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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Thomas MANKOWSKI – Diambars, l’équipe espoirs

Mankowski

Institut Diambars, Saly, Sénégal. 88 adolescents souhaitent réaliser une carrière de footballeur. Immersion dans le centre créé par Patrick Vieira, Bernard Lama, Jean-Marc Adjovi-Boco et Saër Seck, où naissent et grandissent les espoirs d’une jeunesse africaine ravie de porter des rêves

Ca a débuté comme ça. Par une phrase, lâchée un soir, pleine de larmes : « C’est fini. » Une fin appelle à partir. C’est ce qu’on se dit. C’est bien, c’est joli, c’est comme dans les livres. « Allo Jimmy, vous auriez besoin de quelqu’un comme moi au Sénégal ? » Jimmy, c’est Jean-Marc Adjovi-Boco, directeur de l’institut Diambars. L’institut Diambars, c’est un centre de formation. Attention, pas un élevage de footballeurs. Là-bas, on prône de « faire du football passion un moteur de l’éducation ». Jimmy : « Ca, oui. On aurait besoin d’un profil comme le tien, notamment pour mettre à jour le site internet et participer aux travaux de la classe multimédia. Mais on n’a pas d’argent… » «- Pas grave, je ne cherche pas à en gagner. » En échange, d’un lit, de trois repas, du lavage de mes draps et d’un aller-retour Paris-Dakar, va pour une année scolaire 2007-2008 à Saly.

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Diambars, c’est le centre créé il y a cinq ans par Patrick Vieira, capitaine de l’équipe de France d’origine sénégalaise, Bernard Lama, ancienne gloire du Paris-Saint-Germain, Jean-Marc Adjovi-Boco, latéral gauche emblématique du RC Lens des années 90 et Saër Seck, numéro 2 du Comité de normalisation du football sénégalais chargé de la refonte de la fédération. Diambars, cela veut dire « champion » en wolof. C’est un petit monde qui sent le neuf, dans de vastes bâtiments aux murs crème et aux tuiles rouges, à la sortie de la plus importante station balnéaire du pays, 80 kilomètres au sud de la capitale. Une sorte de boule en verre dans laquelle on a glissé des morceaux de Sénégal. Pour le tourbillon de neige, on a pris des ballons et pour personnages, 88 apprentis footballeurs sénégalais des rêves pleins la tête. Ils viennent de Dakar, Saint-Louis, Ziguinchor, Tambakounda, Kolda, Diourbel… Aujourd’hui âgés entre 15 et 19 ans, ils ont rejoint ce sport-études à l’âge de 13 ans.

Comme dans le reste du Sénégal, on se sert la main six fois par jour, on termine nos phrases au futur par « Inch’Allah », on avale pendant des heures du thé à la menthe aussi chaud que l’harmattan (le vent venu du désert), on ne voit pas une goutte de pluie du mois de novembre au mois de juin, on a cette fierté d’être africain, on fantasme sur l’Europe, on se demande souvent comment ça va (en wolof, naturellement), on répond « Sénégalaisement », manière de dire que ce n’est pas facile mais qu’on garde le sourire. Et puis on se sert du matin au soir de gros bols d’espoirs. Le soir, les jeunes se branchent sur Canal + Horizons et se gavent jusqu’à saturation d’images de leurs modèles évoluant en Europe : Mamadou Niang, Didier Drogba, Samuel Eto’o. Ils imaginent leur vie de château. Ils crient au génie quand Mickaël Essien réalise un bête extérieur du pied droit. Et quand 14 heures d’entraînements hebdomadaires les ont littéralement assommés, ils se voient gagner la Coupe d’Afrique et la Coupe du monde. C’est cliché mais j’ai entendu Gana le dire dans un reportage diffusé en 2005 sur TF1.
93% de recalés en moyenne

Parce qu’il y a plusieurs divisions entre le rêve et la réalité, leurs encadrants leur rappellent plusieurs fois dans l’année les chiffres : en moyenne, seuls 7% des joueurs formés dans un centre touchent au but. Les autres doivent trouver une autre voie. C’est notamment en partant de ce constat que l’institut, labellisé par l’Unesco, insiste sur l’enseignement scolaire (70% du temps de formation a lieu en classe) et écrit en gros sur ses cars « Devenir champion de football et champion de la vie ». Les stagiaires l’entendent. Ils hochent la tête d’approbation : « Oui m’sieur, pas de problème, message reçu. » Le hic : « Ils sont 100% à être persuadés de faire partie des 7% », constate Iba Diagne, le surveillant général.

