déjà vu.

Il y a une différence entre la révoltante humiliation que l’on vit (voit), lorsqu’on vient séjourner temporairement en Palestine; et l’humiliation vielle de décennies, lancinante.. infiltrée dans la vie de chacun.

La voie de la violence a été testée, réprimée par des attaques allant jusqu’à la barbarie. Malgré les atrocités de Jénine,de Gaza, les gens ont retrouvé leur inconcevable patience. Je ne souhaite pas une fin de l’occupation dans le sang, mais les appels à la non-violence paraissent cruellement ironiques. Je veux y croire, mais quelle aurait été la réaction des résistants français si on leur avait assuré qu’ils mettraient fin à l’occupation allemande par des slogans et des marches pacifistes ? Cela semble tellement démesuré lorsque l’on sait ce que l’occupation fait subir aux Palestiniens chaque jour. Démesuré parce que le rapport de force est démesuré.

Les convictions sont ébranlées ici. Dans les principes, bien sûr, je refuse de croire que la violence soit une solution, et si elle permettait d’en finir avec la situation, ce serait avec un goût amer. Mais…

Mais quand j’entends que la sœur d’un ami est en prison pour avoir planté un couteau dans un soldat, je ne ressens ni choc, ni déception. Je ressens du respect et de la solidarité. Sentiments extrêmement difficiles à accepter, peut-être parce qu’on m’a rempli la tête des mots du « terrorisme » et non de la « résistance »; peut-être aussi parce que de tels sentiments signifient que j’ai perdu une belle tranche l’espoir.

Revendiquer la moitié des droits d’un humain, c’est les nier. Si la résolution du conflit prend la forme voulue par Israël, ce sera une humiliation de plus. Mais par quel moyen se battre pour ses droits? C’est la question la plus dérangeante de mon séjour ici.
Mai

Comment vous dire le reste? Les discussions politiques passionnées, les fous rires, les cafés, les thés, la beauté des collines… Voilà.