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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Olivia FORTIN – Les mapuches, spin doctors de la lutte

Fortin

Sabotages, emprisonnements, persécutions, tandis que les Mapuches du Chili sont engagés dans une lutte sanglante avec l’Etat, cent cinquante mille de leurs frères vivant en Argentine jouent le jeu des institutions et obtiennent la reconnaissance de leurs droits…

La ruka de Neuquèn, à mille cents kilomètres à l’ouest de Buenos Aires, illustre ce combat démocratique puisqu’elle est à la fois maison du peuple et siège politique. Récit de quinze jours à tâtons, à la découverte de la culture, de la lutte et de l’exclusion, entre le désir de communiquer son identité et la méfiance.

L’accueil est aussi froid que les trombes d’eau qui transforment les rues de terre battue en ruisseau de boue dans le quartier d’Islas Malvinas. Si la pluie est la bienvenue après une saison des plus arides, mon arrivée à la ruka Newel Mapu, la maison commune où se retrouvent les Mapuches de Neuquèn, à mille cents kilomètres de Buenos Aires, paraît provoquer au mieux la lassitude, au pis, l’agacement.
« Fainéants et voleurs »

Pour compenser la météo, Mary Pinchinam, l’une des responsables, m’offre une entrée en matière des plus sèches : « Des journalistes, on en a déjà vu. Trop. » Ses yeux scrutent, à chaque parole, le visage de l’interlocuteur pour y déceler la moindre émotion. Inlassablement Mary conte et raconte la lutte du peuple Mapuche en Argentine. L’arrivée des Européens, la négation de leurs droits résultant de la Conquête du désert, la réappropriation récente des territoires et de la culture. En quinze jours de visites quotidiennes, le même discours introduira chacune de mes rencontres avec les membres de la communauté.

La ruka est située dans un quartier populaire et à chaque trajet les chauffeurs de taxi donnent le ton : « Ouh la ! Mais c’est dangereux par-là! Fais attention, les Indiens sont fainéants et voleurs. » Dans ce quartier, aucun nom de rues, pas un seul panneau de signalisation. « Tu vois, reprend l’un d’eux, avec un sourire entendu après trois demandes d’indications infructueuses, même les gens du coin ne savent rien de ce truc-là. Ca doit être une ruine au fin fond d’un chemin… » Je ne saisis pas toute la teneur du juron qui suit. Le seul mot audible est «Indios». Indiens. Une insulte à lui tout seul.

L’édifice est un bâtiment en L, propret, muni de grilles aux motifs de couleurs. Dans la cour intérieure, un coin pavé sert aux cérémonies rituelles, autour d’un foyer où, pour l’instant, les fumeurs laissent leurs mégots.

Les Mapuches, littéralement « gens de la terre », se répartissent entre le Chili et l’Argentine, le long de la cordillère des Andes. Ils sont le peuple qui a le plus fièrement résisté aux conquistadors et aux colons européens. Finalement mis à genou au XIXe siècle, ils militent de chaque côté de la chaîne montagneuse pour la reconnaissance de leurs droits.

Un habitant de Neuquèn, débarqué à la ruka par le plus grand des hasards, illustre que la lutte est loin d’être gagnée. « Je ne savais même pas que ce centre existait. Moi, je suis contrôleur aérien. Tu sais, tu as du voir des films où il y a des avions. Et des tours, avec à l’intérieur des gens qui parlent aux avions… », explique-t-il avec force signes. Après son départ, Mary explose de rire. « Nous sommes habitués à ça. C’est plus de l’ignorance que de la méchanceté. Il faut être patient. C’est à nous de faire l’effort de les éduquer. »
« Pour un qui tombe, dix se lèveront »

Etre reconnu par l’autre passe par la communication. Et les Mapuches de Neuquèn ne laissent rien au hasard. Tous les membres de la communauté formulent au mot près le même discours. Ceux qui sèchent sur mes questions me sourient poliment et s’en vont transmettre ma demande à l’une des têtes pensantes de l’organisation. Après un soupir, la réponse est systématiquement courtoise, mais sentencieuse.

Le Chili n’est jamais loin. Si les sérieux troubles et affrontements entre le gouvernement voisin et les Mapuches sont toujours soigneusement évités, les murs de la ruka portent des photos de guérilleros dont la légende est explicite : « Pour un qui tombe, dix se lèveront ».

Mais en Argentine, depuis les années 80, les Mapuches ont entamé une lutte politique. Ceux de la province de Neuquèn ont réussi en 2006, après un âpre débat, à faire valoir leurs droits dans la nouvelle constitution fédérale. L’article 53, au chapitre droits, devoirs et garanties, leur reconnaît, entre autres, leur préexistence ethnique et culturelle, garantit le respect de leur identité et le droit à une éducation bilingue. Reste à éprouver la mise en application.

