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Manon LIDUENA – Antipodement vôtre

antipode

Deux îles perdues au bout du monde. Une population méconnue. La Nouvelle-Zélande se découvre d’abord dans le cœur de ses habitants, discrets et originaux, à l’instar de leur emblème, le kiwi…

Si ce pays ne vous évoque que le rugby, la trilogie du Seigneur des Anneaux, ou pire, une région d’Australie, lisez la suite. Car cette nation a une identité propre, dont les habitants vous parlent avec fierté autour d’une bière locale et d’un burger à la betterave.

Au volant de mon camion rouge, je suis partie à la rencontre du « pays du long nuage blanc », et de l’esprit kiwi. Deux peuples pour une terre. C’est la première chose qui frappe lorsqu’on pose le pied en Nouvelle-Zélande. Des panneaux routiers aux avertissements sur les paquets de cigarettes, tout est écrit en anglais mais aussi en maori. Les Kiwis – comme ils se surnomment – sont deux peuples vivant dans le même pays. Pourtant, en 1840, quand le premier gouverneur de Nouvelle-Zélande serra la main du « rangatira maori » (chef Maori) qui avait signé le Traité de Waitangi[1], il déclara « He iwi tahi tatou » « Maintenant, nous sommes un peuple ». [2] Ce qui sous-entendait pour les Pakehas [3] que ce peuple devait suivre le modèle britannique. C’était sous-estimer les Maoris. Arrivés entre 500 et 800 après JC, ils se considèrent comme « tangata whenua ». En d’autres termes, un peuple originel qui a nommé l’île du nord Aotearoa (Pays du long nuage blanc) et l’île du sud Te Wai Pounamu (Là où se trouve le jade). Pendant des siècles, les Maoris gardent leur terre, combattant rageusement les colons. Cette âme de guerriers leur a permis de conserver une place primordiale dans la société néo-zélandaise. « As-tu vu Once were warriors?.[4] » me demande un Maori surnommé V (l’équivalent néo-zélandais du Red Bull), sur une plage de l’île du sud. Oui et ça valait le coup (de poing). Banlieue d’Auckland. Années 80. Une famille maorie se déchire, minée par la misère, la violence et l’alcool. Le Seigneur des Anneaux est bien loin. Et mes préjugés sur ce pays n’ont pas fini de s’effondrer.

Pas de kangourous chez les kiwis. Pour comprendre les Néo-Zélandais, je dois d’abord saisir ce qu’ils ne sont pas, Australiens. J’apprends très vite à ne pas taquiner leur susceptibilité nationale. Non, il n’ y a pas d’attaques de requins mangeurs d’hommes sur les côtes néo-zélandaises. Ni de serpents mortels, d’ailleurs. Ces petits bonus exotiques sont réservés aux « Aussies ». La série culte Flight of the Conchords[5], interprétée par deux acteurs originaires de Wellington, la capitale, joue sur cette confusion permanente. Bret et Jemaine sont deux musiciens prêts à conquérir New-York avec l’aide de leur manager-agent touristique Murray. Encore faudrait-il qu’on cesse de les prendre pour deux Australiens en vacances. Pourquoi cette ignorance ? Bret et Jemaine viennent d’un pays lointain où l’on compte seulement 4,1 millions d’habitants pour 39,3 millions de moutons. Je ne mentionne ni les vaches, ni les lamas. Cela n’excuse pas la confusion, mais l’explique en partie. Malgré tout, les Néo-Zélandais ne se formalisent pas outre-mesure de cet amalgame et restent très accueillants. Ici, on va au devant de l’autre, sans jamais le mépriser. On aborde l’étranger avec curiosité et confiance.

