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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Amandine BOUCARD – Escapade à Sumatra

Photos : CC BONBONGIRL

Photos : CC BONBONGIRL

J’avais oublié la pluie. Des averses quotidiennes d’une violence comme je n’en avais pas vécu depuis longtemps. Soudain c’est un océan entier qui se déverse sur les rues, douche chaude pour tous… Carnet de voyage.

… et bien vite le passage des voitures soulève des murs d’eau de chaque coté des carrosseries tandis que le macadam disparait sous la flaque gonflante qui assaillit la ville. Le ciel est noir. Et pourtant, les gens continuent de s’activer. Tous ces bonhommes aux carrefours qui armés de sifflets s’offrent à faciliter la circulation plus ou moins chaotique à grands moulinets de bras, des sans-travail me dit Indah, qui espèrent un billet tendu par une vitre parfois baissée. Les étals de fruits ont été recouverts de bâches plastiques et sous la lumière vacillante de quelques ampoules téméraires, les marchands observent de leurs tabourets le spectacle des cieux. Plusieurs hommes font encore travailler leurs mollets sur les pédaliers de leurs poussepousses. Et les motards s’entêtent à slalomer entre les véhicules, filant au plus vite -vers des abris peut-être ?- sans plus s’inquiéter de la visibilité nulle des conducteurs derrière le rideau aquatique de leur pare-brises. De Jakarta, direction Medan, en la très bonne compagnie de Yulia. Et de Medan, celle-ci m’entraina au lac Toba…
Ensorcellement

Après quelques heures de navigation aérienne, terrestre et fluviale, débarquement sur l’ile de Tuk Tuk et perte des repères : ne venais-je pas de traverser un Lock écossais ? Et au-delà des rizières basses, cette lande de fougères où apparaissent parfois des crinières de chevaux semi-sauvages, ne serait-ce pas un petit bout de Pays Basque ? Mais déjà nous entrons dans des pinèdes humides dignes du Limousin profond où je découvre toujours plus émerveillée des fougères arborescentes, végétal préhistorique comme tout droit sorti de Jurassic Park ou d’un manuel de biologie évolutive. Abritée dans cette diversité enivrante, la culture Toba[1] joue les charmeuses. D’abord, les habitations. Ou plus précisément, leurs toits. En forme de bateaux, ils s’ornent de bas-reliefs souvent peints de noir, blanc ou rouge sans excès, et essaiment dans le paysage leurs silhouettes courbes comme une invitation à s’y reposer. Les maisons sur pilotis sont construites sans clous, les simples ficelles et chevilles de bois s’agençant en une architecture astucieuse et légère, et dans lesquelles vous entrerez par une échelle de bois disparaissant sous le fronton orné de geckos protecteurs et autres symboles.

Nous sommes dimanche, le jour du Seigneur pour cette population majoritairement chrétienne. Ainsi, parents et enfants ont revêtus leurs plus belles tenues pour se rendre à l’église assister au sermon dominical. Après quoi, nous croisons ces dames rentrant tranquillement chez elles à grand renfort de causerie et mâchouillant du bétel qui leur imprime des coulées orange vif depuis la commissure des lèvres. Beaucoup portent nonchalamment à la main une petite croix faite de feuilles de maïs entrecroisées. De leurs cotés, les hommes se réunissent dans les gargotes pour partager du touak, l’alcool local, qui rappelle le vin de palme burkinabé : de couleur blanc cassé, doux, avec en permanence en surface le ballet des petites bulles de fermentation. Sous une paillotte où nous nous abritons du soleil un moment, la conversation s’engage et dévie bientôt sur les légendes de ces lieux… L’esprit du Lac, d’abord, que l’on ne doit pas offenser en lui jetant des ordures ni en prononçant de mauvaises paroles lorsqu’on le traverse. Chaque année disparait un bateau chargé de ses passagers, comme en sacrifice. Les tabous associés préservent encore les rives extérieures du lac de constructions à tout va ou d’acharnement industriel : il y a trop de mystique dans l’air pour ses affaires là. De même, nous apprenons que le petit autel en bord de route aperçu plus tôt est le lieu des « pierres qui respirent », phénomène tout aussi sacré que des touristes irrespectueux paieraient régulièrement de leurs âmes, disparaissant sans que jamais leurs corps ne soient retrouvés. Je me laisse bercer par ces histoires en remontant à moto. Nous verrons encore un vieil homme rentrer de l’église au trot sur son petit cheval, buste droit et regard amusé de se voir la cause de notre nouvel enthousiasme ! Et me voilà clamant que c’est ici même que je veux venir finir mes vieux jours, sur l’ile de Samosir, au cœur du plus grand lac volcanique du monde…
Retour à la « civilisation »

Puis il fut temps de rentrer au bercail urbain. Ayant loupé les derniers taxis, nous sautons dans un petit van qui fait la liaison vers Medan. Le bus public. Qui sitôt sorti de la ville nous a donné une magistrale démonstration pratique de l’expression « rouler à tombeau ouvert »… . Le bus est géré par un tandem de choc : le chauffeur, et le chasseur. Pendant que le premier fonce littéralement sur le macadam truffé de nids de poules, le second tend le buste hors de l’habitacle pour crier notre destination et attraper au vol les clients potentiels, non sans glapir d’impératifs « Bouge ! » aux motards et autres véhicules jugés trop lents sur notre voie. Ajoutez aux habitudes locales une rivalité ouverte entre deux bus faisant le même trajet en même temps, et votre chauffeur ne décolle plus sa semelle de l’accélérateur espérant arriver sur les prochains clients avant son concurrent. Nous étions dans une pure course poursuite, digne des plus grands films de mafia, mais c’était beaucoup moins excitant qu’au cinéma…

Combien de fois déjà ai-je mis ma vie dans les mains de chauffeurs de bus asiatiques ? Combien de fois encore ?

Enfin, nous sommes bien arrivées à destination, quatre heures plus tard, saines et sauves. Et sommes allées nous remettre de nos émotions devant un plat de nouilles sautées sur un trottoir. A Medan, je verrai encore : le coin des vendeurs de chauve-souris, elles sont énormes, superbes et … destinées à offrir leurs cœurs comme remède traditionnel à quelques personnes asthmatiques ; les églises suivant les mosquées et quelques temples hindous ; le tag « romantis » sur le pare-boue d’un camion : loin de la définition de notre adjectif romantique, une expression désignant les boules iissue de la contraction de trois mots : « fumer – manger – gratis »… ; des démonstrations d’affection entre hommes et femmes auxquelles le Laos m’avaient déshabituées; un centre commercial saturé de néons, de nourriture grasse, et d’ « achetables », triste refuge du weekend pour de nombreuses familles ; un gâteau au durian que je ne mangerai qu’à moitié, le gout en est trop fort.

Et dans l’avion qui me ramenait sur Jakarta, je fronçai les sourcils au ton de ce message de fin de vol : « la prise avec soi d’un gilet de sauvetage est considéré comme un délit criminel. Vos bagages peuvent être fouillés à votre passage dans l’aéroport. Merci de votre gentille attention ». Le monde civilisé recèle décidément de mystères d’absurdité et de vulgarité autrement plus inquiétants à mon gout qu’une légende de « pierres qui respirent ».

Photos : CC BONBONGIRL

Photos : CC BONBONGIRL