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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Marie PERRUCHET – 4000 kilomètres en train à travers la Chine

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Shanghai est une ville bruyante qui crache, qui crie et qui crisse. Voilà ce que je dis à mes amis, sans détours, lorsqu’ils m’interrogent sur les premières impressions de mon séjour au pays de Mao. Evidemment, ça amuse la galerie et encore plus, quand je décris la fraîche et pimpante shanghaienne, menue, la bouche colorée, le faux sac Gucci au bras qui, sans crier gare, dépose sur le trottoir ses mucosités indésirables. Une paysanne aux joues colorées et aux dents jaunies, passe encore, mais un oiseau de paradis perché sur talons, c’est une image à raconter. Bruyante ville aussi…les premières fois où je prenais le taxi, j’avais toujours l’impression de m’engager sur un ring de joutes verbales. Le dialecte shanghaien n’est-il pas réputé pour être la langue la plus appropriée pour échanger des amabilités? Ce que je prenais pour un coup de colère du conducteur, n’était finalement qu’un échange courtois sur le ciel dégagé de Shanghai. Quant au crissement, je pense au bruit des marteaux-piqueurs qui font, défont et refont les quartiers des anciennes concessions étrangères, les élevant toujours un peu plus hauts chaque jour, défiant les lois de la gravité. Il fait donc bon d’avoir les tympans solides quand on habite à Shanghai.

Ce n’est plus mon cas, je ne dors plus la nuit et encore moins le matin. Fini les grasses matinées. Le collectionneur de cartons débarque aux aurores sur son vélo, criant à tue-tête, suivi de près par le ramasseur de produits électroménagers, lui aussi sur son vélo mais la gorge moins asséchée. Il a investi dans un haut-parleur électronique, accroché sur son guidon, qui passe en boucle, « air conditionné, frigidaire, air conditionné, frigidaire » et d’autres mots qui ne font pas encore partie de mes premières leçons de mandarin. Alors voilà, lasse de cette vie étourdissante, j’ai décidé de prendre le large. Partir loin. J’ai donc étudié la carte de la Chine. Et le plus loin s’est avéré être la région du Xinjiang, tout à l’ouest, voisine de l’Asie Centrale. Je n’en connais pour l’instant que le raisin et les abricots secs que vendent les migrants de cette région sur des carrioles à l’angle de ma rue. Mon estomac, tenté par la gourmandise du débutant, n’en a pas gardé un agréable souvenir. Mais il a cette chance de n’être pas rancunier et il donc prêt à affronter la traversée de la Chine.

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Quarante-deux heures de train. Voilà ce que m’annonce le guichetier à la gare centrale de Shanghai. J’écarquille les yeux puis je ris. Pour aller de Shanghai à Urumqi, capitale du Xinjiang, il faut deux nuits et trois jours. Me voilà donc embarquée dans l’aventure ferroviaire chinoise, direction la Chine aux yeux bleus bridés, si particuliers à la région d’Asie Centrale. Dans la salle d’attente de la gare, je regarde la foule et comprends que le nouvel arrivant puisse se sentir parfois oppressé. Large étendue d’yeux et de cheveux noirs, qui attendent bardés de sacs en plastiques remplis de nourriture séchée ou de nouilles déshydratées, celles-là mêmes qui faisaient la joie de mes repas d’étudiante fauchée. Tous semblent équipés de l’incontournable compagnon : le thermos de thé, qu’ils rempliront toutes les heures au long du voyage. Une dizaine de minutes avant le départ du train, les grilles s’ouvrent, c’est la cohue. J’aime la justesse des horaires chinois. Pas de surprise. Pas d’attente. Pas de grève. Emmenée par la foule, je me retrouve comme prévu, dans le wagon deuxième classe, à six couchettes par compartiment. On fournit les draps et les couvertures, secoués à chaque terminal mais qui restent malgré tout empreints des traces et des odeurs des grands parcours.

