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J. WACH-CASTEL – Les (h)ombres d’Amérique latine … classes populaires

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Voilà déjà deux mois que je voyageais lorsque je suis arrivé dans la région de Los Rios (des fleuves) au Sud du Chili. Cette région est connue pour sa capitale en bord de mer, Valdivia, et ses sept lacs dans la cordillère: Pellaifa, Calafquen, Panguipulli, Lácar (Argentine), Pirehueico, Neltume et Riñihue. Ils ont la particularité de se déverser les uns dans les autres et finalement décharger leurs eaux dans le seul Río San Pedro.

Quelque temps auparavant, j’avais rencontré Mauricio sur Santiago, dans les locaux d’une télévision communautaire. Militant de longue date, il habite là-bas, à Panguipulli, dans la Cordillère, zone ultratouristique où s’effectuent rafting, canyoning, randonnées ou encore bains en eaux thermales. Il m’a appris une autre particularité des sept lacs: trois entreprises y ont sept projets de centrales hydroélectriques en cours, mis en place sans relation les uns avec les autres, avec un objectif de création de 1258 Méga Watts.

Dans les journaux, on entend parler de desarollo, soit développement. Ce mot est mis à toutes les sauces, accompagné de social, économique, industriel, ou encore écologique. C’est de ces différentes manières que sont qualifiés les projets. Et ses détracteurs ne seraient que des Mapuches – peuple indigène, originaire du Chili – qui s’indigneraient pour des questions de religion. Or Mauricio est plutôt du type hispanophone, vivant en ville et dont la mère tient une maison qui fait restaurant et chambre d’hôtes. Je suis donc sur place pour comprendre pourquoi la population parle de fléau environnemental, d’assèchement de rivières, d’inondations de terres….
Mais qui sont-ils ?

Le plus gros projet de centrale est à Neltume, avec la création de 400 Mw. Il est de la transnationale Endesa, au capital espagnol, qui possède actuellement les droits sur 80% des eaux du pays. Son principal actionnaire, ENEL, est la transnationale (italienne) majoritaire pour la gestion de l’eau en Amérique du Sud. Endesa a un second projet à Choshuenco avec la création de 134 Mw.

Il y a ensuite l’entreprise Norvégienne SN Power dont la filial Trayenko a quatre projets, à Maqueo (320 Mw), à Liquiñe (118 Mw), à Pellaifa (108 Mw) et à Reyehueico (34 Mw). Les autres pays où se trouve SN Power sont tous dans l’hémisphère sud, en pays émergents.

Enfin, il y a Colbun, entreprise chilienne qui ne possède qu’un projet, San Pedro, pour la création de 144Mw.
Pourquoi la majorité des fleuves peut-elle être exploitée par des entreprises étrangères ?

Il faut se replonger dans le passé et se rappeler que le Chili, comme nombre de pays d’Amérique du Sud, a connu une histoire mouvementée. De 1973 à 1990, une dictature a sévi dans le pays, puis pendant dix-huit ans, un régime de transition a été mis en place. Or, pendant cette longue période, la constitution a été modifiée, transformant notamment l’eau, qui était jusqu’alors un bien public en un bien commercial. C’est à dire que le droit de l’eau peut se louer, et ceci sans son exploitation obligatoire, ce qui permet une spéculation.

Mais, dans le cas présent, ces droits sont souvent offerts aux entreprises. On se retrouve donc avec un méga projet qui ne rapportera pas d’argent de manière directe. Qu’en est-il du reste ? Apport de travail, construction d’infrastructures, développement économique, transformations environnementales ?
Sept centrales sur 100 km de rivière ?

Pour disposer de l’énergie nécessaire pour faire tourner les turbines, il est prévu de détourner, à l’aide de canaux souterrains, les différentes affluents du fleuve San Pedro, puis de rejeter l’eau dans un seul et même cours d’eau.
En quoi tout ceci est très grave ?

Pomper l’eau de ces cours d’eau signifie à moyen ou long terme les assécher et donc n’avoir plus aucune ressource pour la faune, la flore mais pour l’homme non plus.

Dans l’autre sens, déverser toute l’eau dans un même torrent signifie multiplier par cinq à dix son débit et ainsi entraîner de probables inondations. Sur une terre où se situent des habitations, des champs, mais encore un cimetière ancestral à Coñaripe, un lieu de culte de 300 ans d’existence sur Liquiñe ou les plages du lac Pellaifa…

Au niveau environnemental, on semble plus proche de la catastrophe que du développement, d’autant plus que les lignes de haute tension traverseront le paysage.
Los Siete Lagos, région touristique, jusqu’à quand ?

La zone de Panguipulli, grâce au secteur touristique représente 3,05% du PIB du pays, soit une activité économique très forte, source de nombreux emplois. Actuellement, tous les tracés de canaux souterrains, rivières détournées, sources asséchées ne sont pas connus, certains étant encore en étude et d’autres tout simplement cachés pour éviter le mécontentement des populations.

En effet, sans eau en amont et avec un débit cinq à dix fois supérieur en aval, comment continuer les activités telles que le rafting ou le kayak ? Comment, lorsque les sources d’eaux chaudes sont pompées, continuer à proposer des sources d’eaux thermales aux touristes ? Un dédommagement monétaire est proposé à certains gérants….

