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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Sans nom – Trois wwoofers en Nouvelle-Zélande

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Risquer un pied dehors, à tâtons. Un mouvement retardé au maximum. Beaucoup de pluie aujourd’hui encore. Le reste suit. Un peu raidi. Cela fait deux jours que nous sommes coincés dans notre van… Récit d’un éco-voyage.

Une tempête a touché le nord du pays, faisant glisser par endroits des monceaux de terre sur les routes. Condamnant certains à prolonger leur escale dans de jolies criques embrumées. Pieds nus, je descends vers la plage. Contact des grains de sable imbibés, après l’herbe trempée et le goudron saturé. Une bouffée d’air frais indispensable après toutes ces heures passées dans nos quartiers rendus moites par le réchaud qui consume nos dernières provisions. Les habitants du hameau nous ont offerts quelques fruits et de l’eau potable, bien utile pour cuisiner notre réserve de riz.

Mon regard se laisse guider par les courbes des collines. Elles commencent à se détacher des cumulus qui barrent encore l’horizon. Dans son coin, solitaire, un préau. Des lumières y grelottent, à l’unisson. De grosses bougies nichées dans de petites calebasses. Elles dansent avec le vent.

Drôle de cliquetis quand elles s’entrechoquent. Presque mystique. L’onde se propage dans la baie, pour un instant silencieuse.

Hypnotisé, je fais quelques pas de loup, bercé cette ambiance curieusement chaleureuse. Elle m’enveloppe d’un coup, très doux malgré tout.

Hélas, l’orage revient à la charge. C’est la fin de balade. J’essaie de résister, les poings serrés, dans mon bel ensemble caleçon-maillot-de-corps sur chaire de poule. Mais le bruit de l’ondée couvre bientôt tout le reste.

La vision vacille sous les grosses gouttes. Il faut se replier dans l’abri de fortune. On dit comment déjà, dans ces cas là ? Illuminé ?

Cela fait trois semaines que je les suis, et je commence à mieux comprendre la tranquillité qui se dégage d’eux depuis qu’ils sont ici. Le fait de prendre son temps, de le perdre un peu même. Volontairement, et d’une manière tellement plus enrichissante. Les plus motivés le font en stop. Nous sommes déjà un peu des bourgeois avec notre super van à la mécanique poussive.

Trois wwoofers. Avec l’envie, comme d’autres, de voir du pays, d’expérimenter des modes de vie alternatif, de prendre un peu de distance avec le système marchand. Ce n’était pas encore trop mal vu quand on s’y est mis, il paraît que ça commence à l’être dans certains pays. C’est vrai quoi, c’est la crise, c’est pas le moment d’arrêter de consommer.

Wwoofer vient de Wwoof, une organisation à but non lucratif qui tente de rapprocher les fermiers pratiquant l’agriculture biologique et les voyageurs disposant d’un petit budget.

World Wide Opportunities on Organic Farms.

Aucune contrepartie financière d’un côté comme de l’autre. L’un offre le gîte et le couvert. L’autre participe aux travaux de la ferme, aux travaux ménagers, sur la base d’un mi-temps. Les détails peuvent se négocier à l’avance au téléphone, et l’organisation, présente dans le monde entier, et tout particulièrement en Nouvelle-Zélande, veille à ce que ces règles soient bien respectées.

Il est d’ailleurs plus difficile pour un hôte de se débarrasser d’un squatteur qui n’en fiche pas une que pour un invité de se faire la malle s’il n’a pas suffisamment de temps libre à son goût, ou simplement si le courant ne passe pas. Notre écovillageoise de Whaieke Island en aura fait l’amère expérience.

Pensée pour les habitants de Golden Bay, où nous avons fait connaissance avec Mister Pick, Misses Shears, entre autres outils baptisés par notre hôte comme s’il s’agissait d’êtres vivants. De cueillette en plantation, ils nous auront expliqué leur vision de la régénération du bush.

