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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Antoinette JEANSON – Socotra du nord au sud

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Socotra, 8h30, arrivée de l’avion de Sana’a au Yémen. «Socotra International Airport» : une piste, un aérogare blanc brillant au soleil déjà haut dans le ciel, tel un mirage éblouissant. Rien à voir avec Sana’a, la capitale montagneuse et poussiéreuse quittée à 6 heures du matin.

Le vent marin tiède et moite souffle ici jusque dans la salle des arrivées, meublée par un unique tapis roulant circulaire sur lequel arrivent les bagages des quelques touristes venus s’aventurer sur l’île encore méconnue.

Mohammed, le guide, attend, sourire jusqu’aux oreilles. Il a tout juste 20 ans, mais prétend en avoir 24. Cela fait plus sérieux pour les clients «qui pourraient croire que je suis encore un enfant». Aucun de nous, un jeune couple français, n’est dupe. Mais on fera semblant, pour ne pas heurter la sensibilité de ce grand noir imberbe au regard malicieux.

Direction le restaurant, dans la rue principale d’Hadiboh. Après un lavage de mains sommaire – on se les frotte avec un peu de lessive en poudre renversée sur le bord du lavabo – nous entamons le petit déjeuner dehors sur des tables en bois branlantes, entourés de vautours égyptiens et de chèvres à la recherche de quelques miettes des grandes galettes servies avec du fromage à tartiner, du miel et du thé au lait.

Drôle d’impression. Nous sommes au Yémen, mais c’est comme si on avait changé de pays. La langue d’abord, le socotri, qui n’a rien de commun avec l’arabe. Les hommes ensuite. Impossible de dire s’ils sont indiens, somaliens, ou yéménites. Un peu de tous ces éléments à la fois et en même temps rien de tout ça. Au carrefour du Moyen Orient, de la corne de l’Afrique et de l’Inde, l’île de l’Océan indien abrite une population très métissée.

Connu depuis l’Antiquité pour son encens, passé sous domination portugaise puis britannique, l’archipel au large de la Somalie constitue un carrefour de commerce entre l’Inde et l’Afrique. Malgré de nombreux mouvements d’immigration, Socotra n’a jamais renoncé à son identité insulaire. Les habitants se revendiquent Socotris, avant d’être yéménites. L’arabisation est récente, et s’accentue depuis l’ouverture de l’aéroport il y a dix ans, en mai 1999. Auparavant, l’île était approvisionnée uniquement par bateau et entretenait peu de contacts avec le continent, surtout pendant la saison des vents qui rend l’archipel inaccessible de juin à septembre.

Petite, 40 km du nord au sud et 140 km d’est en ouest, l’île semble étonnamment vaste, à cause de la montagne Hagger, qui domine de ses 1500 mètres le centre de l’île. D’après Mohammed, tous les étrangers ont la même sensation. «Avant de venir vous pensez tous que Socotra est grande comme un terrain de football».

Après une journée de plongée dans le lagon de Di’Hamri, peuplé par une myriade de poissons aux couleurs chatoyantes nageant entre les coraux multicolores, il est temps de se préparer à traverser, à pied, cette île mystérieuse.

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Lever à 5h30 pour profiter de la lumière du jour. Le soleil se couche ici vers 17h30.

Après un détour par Hadiboh pour acheter des provisions, quelques tomates et concombres locaux, des pâtes et du thon en boite importés du continent. Notre alimentation sera tout sauf variée. Au cœur de l’île, il n’y a rien. Pas de ville, pas de restaurant, pas d’hôtel. Le tourisme se développe à peine, et s’inscrit dans le souci constant de préserver les nombreuses espèces endémiques présentes sur l’île, qui ont valu à l’archipel de Socotra d’être classé en Août 2008 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

En retard de deux heures par rapport au programme, nous arrivons au point de rendez vous avec le chamelier qui doit nous guider jusqu’au sud de l’île. L’endroit est désert. Quelques coups de fil et de longues heures plus tard, l’homme arrive. Petit, tout sec, la peau tannée par l’âge et le soleil, il tire son chameau d’un pas tranquille et décidé.

