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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Sylvain LEFEBVRE – Ostional, terre d’accueil des tortues marines

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Une année loin de chez soi, loin de son cocon quotidien et de sa jungle bitumée. Nous, Sylvain Lefebvre et Marie-Anne Bertin, guide naturaliste et ingénieur agronome, jeune couple amoureux féru de randonnée, partageons la même passion pour la biodiversité des forêts tropicales. Dans le cadre d’un projet associatif pour la préservation de ces écosystèmes, nous avons mis en place de A à Z une année d’éco-volontariat au Costa Rica.

Avec un quart du territoire classé en aires protégées, ce petit pays d’Amérique centrale est un véritable paradis pour naturalistes. Pas étonnant alors que nous ayons choisi cette destination «éco-touristique» remarquable par sa richesse biologique luxuriante. Baroudeurs insatiables, nous aurons arpenté 2000 km des côtes océaniques à l’épine dorsale volcanique. Nous avions un intérêt particulier à la conservation des tortues marines qui viennent pondre sur les plages tropicales costaricaines. C’est ainsi qu’en août 2007, lors d’une étape au Refuge National de Vie Sauvage d’Ostional, sur la côte pacifique, nous aurons été témoins de l’incroyable subterfuge élaboré par les tortues de Ridley pour assurer la survie de leur espèce.

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La grande convoitise des Dames de Ridley

Fréquentant uniquement les eaux tropicales, Lepidochelys olivacea, ou tortue olivâtre de Ridley, doit son nom à la couleur olive de sa carapace très arrondie. Longue de seulement 70 cm pour un poids qui n’excède pas 45 kg, elle est sans conteste la plus petite des espèces de tortues marines. Sa stratégie de ponte est unique en son genre et tout simplement stupéfiante. Entre les mois de juin et novembre, sur de courtes périodes répétées de moins d’une semaine, des milliers de femelles se regroupent sur une même plage et déposent ensemble leurs œufs dans le sable avant de regagner la mer dans l´heure qui suit. Cet évènement, baptisé «arribada», n’est relaté que depuis la fin des années 1960 par les habitants de la petite bourgade d’Ostional. C’est à cette époque qu’ils commencent à voir s’entasser des tortues sur leur plage pour y pondre, acte autrefois accompli par petits groupes isolés. Aujourd’hui ce sont près de 300 000 tortues qui se regroupent ici chaque mois de la saison des pluies, sur les 7 kilomètres de plages qui bordent le village…
Extrait du journal de bord : 23 août 2007

Une semaine s’est écoulée depuis notre arrivée à Ostional. Nous y sommes pour épauler Ricardo, un jeune doctorant vénézuélien responsable du suivi des populations des tortues de Ridley sur ce secteur. Avec lui, sans le savoir, nous nous apprêtons à vivre l’instant le plus inoubliable de notre aventure. Durant la nuit du 22 au 23 août, une armada de cuirassés prend possession des lieux. Alertés aux premières lueurs du jour par les gardes forestiers, il ne nous faut pas plus de cinq secondes pour nous extirper de nos pyjamas ridicules et nous rendre au pas de course sur la plage, yeux collés, mal fagotés, mais trop impatients de contempler l’ampleur du phénomène.

Les tortues se sont bel et bien données rendez-vous, par dizaines de milliers. Dans une cohue générale, chacune se cherche une place sur l’étroite bande de sable, jusque dans les jardins et devant les portes des habitations avoisinantes. Certaines chevauchent leurs congénères pour se frayer un chemin jusqu’à l’emplacement idéal. D’autres se retrouvent malgré elles ensevelies par les projections de sable d’une concurrente creusant à proximité. La nuit suivante, à marée haute, les femelles sont si nombreuses qu´il devient difficile de trouver une portion de plage libre. Nous ne pouvons marcher sans en frôler une. Les tortues se gênent, s´entrechoquent, se poussent et vont même jusqu´à détruire les nids d’autres visiteuses pour y pondre leurs propres œufs. Le temps leur est compté et chacune cherche à terminer sa ponte avant le retour du soleil et l´arrivée des prédateurs, car de jour comme de nuit, crocodiles, vautours, coatis, chiens errants et ratons-laveurs viennent se délecter d’œufs ou de tortues ivres de fatigue.

Chaque nuit d’arribada, lorsque le flux de tortues est à son comble, nous patrouillons à la lumière discrète de notre lampe frontale. Les tortues doivent être dénombrées et certains nids protégés des prédateurs par une maille de fil de fer. Nous profitons de notre statut privilégié pour observer et disséquer dans les moindres détails le rituel de la ponte. Une fois l’emplacement du nid déterminé avec précision, dame tortue entreprend de balayer la zone par de puissants coups de nageoires avant d’entamer la construction de son nid douillet, un trou étroit mais profond de 75 centimètres qui servira à abriter une centaine d’œufs jusqu’à leur éclosion. La femelle s’immobilise ensuite, seules ses pattes arrière en mouvement amorcent les bases de la fondation, elle commence à creuser. Elle s’applique trente minutes durant pour confectionner, avec la plus grande délicatesse que lui autorisent ses extrémités pataudes et malhabiles, une cavité en forme de botte qui manque à tout instant de s’effondrer sous son poids. Enfin, elle dispose ses nageoires postérieures de part et d’autre du nid achevé : c’est le signal du départ. Pas plus gros que des balles de golf, les œufs commencent à tomber comme les pièces d’une machine à sous. En moins de 10 minutes, pas moins de 120 sont pondus ! Une forte odeur s’échappe alors de l’épais mucus qui enveloppe les petits œufs souples. Sa tâche accomplie, épuisée, elle entreprend aussitôt de reboucher son nid et tente d’effacer toutes traces de son passage en tassant le sable en surface de son lourd plastron. Au final, depuis la sortie de l’eau jusqu’à son retour en mer, madame Ridley doit fournir un effort de 60 à 90 minutes durant lesquelles elle se trouve à la merci des prédateurs affamés.

