APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Brice DUPONT – La Paz jamais en paix

Dupont1

A l’ouest de la Bolivie, perchée sur la cordillère des Andes, la ville de La Paz accueille sans cesse son lot de migrants, venus construire une vie meilleure à la capitale. Reportage dans cette folle métropole.

La Paz coupe le souffle. D’emblée, sans crier gare. Il faut d’abord encaisser les 3660 mètres d’altitude, hauteur à laquelle est venue se nicher la capitale bolivienne. Le souffle surtout coupé par la vue. Par cette ville encastrée au milieu de monts enneigés. Cette ville qui, chaque jour, déploie un peu plus ses tentacules géants sur les flancs des collines alentours. Histoire d’accueillir les nouveaux venus à la recherche d’une autre vie à la capitale.

Une première question vient vite à l’esprit : pourquoi avoir construit une métropole d’un million et demi d’habitants ici, dans un lieu qui paraît si hostile ? «La vue des montagnes incite à penser à Dieu», justifie Cieza de Leon, historien espagnol du XVIe siècle. Sacré Cieza ! La présence d’or dans la rivière Choqueyapu à l’époque n’y est bien sûr pour rien… C’est donc pour se rapprocher de son Dieu que le capitaine Alonzo de Mendoza fait ériger en 1548 la cité de Nuestra Señora de La Paz (Notre-Dame-de-la-Paix). Au fil des siècles, la ville a perdu son nom à rallonge un peu pompeux. Mais n’a connu que très rarement la paix.

Un chaos permanent

Un bus déglingué m’a déposé ici depuis le lac Titicaca. Dans ma tête, c’est sûr. La Paz ne sera qu’une étape d’une nuit ou deux dans mon périple bolivien. Dans toutes les auberges de jeunesse fréquentées jusqu’ici, le même discours des voyageurs : la capitale est «sale, polluée, et bruyante. Voire dangereuse». Bref, aucun intérêt. Je vais finalement y rester près d’une semaine.

La première impression n’est en effet pas très encourageante. Celle d’un chaos permanent. Un brouhaha incessant envahit les tympans. Les taxis jouent du klaxon. Les vendeurs de DVD pirates hurlent aux passants leurs dernières nouveautés, des soap-opéras de piètre qualité le plus souvent. Les bus colorés aux freins bien douteux dévalent les rues en pente à toute allure. Les rabatteurs des restaus alpaguent le passant tous les dix mètres. Le désordre est ici dans son royaume. La circulation anarchique, dans des rues plus étroites les unes que les autres, ne s’arrête jamais. Les jeunes apprentis des minibus glissent leurs têtes par la fenêtre. Avec une façon bien étrange d’apprendre le métier de chauffeur : répéter inlassablement le nom des destinations pour trouver des passagers. Les cireurs de chaussures, cachés sous leurs cagoules noires malgré la chaleur, scrutent le moindre pied sale dans un rayon de cent mètres.

Dupont2

Un membre de ce commando cagoulé s’approche et me propose ses services. Un refus poli, mes vieilles pompes de randonnée n’en ayant pas franchement besoin. Il ôte son passe-montagne qui le fait passer pour un zapatiste du Chiapas. De ses mains noircies par la cire, il s’allume une cigarette, et commence à taper la discute. Il a bien du mal à comprendre comment un jeune Français de vingt-cinq ans puisse venir jusqu’à lui, dans son pays. Alors qu’il peut difficilement économiser quelques bolivianos pour rendre visite à sa famille de temps en temps, à trois cent kilomètres de la capitale. Son seul plaisir quotidien, c’est la coca. Comme de nombreux Boliviens, il en mâche en permanence. Et forme inlassablement une petite boule de feuilles sous sa joue. Les effets de l’altitude, de la faim ou de la fatigue s’estompent. Et comme de nombreux Boliviens, il s’enivre à la Chicha le soir, alcool fétiche du pays à base de maïs. Histoire de retrouver ses compagnons de galère. Histoire d’oublier ensemble leur condition de cireurs de pompes.

