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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Benedicte DE LA TAILE – Chroniques Kinoises

Kinshasa est comme une histoire d’amour passionnelle faite d’étincelles, de fous rires, de cris ou d’énervement désespéré. Saturation humaine, saturation de chaleur, saturation de poussière, de pollution, de corruption. Ville où amitié et solidarité se donnent des coups. Ville de tous les possibles. Quelques mois à Kinshasa. Je n’en ai ressenti que quelques vibrations, je n’en ai compris que quelques bribes. Et alors que me voilà dans l’aéroport jaunâtre de N’djili, face à cette boutique déprimante qui tente de se donner des grands airs de duty free international, alors que je continue à m’émerveiller de fonctionnaires de la Direction Générale des Migrations qui s’évertuent à tenter de me racketter ma pauvre bouteille d’eau et mes paquets de cigarettes Dunhill, que d’autres me demandent en mariage, alors que la sensualité des femmes congolaises continuent de provoquer chez moi quelques jalousies quant à la rondeur de mon train arrière, quelques images, quelques rencontres furtives ou bien magiques, quelques événements irracontables reviennent à moi comme si je devais tout accumuler avant de quitter le sol congolais.
Dimanche kinois

Lemba Terminus, quartier populaire de la capitale. Je suis accompagnée du grand Jupiter, homme charismatique et envoutant, leader du groupe Okwess International qui se bat à grand coups de talents pour faire sortir sa musique des ghettos. Il fait partie de ces nombreux artistes que cache la capitale, qui font preuve d’une créativité débordante malgré la déliquescence urbaine. Nous sommes assis à une terrasse. Sur la table, des bouteilles de bières Primus à n’en plus pouvoir. Le spectacle commence pour moi. La vie pour les Kinois. La grande valse des taxis bus, des pousse-pousseurs, des cambistes, des mamans commerçantes, des vendeurs d’œufs, de cigarettes et de racines « fortifiantes » s’emballe devant mes yeux. Les hommes coiffés de grands sacs remplis de sachets d’eau pure alpaguent les assoiffés à grands cris d’ « Eau pire Eau pire ! ». De grands fous rires à la table d’à côté et les enfants à la recherche d’ongles sales à frotter, vernir et faire briller tapotent des sons magiques sur leurs bouteilles de vernis. Symphonie du Chaos. Ville sonore, ville du corps, Kinshasa est aujourd’hui, dimanche, le théâtre de la sensualité, de l’élégance et de l’apparence. Kinshasa est une ville de flâneurs, sensuelle et très fière. Couleur et raffinement des pagnes du dimanche, long déhanchement des femmes qui traversent la rue, perfection de leurs jambes, déploiement élégant des parasoleils colorés, mains sur les hanches, fierté et assurance. A leurs côtés, les jeunes hommes ultra lookés arborent habits de marques et lunettes de soleil. Et moi, fascinée par ces corps, remparts contre la misère.
Débrouille

Kinshasa. Tantôt encensée, Kin la belle, Kin Kiese – « Kin des plaisirs » -, tantôt décriée, Kin la poubelle, Mboka Epola – « ville pourrie »-. On aurait bien envie de lui trouver d’autres surnoms pour dire son énergie, sa force et sa folie. Meurtrie par la guerre et les pillages de 1991 et 1993, l’abandon économique, architectural et social dont elle fait l’objet depuis Mobutu n’empêche pas les Kinois de se battre et de faire preuve de survie. « Kinshasa crée de la vie où il ne devrait plus y en avoir », déclare un vieux Kinois. Le code de la débrouille, une règle d’or à Kinshasa. C’est d’abord l’informel et sa multitude de boulangers, bouchers, couturiers, coiffeurs, cireurs de chaussures, mécaniciens, taximen. C’est le ballet des vendeurs ambulants esquissant quelques pas de danse entre les voitures, sur la grande scène du Boulevard du 30 Juin. Ce sont les recycleurs, cureurs de caniveaux, ramasseurs de sachets plastiques ou de vieilles ferrailles. Kinshasa : ville l’on crée avec des ordures.
Makala

A Kinshasa, je suis allée à Makala, prison centrale. Je me revois encore toute silencieuse, accompagnant les sœurs de Calcutta qui distribuent chaque mercredi des haricots, des œufs et du manioc bouilli aux quelques prisonniers qui n’ont pas de famille pour leur apporter le repas que les autorités pénitentiaires ne distribuent jamais. J’ai vu défilé toutes sortes de misères humaines, des boiteux, des squelettiques, des vieillards, des gamins, des cabossés, des sans bols, des pas de bols. Un concentré de ce que l’humain peut faire de pire, là où les plus grands innocents côtoient les plus grands bandits qui se paieront demain leur liberté inconditionnelle à coups de liasses de dollars. Là où croupissent prisonniers politiques, femmes et gamins. Et j’en passe. De vrais voleurs, de vrais violeurs ? Je ne sais pas. J’ose en douter.
Kinshasa nocturne

Kinshasa fascine par le vent de folie qui s’est emparée d’elle. Danse Kinshasa. Danse. A Kinshasa, vieillards et jeunes dansent sans s’arrêter. Sur les boulevards, dans les boîtes, des salles sombres coincées dans les cités aux boîtes les plus branchées, on danse et l’on ne s’arrête pas. Les nuits congolaises. Les nuits qui permettent ce que le jour interdit. Ce serait un roman qu’il faudrait écrire pour dépeindre cet univers à part entière, presque une fresque balzacienne, tant elle réunit à elle seule toute une série de catégories sociales qui se croisent et se mélangent dans le but commun de s’enivrer des plaisirs artificiels que Kinshasa est prête à offrir à défaut de ne pas pouvoir offrir les choses les plus élémentaires.

Kinshasa la nuit offre un autre visage. Kinshasa la nuit fascine et répugne. Mais Kinshasa danse, encore et toujours. Danse Kinshasa. Danse.