Après 4 jours d’une intense activité, l’arribada s’essouffle et la plage retrouve progressivement son calme habituel, avec pour seul témoignage de cette confusion générale, des milliers d’œufs déterrés, gisants sur le sable. Durant l’accalmie, nous arpentons chaque jour la plage pour inspecter les nids protégés jusqu’à la fin de la période d’incubation des œufs. Ces kilomètres ressemblent maintenant à une immense tranche de gruyère au petit goût fade d’inanimée. Du moins en surface, car en profondeur, la vie s’organise et se prépare à livrer sa première bataille…
28 septembre 2007

Pendant les 45 jours d’incubation, la température ambiante a déterminé le sexe des embryons enfouis. En cette fin d’après-midi, les naissances parfaitement synchronisées plantent un nouveau décor. Cette fois, la plage se remplit de milliers de petites tortues d’à peine 7 cm et se transforme en une gigantesque piste de course où chaque participant lutte pour sa survie. Victimes de leurs faux départs, les nouveaux-nés sortis trop tôt du nid subissent la chaleur excessive du sable et meurent brûlés quelques centimètres plus loin. Pour les autres, la course est longue et pleine d’embûches. De nombreux spectateurs jouent le rôle de prédateurs sans pitié : des vautours à coup de pattes, de petits échassiers à coup de bec et des crabes à coup de pinces. Face à cet acharnement, les plus vaillants se frayent un chemin jusqu’à l’océan. Les naissances de nuit tireront avantage de la faible concentration de prédateurs et peut-être les jeunes intrépides se verront-ils rapidement happés par la vague d’une marée montante.

Une fois l’océan atteint, les survivants doivent encore échapper aux assauts piqués des frégates tout en se faufilant parmi les assaillants aquatiques, poissons et requins, venus partager eux aussi ce festin. Comment ne pas ressentir l’envie profonde de secourir une partie d’entre elles, en écourtant leur trajet jusqu’à l’océan par exemple ? Mais sur ce point, les consignes sont claires : il n’est en aucun cas permis d’aider les jeunes tortues dans leur pénible traversée du désert. Etape essentielle au bon développement de leurs poumons et de la musculature de leurs nageoires, elles y intègrent aussi les informations indispensables pour revenir pondre, 15 ans plus tard, sur cette même plage. Il en est ainsi depuis des millions d’années et nous ne devons pas céder à nos états d’âme ! Ces mouvements de masse sont tout simplement la stratégie de survie de l’espèce pour laquelle la sélection naturelle doit s’appliquer.
Consommer des œufs de tortue en toute légalité

Le Refuge National de Vie Sauvage d’Ostional est une réserve créée en 1983 pour la sauvegarde des tortues marines. Son objectif était alors de mettre un frein à l’activité des habitants de la côte qui recueillaient à l’époque les œufs de manière incontrôlée.

Depuis 1987, il existe à Ostional un plan de protection exclusif et spécifique à l’espèce Ridley. Mis en place par le Ministère de l’Environnement et l’Association de Développement Intégral d’Ostional, il autorise la population locale à collecter les œufs durant les 36 premières heures d’une arribada pour les revendre en toute légalité. Ce programme d’extraction est unique au monde car, dans le cadre de la Convention Interaméricaine pour la Conservation des Tortues Marines, la consommation de leur viande ou de leurs œufs est totalement prohibée.

L’autorisation est justifiée par le fait que les premiers nids sont inévitablement éventrés ou piétinés lors des pontes des jours suivants. Sans nuire à la survie de la «tortuga lora», comme on l’appelle ici, cette gestion permet à la communauté de tirer profit à la fois des œufs vendus et de l’éco-tourisme florissant. Dans cette partie du globe où les tortues marines sont largement décimées, ce projet apparait comme un exemple à suivre en termes de conservation et de développement durable.

Durant les deux premiers jours de l’arribada, hommes, femmes et enfants du village se réunissent sur la plage et se partagent les tâches : repérer les nids, déterrer et collecter les œufs, les nettoyer à l’eau de mer et les conditionner dans un sac certifié. Ces œufs seront consommés localement ou acheminés par camions dans tout le pays. Mangés crus en cocktail épicé (la « sangrita ») servis d’une bière locale ou encore cuits en omelette, ils ont un véritable succès auprès des costaricains. Est-ce pour leur «soi-disant» vertu aphrodisiaque, pour la convivialité d’une dégustation entre villageois ou pour leur véritable saveur ? Difficile de se prononcer, mais chacun y trouvera son bonheur…