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Eric BRERO – New-York… dans les courants d’air du passé

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Quand j’ai acheté les billets, vol sec, Paris–Newark, je n’ai pas réalisé. Quand je me suis retrouvé dans cette grande salle de transit à l’aéroport où les regards sont toujours autant inquisiteurs et le parler aussi rude, et que je l’ai aperçue par la grande baie vitrée, je me suis dit que je rêvais. Et pourtant, elle était là reposant sur son île, dans un bain de soleil de carte postale, belle et silencieuse. Je ferme les yeux une fois, puis deux, mais elle est toujours là, pendant que tout le monde s’affairent déjà vers le dispatching de la douane sans un regard vers cette grande dame, je commence à peine à réaliser : j’y suis.

La file interminable à l’américaine me rappelle que le droit de rentrer dans ce pays est semé d’embuches. Le douanier, l’uniforme bien tiré et la gâchette au fond des yeux annonce la couleur et paraît déçu lorsque je lui avoue que je ne connais pas son pays. Et sans m’en rendre vraiment compte, me voilà en Amérique…quelques heures auparavant, la France, terre familière. Ici, tout semble identique, et pourtant non, définitivement non. New York m’appartient, le temps d’un week end.

New York, cette ville aux mille montagnes de verre, de béton et de fer, toutes pointées vers le ciel et ses espérances, ville fourmilière qui donne le vertige et le torticolis, ville cinéma qui vous plonge inlassablement vers ses décors de pellicules.

Aussitôt arrivé, aussitôt dans le bain : Times Square ! La nuit n’a plus de sens à cet endroit, c’est « un peu plus » que tout ce que vous connaissez, des pubs lumineuses jusqu’au ciel, toujours plus haut, jusqu’à chatouiller les étoiles. En bas, l’enfer de Dante, grouillement perpétuel, mélanges des genres, touristes planétaires, illuminés, gogos en tout genre, le bruit couvre le bruit, tout est permis ici, rien ni personne ne s’en rendrait compte. Le cowboy Marlboro a été liquidé, safe land oblige, et la bouteille de coke remplacée par une canette de Bud, allez comprendre. Les musical de Broadway ne sont plus uniques et sont les mêmes qu’à Londres ou Paris. Rester sur la placette centrale, regarder tout ce monde divaguer, avant de devenir dingo. Ça brille, mais ça lasse. Next.

En front de building, Central Park ! Pour moi, c’est les concerts mythiques de Jimi au clair de lune, c’est « Hair » et tout le Flower Power des Années 70. En entrant par l’angle sud-est, face à l’hôtel Astoria, la rumeur de la ville s’estompe, au loin des notes de saxo, reflets mouvants des building dans le petit bassin, le soleil ronronne, c’est une parenthèse impossible au milieu de cette folie urbaine et cette herbe verte étincelante à perte de vue, tapis molletonné dans lequel on se vautre en cette douce journée d’octobre. Retrouver la joie d’être allongé dans l’herbe ici à NY est totalement improbable.

Tout prêt, le Dakota Building. C’est ici qu’il vécut ces derniers jours, il ne savait pas en regardant par la fenêtre de sa chambre qu’à sa mort un mémorial serait érigé juste là en bas de son appartement. Il ne savait pas qu’en contemplant ce bois, il contemplait sa propre mort. Une pensée pour John Lennon et ces grands destins gâchés en passant devant ce disque de pierre gravé d’un triste « Imagine ». C’était le 8 décembre 1980, juste là, il venait d’avoir 40 ans et moi mes 2 mois. Beaucoup de gens à l’époque imaginait un monde nouveau comme lui. Aujourd’hui, le cynisme a remplacé l’espoir, et les hippies n’ont plus de grandes lunettes baba cool mais de discrètes lentilles de vues, changeant le prisme de leur vie.

Après avoir trouvé difficilement un resto sympa qui ne soit ni trop, ni pas assez, ici aux pays des extrêmes, me voilà ensuite dans un bar typique aux murs placardés de bannières étoilées, casques de pompiers, drapeau sudiste et photos du 11 septembre. Des photos des héros. Ce triste jour, des choses extraordinaires ont dû se passer dans ce bar, beaucoup de détresse, de discussions sans fin, de colère, de joie d’y avoir réchappé. C’était il y a 7 ans déjà, et une telle chose ne s’oublie pas, mais le temps qui passe fait son boulot salvateur malgré tout. Un jour peut être, en évoquant ce qui s’est passé, on ne nous croira même plus.