A la poursuite de la pounamu. « Kia ora a Aotearoa »[6] Les mots sont dits dès l’arrivée à l’aéroport d’Auckland et ne seront jamais retirés. Je suis la bienvenue ici. Pour le confirmer, Nick, mon ami néo-zélandais, m’offre une greenstone[7] ou pounamu. Très dure, cette pierre verte est sacrée pour les Maoris qui s’en servaient d’armes et d’ornements. Elle ne peut qu’être offerte ou trouvée. Au 19e siècle, des milliers d’hommes ont consacré leur vie à la recherche de cette pierre semi-précieuse, nichée dans les rivières de Nouvelle-Zélande. C’est l’un des symboles de la nation. Ici on accueille avec joie le voyageur. Parfois, l’insistance avec laquelle les locaux me vantent leur pays semble trahir un besoin viscéral d’être appréciés. « Do you enjoy New Zealand ?» semble être une autre manière de saluer. A la station essence, au surfshop, tous s’inquiètent de savoir si j’apprécie le pays. Cette chaleur humaine m’entoure en permanence. Comme cette fois, où j’ai rencontré Robyn et Malcolm qui louaient des planches de surf sur Ninety Mile Beach ; une plage de sable blanc qui s’étale sur 145 km, à la pointe de l’île du Nord. Après quelques minutes de conversation, ils m’ont invitée à prendre le café, une douche, puis à dormir dans leur champ et à revenir le lendemain. « Sweet as bro » Comme on dit ici!

Sweet as bro. En d’autres termes, « tout va bien, ça le fait ». Avec les Néo-Zélandais, tout peut le faire, tout peut se faire. La débrouillardise est ici élevée au rang de valeur nationale. Les Kiwis se targuent de faire le plus avec le moins. Un Kiwi qui se respecte possède un « shed », un atelier où il peut bricoler sans relâche. J’ai même l’occasion de feuilleter – très brièvement – Shed Magazine qui titre « Comment fabriquer un pot d’échappement avec une canette de V ». Pour illustrer l’esprit astucieux des siens, Nick me montre le film The world’s fastest Indian[8], l’histoire vraie de Robert Munro, un as de la débrouillardise et de la mécanique. Pendant des années, il a amélioré sa moto à grands renforts de bouchons de liège et autres ustensiles de cuisine, sans quitter son « shed » d’Invercargill. A la fin, il bat le record du monde de vitesse dans sa catégorie. Ce long-métrage révèle la foi inconditionnelle des Néo-Zélandais : Kiwis can fly. Traduction : tout est possible.

Vol au dessus d’un nid de kiwis. Car les kiwis, les oiseaux cette fois, n’ont pas d’ailes. Ce kiwi si emblématique, que je pensais rencontrer à tous les coins de rue, est en réalité très rare. Animal peureux et faible, il a trouvé refuge en Nouvelle-Zélande, terre vierge de grand prédateur. Pas très valorisant comme symbole. Cependant, les Néo-Zélandais le voient d’un œil bien plus optimiste. Pas besoin d’ailes pour voler. Une litanie que je vérifie à l’Acro Fest, compétition estivale d’acrobaties en parapente, située à Queenstown, dans l’île du Sud. La ville, construite sur un site montagneux d’une beauté à couper le souffle, vit au rythme des sensations fortes, des démonstrations de saut en parachute, saut à l’élastique et autre base jump – variante du saut à l’élastique, sans l’élastique. Tous les siphonnés du pays se retrouvent ici, dans le temple des sports extrêmes, pour repousser les limites de la gravité. Autour de moi, des pilotes de parapente, deltaplane et autres objets volants se pressent pour se lancer du sommet de la montagne et tourbillonner au-dessus du lac bleu turquoise de Wakatipu. Les « sweet as bro » fusent, tandis que ces gros insectes de toile virevoltent sans répit. Il ne me faut pas cinq minutes pour applaudir ces Kiwis déjantés. Après tout, quoi de plus intense que de repousser ses limites ? Je me sens pousser des ailes… de kiwi.

[1] Annexion de la Nouvelle-Zélande par la Grande-Bretagne en 1840

[2] Two peoples – One land / A history of Aotearoa/New Zealand – Elsie Locke – 1988 GP Publications

[3] Les blancs en langue maorie

[4] Réalisé par Lee Tamahori, 1994

[5] Réalisé par James Bobin, Bret Mackenzie et Jemaine Clement, 2007

[6] Bienvenue en Nouvelle-Zélande

[7] Pierre de jade

[8] Long-métrage réalisé par Roger Donaldson, 2005

Lien photo: http://www.flickr.com/photos/geoftheref/374923987/sizes/o/