Dans l’immense majorité des cas, tout le monde est content de l’échange, qui permet de partager la vie d’une famille ou d’une ferme un peu plus grande pendant quelques jours, quelques semaines, voire même quelque mois. Tendance voyage au long cours, au rythme des saisons.

Seule limite, la capacité des différents intervenants à se supporter.

Ceux qui ont déjà beaucoup voyagé, comme nos amis de Whangareï, tour à tour allemands, turques, indiens, gitans néo-zélandais et que sais-je encore, peuvent continuer à le faire depuis leur domicile fixe grâce à la ronde d’oiseaux de passage qui fait un détour par leur foyer.

Ils nous apprendront des techniques d’enfumage du sol que nous ne connaissions pas encore. Tout juste descendus de la montagne du sage de Mangamimi, nous leur parlerons de toilettes sèches, de gestion de l’eau et de permaculture. L’information va dans les deux sens.

Les Apaches que j’ai rejoint ont même tenté d’aller plus loin encore, en diffusant plus largement ce qu’ils glanaient. Ils ont obtenu une bourse Défi Jeune pour ce projet consistant à transmettre leur expérience à l’aide d’un site Web et d’une publication locale, avec l’appui d’une association permettant d’envisager une exposition à leur retour.

Il n’est pas nécessaire de se voir comme un militant de la cause écologique pour participer à cet échange en réseau, de nombreux hôtes ne se réclament pas spécialement de ce credo, quand bien même leur attitude va largement dans ce sens. Ils veulent juste faire les choses bien, pour leurs terres, et donc pour eux-mêmes. En suivant ce bel adage maori, entendu du côté de Raglan : « if you look after the land, then the land will look after you ».

Chez les wwoofers, il n’est pas rare de rencontrer des fans de voyage plus que d’écologie, même s’ils vont naturellement enrichir cette sensibilité. Tout juste naissante, elle peut d’autant plus grandir.

Comment ? Simplement en travaillant la terre en plus de la parcourir. En descendant de nos tours bétonnées, de centre ville ou de banlieue, sans prétendre faire un retour en arrière. Ce n’est souvent qu’un passage plus ou moins long, qui n’amènera pas forcément à devenir agriculteur ou à construire soi-même sa maison, mais qui permettra de mieux comprendre, de ne pas s’en tenir à la si belle théorie. Les techniques que les wwoofers apprendront et transmettront à leur tour sont aussi bien issues de traditions plus anciennes que de trouvailles modernes. Elles permettent de modeler notre environnement sans trop le perturber, pour vivre en harmonie avec le reste de la biosphère. Un objectif loin d’être utopique même s’il prend du temps. C’est donc tout sauf une mauvaise chose que d’apprendre à le prendre.

Il y a bien des fois où l’on pense à se faire exfiltrer. Quand cela fait dix jours que la douche à été remise au lendemain, à cause d’une promenade plus longue que prévue dans un coin paumé, une vaste région laissée aux mains d’une nature exubérante. Ou encore lorsque l’on tombe sur des hôtes qui n’ont prévu pour vous qu’un dortoir minuscule, entassés avec la marmaille, en vous proposant de la nourriture un peu faisandée pour couronner le tout. Habituellement, les wwoofers ont droit à une petite pièce ou à une petite caravane à part. Les menus, souvent végétariens, n’en sont pas moins l’occasion de découvrir une gastronomie à même de faire réfléchir le plus convaincu des carnivores.

Ce genre de périple est surtout l’occasion de faire une série de rencontres et de découvertes inattendues, qu’il s’agisse de paysages cotés plusieurs millions de dollars par des promoteurs immobiliers heureusement refoulés, ou de gros bras reconvertis dans l’organic farming à leur sortie de prison.

Une pratique du voyage exigeante, mais qui préfigure ce que le tourisme pourrait devenir au XXIème siècle si le bon sens devait l’emporter. Solidaire, responsable et raisonnable.