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Le train atteint une vitesse de croisière de 70 km/h, roule parfois de façon saccadée, voilà pourquoi les couchettes du bas sont plus chères et préférées des Chinois, car le bercement est plus stable. Mais moi je déteste qu’on mette ses pieds sur mon lit alors je suis bien heureuse de surplomber le couloir depuis ma couchette perchée. Débute alors la raison pour laquelle j’aime prendre le train, regarder la vie sans écran. Mieux que la télé, avec un meilleur son d’ambiance. Hélène Rollès sait-elle d’ailleurs qu’elle fait un tabac dans les trains chinois ? « Hélène, je m’appelle Hélène » passe en boucle. Chanson typique de l’amour à la française. Mon mandarin est trop limité pour leur expliquer les déboires d’Hélène et les garçons. Quel dommage. Je suis certaine que les Chinois changeraient d’avis sur l’amour à la française. Les joies et les peines d’Hélène n’ont en tout cas pas l’air de perturber les voyageurs. Les habitués jouent aux cartes, les jeunes regardent des films sur leurs ordinateurs taïwanais et les autres, ennuyés, dorment ou postillonnent des graines de tournesol. Un peu la vie de famille sans en faire partie. La promiscuité sans la gêne.

17.00, c’est la ruée vers le restaurant décoré de petites dentelles vieillottes. Ca fume, ça rit et ça mange très vite. Au menu, riz, soupe claire, porc baignant dans l’huile. A 22.00, derniers crachats dans les lavabos puis les lumières s’éteignent.

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4 heures du matin, le train s’arrête et fait monter des voyageurs en pleine forme. Du haut de ma couchette, j’oublie mes manières, je prends mon masque qui me cache la lumière et frappe l’épaule du bavard pour lui signifier que quatre heures n’est pas une heure pour discuter.

6 heures. La douce musique du haut-parleur se met en marche avec un « bonjour mon ami ». Cette familiarité me touche et m’est plus agréable que les glapissements de mon voisin au téléphone. Je m’étonne toujours de constater que n’importe où dans le monde, quelqu’un qui parle au téléphone parle toujours fort. Le couloir se remplit de Chinois, grimaçants de douleur, les bras levés et le buste baissé, exécutant à l’unisson les mouvements de gymnastique égrenés par l’interphone.

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L’odeur des premières cigarettes commence à envahir le wagon, tout comme celle des tasses de pâtes déshydratées au poulet ou au bœuf. Ma tête m’envoie des pensées contradictoires de sucré-salé alors que mon ventre crie famine. La nouille fumante a raison de moi et m’envoie dans le couloir à la recherche de gâteaux secs. Je me pince les narines en passant devant les toilettes, aux émanations toujours plus chargées. Quand il n’est pas bouché par un clapet, je trouve la vue depuis le trou des toilettes fascinante. Tous ces rails qui défilent, on dirait une peinture. Mon paquet de biscuits sous le bras, je regagne mes pénates pour socialiser avec mes voisins. Regards, sourires, d’où tu viens, où tu vas, la conversation est douce et familiale, bercée par le doux roulis du train, entrecoupées par les paysages ronds et géométriques des zones que l’on traverse. J’aurais aimé voir les montagnes mais c’est de nuit qu’on les franchit. De toute façon, la nuit ne m’inspire pas. C’est de jour que je pense, le nez à la vitre, à tous les possibles. Les transports m’ont toujours passionnée. Train, bus, voiture, moto, vélo. Seul le train n’a pas son pareil pour l’évasion. Sauf les trains à grande vitesse. Trop vite arrivés.

Les couleurs s’enchaînent, les paysages se suivent et le train avance toujours un peu plus. Et la vie continue. Les personnages s’agitent, dorment, commentent le voisinage, rangent, rotent, pètent et fument. Quelques voix émergent de temps en temps, couvertes par la musique du haut-parleur. Un concentré de vie, brute, sans filtres. Un plaisir pour qui n’a pas la chance d’entrer dans les maisons privées des Chinois, un peu réticents à faire partager leurs vies intérieures aux étrangers.

4000 kms après, des centaines de litres d’eau chaude consommée et des milliers de mégots jetés, le crissement des rails annonce l’arrivée du train en gare et la fin d’un voyage en Chine. L’heure officielle est celle de Pékin, mais ici à Urumqi, on a deux heures de décalage horaire. Deux heures en moins qui amplifient cette sensation d’abrutissement et de dépaysement. C’est la terre ouïgoure, celle d’une des plus grandes ethnies musulmanes chinoises, me raconte mon guide de voyage. Je lis qu’il me parle aussi de marchés, d’ânes tirés par des charrettes, de mosquées en briques, de cultures vinicoles à perte de vue, de brochettes de moutons, d’épices et de route de la soie. Je n’en doute pas. Je suis une voyageuse déjà repue avant même d’être arrivée. 42 heures de train ne sont pas de trop pour se préparer à apprécier ce que promet le guide.