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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Jean-Philippe MAJEWSKI – Les cendres du camp d’Al Feneiq

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Il y a 60 ans, les Nations Unies décidaient de partager la Palestine pour y créer l’Etat D’Israël. Depuis, sept millions de Palestiniens (source ONU 2008) ont été déplacés de leurs habitations. S’accrochant à l’espoir de regagner un jour leurs terres, ils se sont installés dans des camps de fortune. Du provisoire qui est rapidement devenu définitif.

Le chemin qui mène au camp de réfugiés d’Al Feneiq est pentu et caillouteux, il faut avoir les chaussures bien accrochées pour ne pas trébucher. Pourtant situé en plein cœur de la ville sainte de Bethléem, le quartier ressemble à un village coupé de la civilisation. 16 000 réfugiés habitent ici. Au loin, on entend les voitures de la ville. L’odeur des jasmins bordant la rue se mélange à celle des ordures entassées ici et là depuis un temps indéterminé. Un nombre impressionnant de chats, presque sauvages, s’occupe du tri sélectif en écumant le fond des poubelles. Des cris d’enfants surgissent du bout de la route étroite, ils font la course derrière un ballon dégonflé. De temps à autre, une voiture passe et joue du klaxon pour les disperser. De chaque côté de la rue principale se succèdent des cabanes de béton, construites et collées les unes aux autres de façon anarchique. Les ruelles adjacentes forment un labyrinthe grandeur nature, ne laissant pas passer le soleil, pourtant au zénith.
De la tente à la maison

«En 1956, après dix années passées sous des tentes, nous avons commencé à construire les premiers Shelters – abris en béton de quelques mètres carrés –, lorsque nous avons compris que nous ne rentrerions peut-être jamais chez nous» explique Najih. Ce Palestinien, lunettes de soleil opâques et moustache noire imposante, est en charge de l’organisation du camp de réfugiés depuis plusieurs années. Chaque jour, il se lève à l’aube et parcourt les ruelles exiguës à la rencontre des gens. «As-Sâlam aleïkum» – que la paix soit sur vous – adresse-t-il chaleureusement à chaque habitant qu’il croise. Il balaye le village avec son doigt : «Nous recevons de l’aide internationale, mais pour ce qui est des habitations, aucun financement n’est accordé» s’étonne-t-il. Pour survivre, le camp de réfugiés reçoit des subsides des Nations Unies, via l’UNWRA – l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient –, essentiellement pour l’aménagement du terrain et pour la mise en place de programmes d’éducation. Une jeune fille voilée, les bras chargés de livres, salue respectueusement Najih, et presse le pas pour rejoindre l’école.
Le sens de la solidarité

«Pour nos logements, on ne peut compter que sur nous-mêmes». Il faut donc trouver des moyens. «Aujourd’hui, nous essayons de construire de vraies maisons, avec un minimum de confort, car vivre dans des abris n’est plus tenable…» s’indigne-t-il. Au-dessus des petites cabanes poussent de véritables maisons encore en chantier. En attestent le rythme incessant des marteaux, les sacs de béton qui s’entassent et les nuages de poussière stagnant ici et là. Pour construire ces nouvelles maisons, les réfugiés organisent des campagnes auprès des fabriques palestiniennes afin qu’elles leur fournissent gracieusement du matériel. Ensuite, des bénévoles du camp érigent maison par maison, en fonction du matériel récolté. Tout le monde apporte sa pierre à l’édifice pour offrir à chacun une qualité de vie décente. Ici, la notion de solidarité prend tout son sens.

Un château de cartes

Plusieurs parcelles du village sont ravagées et laissées à l’abandon. Des enfants jouent dans les décombres envahies par les herbes folles et chantent des comptines en arabe. A leur place se tenaient des abris de réfugiés, aujourd’hui détruits par l’armée israélienne, officiellement pour cause de menace terroriste. Selon la loi israélienne, appliquée dans le camp pourtant situé en territoire palestinien, si une cabane est démolie, personne ne peut déblayer ni reconstruire à cet endroit. Un mécanisme malicieux, conçu pour empêcher la population «de ne pas trop s’installer», se désole Najih. Pas d’autre choix alors que de s’adapter et de reconstruire par-dessus les petites cabanes. Exercice de construction périlleux que s’étendre vers le haut sans déborder sur les ruines alentours. Plusieurs couches de béton se superposent fragilement, à l’image d’un château de cartes instable et branlant.
Une vie au jour le jour

Dans les rues, dessinés ou collés aux murs, nombreux sont les portraits peints ou imprimés des habitants qui ont été arrêtés par l’armée israélienne. «Il y a des emprisonnements toutes les semaines» précise le responsable du camp. Des incursions que l’Etat d’Israël justifie par des raisons de sécurité. «Ils viennent souvent arrêter des jeunes qui, adolescents ont lancé des pierres contre le mur ou les soldats, le plus souvent par désespoir. Une fois atteinte leur majorité, ils sont emmenés en prison où ils passeront plusieurs années de leur vie, car ils sont considérés comme des terroristes» s’attriste le responsable du centre. Etre tiré de son sommeil en pleine nuit et voir pénétrer chez soi des hommes armés pour vous emmener, voilà la pensée omniprésente dans la tête de chaque habitant du centre de réfugiés. Une vie au jour le jour, caractéristique d’un peuple qui peine à croire encore en l’avenir.
Une bouffée d’oxygène

L’unique petit magasin du camp est le point de rencontre par excellence. Un endroit rassurant, un point de repère convivial et communautaire. Chacun vient y chercher une oreille attentive et du réconfort, en plus d’y faire ses courses. Quatre rayons débordent d’une variété impressionnante de produits: des confiseries au chocolat en passant par la lessive, les cartes de téléphone portable ou encore le célèbre soda rouge. On y trouve de tout, mais en quantité limitée. L’odeur des épices se mélange à celle des olives fraîchement cueillies et disposées dans de grands sacs de jute devant l’entrée. Une senteur qui embaume tout le magasin. La radio, posée sur la caisse enregistreuse d’un autre âge, déverse un flot ininterrompu d’informations en langue arabe, telle une fenêtre sur le monde extérieur. A proximité de la boutique, des hommes partagent le thé palestinien, mélange de thé noir agréablement parfumé de gingembre et de menthe poivrée.

Renaître de ses cendres

Sur de nombreuses maisons, de grandes fresques peintes arborent des symboles de liberté. L’espoir de vivre un jour en paix, que le mur de séparation, haut de neuf mètres, disparaisse pour de bon, tout s’exprime intensément à travers ces peintures multicolores. «Ma femme et moi pensons à chaque seconde à l’avenir de nos enfants… Pour eux, je rêve de paix, je rêve d’un seul Etat, d’un seul gouvernement. Mais surtout pas d’un Etat religieux, ni juif ni musulman…» s’emporte Najih. Le terrain sur lequel se situe le centre Al Feneiq a été loué par l’UNRWA pour 99 années. Le bail, déjà bien entamé, arrivera rapidement à son terme. Najih poursuit, ému : «Par la force des choses, nous sommes ici chez nous. Maintenant, nous ne savons pas ce qu’il va advenir de nos familles à la fin de ce bail. Il ne nous reste que l’espoir…». Cette dernière phrase retentit comme un écho sur les murs peinturlurés. Un long silence, pesant, gagne la rue. Le camp Al Feneiq – qui signifie «le Phoenix» – est devenu un symbole pour ses habitants. Ils rêvent qu’à l’image de l’oiseau mythique, leur campement puisse renaître de ses cendres, et devenir après tant d’années leur terre définitive.