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Et si ? Et si tu n’y arrives pas ? Si tu ne gagnes pas ta croûte en tapant dans un ballon ? Que vas-tu faire ? Khassim Soumaré, promotion 1991 : « Mais quelle importance ? Je serai footballeur » OK ! Mais sinon ? Mame Bakary Diop, promotion 1989, m’a rapporté qu’on leur avait un jour posé la question par écrit, histoire d’envisager le plan B : « J’ai mis maître-nageur… » « – Ah oui ?! Tu aimes ça, nager ? » « – J’en sais rien, je ne sais pas nager. » Au moins de mai, la moitié des 32 sortants sont partis en France faire des tests. Trois ont signé. La règle des 7% est respectée. Gana en fait partie.
Prier Dieu

La prise en charge est totalement gratuite. Fait rare en Afrique : ils disposent de terrains synthétiques. Après leur formation, l’institut s’engage à les accompagner encore cinq autres années, que ce soit sportivement, scolairement ou professionnellement. Mais seule l’option sportive les emballe. Ils savent qu’ils ont une carte à jouer. Ils ont peur de la gâcher. Alors certains abordent chaque entraînement avec l’énergie du finaliste : « Ce qui est difficile dans la vie, c’est de ne pas savoir où tu vas aller », me confiait Bamba au mois de janvier. « On ne sait pas ce qu’on va faire à la fin de l’année. Souvent le soir dans ma chambre j’y pense et je n’arrive pas à m’endormir. » Cinq fois par jour, il prie Dieu de l’aider à réussir. Il entonne les chants optimistes de Youssou Ndour, la mégastar du pays, et laisse le naturel reprendre le dessus : il arbore un large sourire, réalise l’échauffement d’avant match en chantant et arrose le centre de grands éclats de rire. Comme ses 87 copains.

Les stagiaires portent leurs rêves de gosse et de chouettes tenues Adidas, le principal partenaire de Diambars. Mais trois bandes ne cachent pas toutes les réalités. Leurs poches débordent des espérances de la famille. Au Sénégal, crise alimentaire oblige, le prix des denrées a fait un bon terrible, notamment l’huile et la farine. En quelques mois, le sac de riz est passé de 9000 F CFA à 18 000 F CFA. C’est énorme alors que la plupart des salaires dépassent péniblement les 70 000 F CFA, soit un peu plus de 100 €. Sur les fiches de suivi médical, on peut voir qu’après seulement deux semaines de vacances dans leur foyer, certains joueurs perdent jusqu’à 5 kilos. « Un midi, j’en vois un, seul, au réfectoire », raconte un éducateur. « Je vois son assiette et je lui dis, histoire de parler : « Eh bien, tu as un sacré appétit aujourd’hui ! » Et là, je le vois fondre en larmes. Je vais le trouver, en lui demandant :  » Qu’est-ce que j’ai pu dire pour te mettre dans un tel état ? ” Il m’a répondu qu’il avait eu honte de se servir une telle assiette alors que sa mère et ses frères devaient, probablement, ne pas manger ce midi, comme tous les midis. »
« Que devient Aly ?»

Diambars, c’est une boule qui brille notamment grâce à l’éclat de ses fondateurs. Dans la rue, les gens interpellent les jeunes. Dans la presse sportive aussi. Fin mai, dans la rubrique Courrier des lecteurs, un pharmacien demandait : « Que devient Aly Ly, stagiaire de l’institut Diambars ? » comme on demanderait des nouvelles d’une star à la retraite. Aly est un joueur comme les autres. Aly fait comme ses copains – il s’entraîne et il apprend -, sauf qu’il est passé à la télé. Parce que c’est ancien talibé. Le mot désigne dans son acceptation générique l’élève d’une école coranique. Mais au Sénégal, elle s’applique essentiellement aux enfants mendiant au profit d’un marabout. Ils sont des milliers : « J’étais à Mbour, dans une famille qui me donnait souvent à manger. La télé était allumée et on parlait d’une école de foot qui allait bientôt ouvrir. Le monsieur m’a dit :  » Toi, tu aimes le foot Aly, pourquoi tu ne vas pas faire les tests ? ” » Aujourd’hui, Aly aime les langues, il aime le Coran, il aime les « Yeux dans les bleus », le documentaire de Stéphane Meunier relatant l’épopée 98, il aime entendre parler Aimé Jacquet.

Quand le président Abdoulaye Wade parle du football sénégalais (mis à mal depuis l’échec retentissant lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations, en janvier au Ghana) comme d’une affaire d’état, il dit souhaiter le « voir renouer avec le Sénégal qui gagne ». Marrant. Le « Sénégal qui gagne », c’est une expression employée par un copain taxi ivoirien, venu comme beaucoup de ses compatriotes au pays de la Teranga (« l’hospitalité » en wolof) pour fuir la crise en 2002. Il l’utilise pour désigner tous ces petits dysfonctionnements qui plombent le quotidien. Les ponctuelles coupures d’eau ou d’électricité, c’est le Sénégal qui gagne. Une livraison avec trois jours de retard, c’est le Sénégal qui gagne. L’achat d’un médicament contrefait dans une pharmacie, c’est le Sénégal qui gagne. Des centaines de lampadaires installés sur la route de Dakar mais seulement trois en état de marche, c’est le Sénégal qui gagne. Le Sénégal qui gagne, c’est une petite tape sur l’épaule que t’adresse le quotidien pour te dire : « Eh Coco, t’aurais tout de même pas oublié qu’on se trouve dans le tiers-monde ? » Alors je croise les doigts pour voir mes petits Diambars donner du sens à l’expression, la débarrasser de toute ironie. Qu’ils gagnent. Même à leur petit niveau, que ce soit sur ou en dehors des terrains de foot. On s’en fout.

« C’est fini », qu’elle a dit. Quand on l’entend, c’est bien d’aller là où, pour d’autres, tout commence.