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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Amandine LECONTE – Nuits de fête à TombouctouNuits de fête à Tombouctou

Photos : CC UPYERNOZ

Photos : CC UPYERNOZ

La ville, depuis deux jours, faisait l’écho desdoumdoums, boites de conserves et autres percussions improvisées. D’étranges cortèges bigarrés déambulaient dans les rues la ville mystérieuse aux rythmes des chants traditionnels…

Moi, même après une semaine de taule ondulée, différentes étapes riches en négoces et multiples piqûres d’insectes, je n’avais pas encore tout a fait la sensation d’être arrivée. Sur la route j’avait déclenché mon appareil a tour de bras, sûre de saisir l’essence de ces paysages décharné, d’une horizontalité vertigineuse, et hypnotique.

Au sein des deux cents circoncisions annoncées durant les festivités, la famille de notre hôte s’apprêtait à en dénombrer trois. J’étais invitée à m’y joindre avec l’équipe associative. D’abord le rendez vous des proches parents, dans une cour minuscule, sous la chaleur écrasante du soleil de midi. Tandis que l’espace exigüe ne cesse de s’emplir, le chœur des femmes au centre scande les mots d’usages, et bat le rythme sur tout ce qui semble se trouver là.

Les phases se répètent en canon, dans un brouhaha assourdissant, relayé par ceux alentour. Celles dont l’âge ne permet plus un tel exercice sont assises à l’ombre, frappant des mains ou du pied. Alors que les enfants oscillent entre participation active et espiègleries ; la sueur se repend a grosses gouttes sur les visages, dans les plis des étoffes de cérémonie.Je ne crois pas avoir ressentit une telle puissance ailleurs que devant les enceintes de quelques grande messe technoïde. Pourtant ici pas l’ombre d’un son amplifié, juste l’enthousiasme des corps. Alors que le mien est sur le point de choir sous le coup de la température, l’assemblée se décide à sortir de là, pour se joindre au reste de la population. Retrouvant mes esprits je décide de mettre une bonne distance de sécurité entre moi et la tête du cortège. Ainsi je peux observer a loisir certaines parures pour le moins surprenantes. Des boucles d’oreilles pendantes avec des cubes de bouillon « Maggi » aux coiffures ornées de nœuds en sacs plastiques, je pense aux MAITRES FOUS de jean Rouch. Toutefois un déguisement attire particulièrement mon regard, une femme portant des cornes de taureau et des vessies gonflées accrochées autour de la ceinture.

J’en fais part à Tahara ( directrice de l’association locale, dont nous sommes partenaire). Cette dernière m’apprend que c’est une représentante de la famille des bouchers. Deux coudées de rues plus loin, nous somme bloqués. On trépigne sur place, toujours au rythme des chants. Quelques mains aux fesses au gré de la foule. Le traditionnel « toubabou! donne moi kado! » auquel je ne coupe pas. Une habitude a prendre, cause des mauvaises prises par nos prédécesseurs. Les petits élus à la circoncision eux, sont brandit fièrement au dessus des têtes par leurs ainées masculins, naviguant en direction du lieu consacré au rituel. Encore une fois je sens ma place plus en retrait, et cherche des visages connus. Ibrahim (le chauffeur de madame) m’accueille l’air inquiet, pour m’entrainer dans une autre cour et répondre a ma requête fondamentale dans l’instant: boire une bonne rasade d’eau. L’antre obscure suggère une femme monumentale, plongeant un bol en plastique bicolore, dans la glacière d’un autre âge où flotte d’énormes blocs de glace. Précédemment diaphane, je reprend quelques couleurs. Douce sensation que d’atterrir enfin sur le sol malien.