De plus, de nombreux cours d’eau souterrains existent, ils seront détournés pour le besoin des centrales. Un problème se pose, aucune étude n’a jamais été réalisée et n’est en projet pour connaître les ramifications de ces cours d’eau. C’est à dire que plusieurs projets peuvent théoriquement baser leurs études sur le même cours d’eau… mais dans la pratique, seul celui en amont y aura accès, l’asséchant pour ceux en aval. Ceci montre que les pronostics de création d’électricité sont abusifs et incorrects.

Mais pas de problèmes, car actuellement, pas moins de vingt projets de centrales hydroélectriques sont en cours au Chili en plus de celles déjà en place. Pourquoi autant ?
Éteins ta lumière, nous manquons d’électricité !… Nous ?

Depuis ces dernières années, le gouvernement chilien a mis en place une campagne sur le besoin d’électricité, son utilisation et la manière de l’économiser. En effet, des études montrent que d’ici à 2015, il y aura une carence en électricité, une crise énergétique.
Mais qui a vraiment besoin de cette énergie ?

Des études du CNE montrent que 75% de l’énergie est utilisée par le commerce (11%), l’industrie (29%) et les mines (35%), alors que la population n’en utilise que 17%.

L’énergie électrique qu’ils disent tant nécessaire serait donc utilisée pour développer les projets miniers et industriels qui suivent la logique de transformer les ressources naturelles des chiliens en capital. Les bénéfices vont aux compagnies minières et industrielles, et ne satisfont pas les besoins de la population, d’autant que les droits d’exploitation ou d’extraction sont souvent offerts.
Alors pourquoi les laisser construire ?

Les transnationales parlent de création d’emplois mais la population n’est pas formée au maniement des machines et encore moins diplômée pour gérer les centrales, alors, à part pour du travail de signalisation et construction de routes, il n’y aura guère de création d’emplois. De plus avec l’impact sur le tourisme, de nombreux emplois disparaitront, dans le domaine de la restauration, de l’hôtellerie, des activités touristiques…

En contrepartie, les entreprises se proposent de payer les études des enfants, construire une route ou une école là où elle manque. Ceci ressemble plus à acheter la population qu’à amener le progrès.

Au niveau international, la construction de centrale hydroélectrique entraine érosion des sols, dégradation de la qualité de l’eau, augmentation des cancers et leucémies. En Chine, où se situe la plus grande centrale du monde, 19 villes, 363 villages ont été submergés, 1,3 millions de personnes ont été relocalisées. Au Paraguay, 93 000 hectares inondés, au Ghana, 5% du territoire, 50 000 hectares de forêt en Amazonie et 80 000 personnes déplacées.

Dans le monde, selon la commission internationale des barrages, 40 à 80 millions de personnes ont été déplacées, et 5% de l’eau douce de la planète s’est évaporée. Au Chili, le long du fleuve Bio-Bio, en 2006, des pluies diluviennes ont obligé la centrale Pangue (Endesa) à ouvrir ses portes, ce qui a provoqué l’inondation des plusieurs villes et la mort de dix personnes. Endesa n’a jamais reconnu sa responsabilité et le gouvernement n’a jamais rien fait.

La construction de centrales hydroélectriques entraine une transformation de l’écosystème de part l’augmentation des températures, la détérioration de la qualité de l’eau et du niveau de vie, l’inondation de sites archéologiques et de sites à valeur culturelle ou religieuse, le déplacement de populations, l’augmentation du taux de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère…
Résister n’est pas un crime

Ces entreprises des pays occidentaux viennent dans l’hémisphère sud faire ce qu’elles ne se permettraient pas dans leur pays: construire des projets à la va-vite pour engranger un bénéfice maximum en un temps minimum. Produire encore plus d’énergie pour permettre la création d’autres méga projets,comme les mines au nord du pays ou les plantations d’eucalyptus au sud dont la consommation en eau est cinq fois supérieure à celle des arbres natifs.

Alors la population s’organise, résiste, met en place des réunions d’information sur le thème de l’eau, part manifester à Valdivia, capitale de la région, tente de se mettre en relation avec les autres régions concernées comme la Patagonie ainsi qu’avec des ONG internationales. Mais ce n’est pas facile, la formation, le temps ou l’argent manquent. Par exemple, à Liquiñe, il n’y a qu’un téléphone fixe, le portable et internet sont des choses inexistantes. Il n’y a qu’un ordinateur qui sert à écrire le bulletin d’information qui circule ensuite au gré des bus lorsque les transnationales fonctionnent à coup de spots publicitaires à la télévision et dans les journaux avec le soutien du gouvernement chilien. C’est le combat de David contre Goliath.
Alors que faire ?

Au Pérou, en Argentine, des luttes similaires ont gagné, alliant la lutte locale d’information et de mobilisation de la population à la lutte internationale, juridique et de pression sur les entreprises.

Car aujourd’hui, il y a effectivement une partie de la population qui n’a pas de travail et qui espère ces emplois, nourrie par la propagande des entreprises. Il y a aussi une partie assez grande qui soutient ces projets, qui les considère comme un signe de développement et d’apport d’argent pour le pays sans voir la destruction de l’écosystème entrainée par cette politique de marché.

J’ai passé deux mois sur place, assisté à des réunions, manifestations… C’est une lutte qui peut être gagnée, car à part un grande rentrée d’argent pour les actionnaires, les centrales n’apporteront rien de bon à la région à long terme. La question, aujourd’hui, est de réussir à organiser une réflexion sur la nécessité en énergie du pays et sur le droit d’exploitation des cours d’eau.