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L’expédition commence en pleine chaleur. Nous arrivons au pied du sommet à 18h, dans les dernières lueurs du soleil, épuisés par les heures de marche. Ali, le chamelier, est arrivé depuis longtemps, en tongs, et sans boire une goutte d’eau en chemin. Maintenant seulement, il se désaltère. Accroupi sur une natte devant le feu, le verre de thé brûlant collé aux lèvres, il nous regarde arriver d’un air amusé, sourire en coin. Et lance en dialecte au guide à notre intention «J’ai eu le temps de monter tout le camp, si j’avais su comment monter votre tente je l’aurais fait aussi».

A l’instar des bédouins de Socotra, Ali est un grand marcheur. Pour rejoindre le sommet de l’île, chercher ses chèvres perdues ou encore rendre visite aux populations isolées dans les nombreuses petites vallées, tout se fait à pied, parfois à dos d’âne.

A raison de huit heures de marche par jour à travers les sentiers de chèvres et wadis, où coule un mince filet d’eau, nous rejoignons le sud de l’île en trois jours. Des paysages enchanteurs, une flore endémique, et quelques rencontres fortuites avec des habitants des montagnes remplissent les journées de marche.

Comme ces deux bergers pieds nus vêtus de tissus bigarrés, des petits cailloux blancs collés sur le front, réminiscences de la sieste à peine terminée.

Le chamelier s’approche du premier, lui prend la main et la porte à la poitrine. Ils se frottent ensuite le nez à la manière des eskimos, c’est le salut socotri. Un signe de la main pour mon fiancé. Pour moi, rien. Le guide nous expliquera plus tard que saluer une femme en présence de son mari, c’est très impoli, même synonyme de convoitise. M’ignorer était, loin de mes impressions, une marque de respect.

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Au déjeuner du troisième jour, nous arrivons à un village de bédouins, où vivent trois familles et leurs enfants. Le chef nous invite à partager la chèvre, une politesse quand un étranger arrive. Mais il serait indécent d’accepter l’invitation sans proposer un peu d’argent, au vu de la pauvreté du village. Chez les bédouins des montagnes, les hommes ne mangent pas avec les femmes, nous mangerons sur la natte des invités. Un grand plat arrive, le riz au milieu, comme décoré des morceaux de chèvre autour. Des côtes aux intestins, rien n’a été oublié. Dans la chèvre tout se mange, même les boyaux, bourrés avec le gras blanc de l’animal qu’il faut mélanger à la sauce et au riz, le tout de la main droite. La main gauche est réservée aux usages corporels.

Deux enfants venus en plein repas pour nous vendre des souvenirs se font gronder par les adultes du clan. Le plat à peine fini, ils surgissent à nouveau avec des sachets remplis de poudre rouge. Elle est issue de l’écorce du sang-dragon, l’arbre endémique emblème de l’île. Les gladiateurs de la Rome Antique l’utilisaient déjà pour soigner leurs blessures. Sur le départ, le fils du cheikh s’approche et demande des médicaments pour l’estomac. La trousse à pharmacie en est pleine. Les adieux sont chaleureux, reconnaissants même.

Après des heures de descente, nous arrivons à la mer. Changement de décor, et changement de population. Il y a deux sortes de gens à Socotra, les bédouins, et les pêcheurs. Ce soir nous sommes chez les seconds. Ils ont aménagé un camp pour les touristes, et sont même en train de construire des sanitaires, confort dont nous avions oublié l’existence. Au dîner, poisson grillé et riz, face aux dunes de sable blanc presque bleutées dans les reflets de la pleine lune.

Contrairement au lagon de Di’Hamri situé au nord sur le Golfe d’Aden, la côte sud de l’île est balayée par le vent et les vagues puissantes de l’Océan Indien. Bercés par le bruit des vagues et le vent dans les feuilles des palmiers au-dessus de nos têtes, nous nous endormons en rêvant aux poissons que nous attraperons le lendemain sur la barque du pêcheur.

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