D’abord frappée par l’importance des rituels, surtout a cinq heure au matin, lorsqu’on est réveillée sur la terrasse, par l’appel à la prière en écho entre les mosquées. J’observe la religion mobiliser ses fidèles plusieurs fois par jour, imposer ses arrêts, dans une solitude partagée. Je revois Moulai rentrant au foyer, chercher du matériel pour filmer la rencontre du soir, à l’association des femmes. La sienne qui plie le linge et s’évertue verbalement à décoller la petite du poste de télévision, car l’heure de la prière approche. Lui, qui étend son tapis avec précaution et s’agenouille plein de justesse. Puis s’apprêtant à se relever, son fils se hisse sur son dos et l’étreint, alors qu’impassible il spécifie simplement que le moment est mal choisi pour des embrassades, d’un seul mot. Mise en scène ou habitude peu importe. En soirées, les jeunes qui le peuvent sortent dans les « maquis », discothèques locales où l’alcool est interdit mais vendu.

Le jour vêtus de boubous et chemises traditionnelles, le soir de prêt-à-porter dernier cri en synthétique. Etrange cohabitation entre des règles aussi contraignantes, et les valeurs d’une société moderne, telle qu’elle se rêve, à l’européenne. On va a l’école coranique au « petit matin » mais personne ne semble manquer le « soap » journalier de Pretenta. Une belle vedette espagnole arriviste qui, cette semaine, annonce à son amant comptable que suite a la chute de la bourse, elle va retrouver son mari pour dissiper ses soupçons. Amza ne comprend pas un traitre mot de français et il est loin d’être un cas isolé. Au quotidien pas moins de trois ethnies se mêlent ici, chacunes avec ses dialectes; or le Français n’est qu’un vestige administratif qui sert principalement dans le commerce avec les touristes. Pourtant, chaque après midi, lui aussi s’assoie religieusement devant l’écran familial. Serais-ce là que réside le mystère de Tombouctou ? Au milieu du sable la télévision sort d’une autre boutique, qui veut s’invite.

Chez Tahara un ami est de passage, on l’enjoint à partager ce moment avec la famille, jusque-là très occupée. Les activités se gèlent une vingtaine de minutes. Parfois les conversations vont bon train. « Elle exagère non! il est gaté l’avocat, moi je préfère Rudi » -moi je reste perplexe. Dixit Tahara « ca parle des problèmes des gens ». Une réponse intrigante au sein d’une population majoritairement polygame, où les liens du mariages sont quasiment indéfectible. Quand le seul frigo de la maison (où se mêlent trois générations) vous envoie une décharge électrique à l’ouverture une fois sur deux. Où la douche est symbolisée par une chape de béton assortie d’une collection de récipients hétéroclites. Enfin pour ce qui est des fluctuations du dollars, elles semblent avoir moins d’incidence sur le prix du « capitaine » (un poisson très apprécié) que les crues du Niger. Alors le mystère plane…

Moi qui descendais de ma vielle Europe, j’étais plutôt fière de prendre part a une action de solidarité internationale autour du handicap. Impatiente de rencontrer des personnes vivant des mots comme: « économie locale », »Culture traditionnelle », « Récupération », « Do it yourself ». Sortes d’utopies pour nantis pseudo alter-mondialistes dans mon genre. Difficile pourtant d’aborder ces sujets sans voir poindre une certaine gêne. Contrairement a l’exhibition des téléphones portables qui, ici aussi, tient du sport national. Près du marché, des enfants jouent au baby-foot sous une bannière publicitaire de deux métres de haut. On peux se debarrasser des questions de la police locale, avec un magazine français en papier glacé,contre un droit de passage. Un car se retrouve à demi enlisé prés du « bac » permettant de traverser le fleuve, ses passagers déchargent la demi tonne de bagages sur le toit,et font des prières pour repartir.

Le chauffeur gesticule tout autour, surexcité par les amphétamines. Le secret ? Plus le trajet se fait rapidement, plus il est cher. Un maximum de rentabilitée en un minimum de temps. Nord-Sud: même logique. Désormais qu’on se rassure, nos voisins ont l’électricité, la télévision couleur, les mêmes opérateurs téléphoniques et sont convertis au bas débit. Quand à savoir où Amza rêve de s’envoller, le mystére reste entier.