Lendemain, au matin, je pars sur les traces des premiers new yorkais, des premiers américains. Direction Battery Park. Le long des pontons, mon esprit divague vers ces années pas si lointaines où des milliers d’âmes échouées ici sur ce coin du bout du monde, loin des leurs et de leur Terre avaient pour seul espoir : vivre. Le ferry me conduit à Ellis Island, l’ancienne douane du Nouveau monde. Autant les monuments historiques laissent songeur, autant ces lieux d’Histoire et d’histoires transpirent de l’émotion des gens qui l’ont peuplé. La grande salle respire encore ces temps révolus, j’entends au loin les cris, les sanglots, les peines, les joies de ceux qui attendent leur sésame. Frisson en sentant le souffle glacial et rance du passé. Je ferme les yeux… les murmures, les soupirs, encore, en m’attendant à voir l’endroit en noir et blanc en les rouvrant.

Dehors, en bout d’île, face à Manhattan, le long de bâtiments laissés, eux, pour de bon à l’abandon, un lieu de mémoire, ce grand cercle de pierres avec les noms gravés de ceux qui ont posé un jour le pied sur ce récif. NY, d’ici, apparaît comme ce qu’elle est vraiment : une simple bande de terre en milieu hostile, battue par les vents et le ressac. Et ici, dans ce pays continent de tous les possibles, une ville s’est dressée face aux éléments. Devant ce spectacle, les nouveaux venus devaient avoir du mal à détourner le regard comme moi dans cette grande salle vitrée à l’aéroport.

Tout aussi troublant, les fameuses planches à la Deauville et la grande roue de Coney Island. Tout semble à l’abandon, quartier entier où les rues sonnent vides, le vent pousse nonchalamment des sacs plastiques, sensation d’être dans le désert, ville témoin fuie après une catastrophe nucléaire. L’air est irrespirable. Arrivé au bord de la mer, sous le ciel blanc, plisser les yeux devant tout ce sable, entendre le murmure des vagues, regarder les mouettes se chamailler en poussant leur cri si particulier, j’ai l’impression d’être un peu chez moi, à Nice, un mois d’hiver ensoleillé. Le coin était à la mode dans les années 30, les vieilles photos en sépia me renvoient à une belle après midi d’été peuplée d’hommes en chapeau, de dames aux ombrelles et d’enfants en culotte à rayures. Tant d’endroit comme celui ci ont connu un âge d’or, et puis un beau jour, plus rien, pire que plus rien, l’oubli. L’endroit est le même, mêmes planches autrefois piétinées, même boutique de hot dog prise d’assaut, mêmes attractions à présent enfermées derrière leur grille comme dans un musée, et pourtant, son temps est passé, les gens ne viennent plus, se met alors en place un nouveau décor, figé, caressé par ses fantômes. Ces endroits passant de la lumière aux ténèbres, sans préavis, comme si quelqu’un avait tiré les rideaux et fermé la porte me troublent profondément. A l’intérieur, rien ne bouge mais la poussière se dépose lentement, sans que personne ne s’en rende compte, et lorsque vous ouvrez à nouveau la porte, vous entrez dans un tombeau.

De la même manière qu’il est totalement déstabilisant d’arpenter un lieu abandonné de tous en se disant que peut être nul homme n’a foulé ce sol sur lequel l’on se trouve, être là où tant et tant de personnes, connues, inconnues, sont passées, inlassablement, depuis des décennies, vous chamboule au plus profond de vous même. Tellement de personnes sont venues ici accomplirent leur destinée, tellement d’évènements ont eu lieu dans ces rues, entre ces murs. Lénine et Trotski fomentaient la Révolution d’octobre dans les fumées de la Coupole à Montparnasse, ici, à New York, à la veille d’une élection historique, c’est le sort du Monde moderne qui se joue depuis près de 50 ans maintenant.