Direction ensuite le «marché des sorcières». Une attraction pour touristes en quête d’exotisme. Mais aussi une véritable pharmacie à ciel ouvert. Les «sorcières», ce sont ces petites grands-mères indiennes, débarquées de l’Altiplano, qui vendent toutes sortes d’herbes et mélanges censés guérir toutes les maladies possibles et imaginables. Des sacs plastique remplis de coca bien sûr, des graines colorées pour le mal de ventre, mais également des ingrédients plus surprenants: peaux de serpents, carapaces de tatous, becs de toucans, ou encore des fœtus de lamas séchés. «C’est pour faire des offrandes à la Pachamama (la mère-terre, ndlr)», me répond une gentille mémé, au visage buriné par le soleil et les années.

En déambulant dans le centre de La Paz, on se rend vite compte du fossé qui se creuse chaque jour un peu plus dans la société bolivienne. Ici, au milieu des immeubles et des vieilles maisons, cohabitent golden-boys et indiens Aymaras défavorisés. Mais juste pour la journée. Le soir, les plus pauvres remontent dans leur refuge d’El Alto.

El Alto, le haut de l’entonnoir

Le lendemain, je demande à un chauffeur de taxi de m’amener jusqu’à ce quartier. Pour quelques bolivianos, il accepte de me faire monter dans sa vieille Volvo toute déglinguée. Il en est fier pourtant, Tito, de sa Volvo. Voilà seulement un an qu’il l’a récupérée. A vingt piges, il arrivait à La Paz dans un vieux bus déglingué, comme moi la veille. Ce n’est pas un sac à dos de routard qu’il trimbalait. Mais toute sa vie dans une petite valise. Tito a quitté sa ville de Potosi, plus au sud. L’ancienne gloire des Amériques, aujourd’hui en désuétude. Des cousins, des potes ont tenté leur chance avant lui à La Paz. Il n’avait rien à perdre. Tito est monté dans le bus déglingué.

Il allume sa radio. Les haut-parleurs aux fils qui pendent crachent une nouvelle fois de la cumbia, la musique à la mode qui monopolise les ondes. Puis il m’amène dans son «barrio» : El Alto. Une banlieue de La Paz ou une ville à part entière. Personne n’est vraiment d’accord sur ce point. El Alto, c’est le haut de l’entonnoir. Là ou des centaines de Boliviens pauvres viennent s’entasser chaque matin, avec l’espoir de pouvoir descendre un jour dans les beaux bureaux du centre financier. Dans le goulot de l’entonnoir. En attendant que le rêve ne devienne réalité, les trafics en tout genre sont légion dans le quartier. On survit comme on peut, la débrouille est la règle.

El Alto, c’est le quartier populaire et coloré, paradis des contrefaçons et du marché noir. Des centaines de lecteurs DVD ou d’écrans plats entassés dans de petites échoppes. Ici, on ne s’offre pas une Playstation mais une «Funstation». Et au milieu de l’électronique en tout genre, toujours ces stands miniscules où l’on mange pour trois fois rien. Des pommes de terre, du riz, du maïs. Parfois quelques bouts de viande pas très cuite. Les restaurants pour riches et touristes du centre, les habitants d’El Alto ne connaissent pas.

Le quartier est passionnant. Une plongée franche et directe dans la réalité bolivienne. Mais il vaut mieux parfois se la jouer discret dans le coin. Certains habitants d’El Alto ne sont pas des grands fans des touristes trop curieux. Le «Gringo» n’est pas toujours le bienvenu. Le blanc, ici, c’est l’Américain. Et les Etats-Unis dans les têtes, c’est l’ennemi, la cause de toute cette pauvreté.

En redescendant vers le centre, j’aperçois sur de nombreux murs de La Paz des graffitis et affiches à la gloire du président Evo Morales. Depuis son élection en 2005, le premier Indien d’origine à gouverner un pays d’Amérique Latine est un des sujets de conversation favoris dans les rues de La Paz. Les plus pauvres, ces migrants venus chercher une autre vie à la capitale, ont retrouvé un peu d’espoir, et applaudissent des deux mains quand leur président rencontre l’ambassadeur des Etats-Unis en simple pull-over. Les plus riches grincent un peu des dents quand Evo s’affiche bras dessus bras dessous avec ses potes Castro et Chavez. Ici, on l’adore ou on le déteste. Ça met en tout cas de belles couleurs sur les murs de la capitale.