C’est l’un des thèmes de travail de la ruka Newen Mapu qui est aussi un centre d’éducation, et le siège de la Coordination des organisations Mapuche de la province de Neuquèn, une organisation politique. L’édifice subit donc un va-et-vient incessant.

Sans compter que tous les jeunes se sont fait un jeu d’entrer et de sortir de l’unique pièce possédant un chauffage. C’est ici que tout le monde se rencontre avant de vaquer à ses différentes occupations et après avoir sacrifié au traditionnel maté, symbole argentin par excellence. Si l’on exclut les « Mari mari » sonores, « Bonjour » en mapudungun, tous les échanges se font en argentin. Ce n’est pas ici que l’on pourra croiser des Indiens vêtus de peaux et de plumes. Il y a bien des ateliers de tissage, mais les Mapuches se méfient du folklore et fuient comme la peste l’image du bon sauvage.

« Neuquèn est un réceptacle. Notre présence en ville résulte d’une équation économique et sociale. Je fais partie de la troisième génération née ici, m’explique Tvrvf, qu’il faut prononcer Tourouf. Quand l’Etat parle de nous par le terme Mapuches, c’est toujours dépréciatif. Nos aïeuls étaient montrés du doigt, on leur criait : Sauvages ! Pour ne plus souffrir et subir la honte, ils ont occulté l’identité Mapuche. Ils ont été formatés par le sentiment d’identité nationale argentine. Ils troquent leur culture contre une autre composée comme une salade russe. »

La tirade est débitée sur un rythme maîtrisé. Et ce n’est pas seulement parce que Tvrvf vient de terminer des études en communication. Les jeunes sont rôdés à l’exercice de la parole et à la défense de l’identité. Si les Mapuches font encore partie des plus mal lotis de la société argentine, aujourd’hui les jeunes ont accès aux études supérieures. « Nous pouvons choisir la carrière que nous voulons, mais nous choisissons toujours quelque chose qui sert la communauté, appuie Tvrvf. Cela peut-être considéré comme quelque chose de magnifique, mais c’est surtout une énorme responsabilité. Car lorsque tu te trompes, tu n’impliques pas que ta propre personne, mais tout ton peuple. » Mary approuve et résume : « Les Argentins disent des jeunes qu’ils sont le futur. Nous, nous pensons qu’ils sont le présent. Car sans présent, pas de futur… »
«Longtemps les politiques nous ont pris pour des idiots»

L’un des grands projets de la communauté est l’ouverture d’un centre de formation pilote en 2009-2010. L’objectif avoué est de faire du Madugundun la langue officielle de la province de Neuquèn. « A chaque revendication, nous savons quel est le but final. Nous ne demandons rien par hasard, mais au contraire quelque chose qui va nous permettre d’aller plus loin et d’accomplir notre projet. Longtemps les politiques nous ont pris pour des idiots qui demandaient des peccadilles. Mais nous savions dès le départ où nous voulions arriver. »

Après la réunion pour le projet de l’école interculturelle à laquelle j’ai été conviée, place à une rencontre avec les logkos, « tête » en mapudungun, les représentants des différentes communautés. Si, en près de quinze jours, les membres de la communauté de Neuquèn se sont habitués à me voir et semblent plus disponibles, il ne faudrait tout de même pas exagérer. « Ce serait mieux si tu allais voir les jeunes de l’autre côté… », me sourit Mary en me menant dans l’autre aile. Le temps de croiser les logkos qui me détaillent de la tête aux pieds, me voilà prise en charge par Tvrvf pour une visite guidée des projets audiovisuels de la Kona, l’assemblée des jeunes. Croisée dans les locaux, Veronica Huilipan, l’une des instigatrices de la lutte judiciaire, est lucide sur le rôle de ces jeunes. « Ils ont été nourris de notre lutte, de nos actions. Ils connaissent le système et vont pouvoir s’en servir pour la communauté.»

La fin de mon séjour approche. Depuis plusieurs jours la ruka Newel Mapu est en effervescence. Une communauté rurale située à plusieurs heures de route de Neuquèn va inaugurer samedi sa propre ruka. Tous les membres de la communauté s’organisent pour être de la fête. De radieux, le visage de Mary devient soucieux lorsque je demande si je peux y participer. Repoussée de jours en jours, la réponse arrive enfin le vendredi à 14 heures : c’est oui. Oui, mais il faut être ici dans une heure avec un sac de couchage et de quoi survivre un week-end en camping.

Il est quinze heures. La ruka est déserte. Tout le monde est parti et j’attends le groupe de quatre jeunes Mapuches qui doit passer me prendre. Il est seize heures. Après plusieurs appels passés à Mary, je dois me résoudre à rentrer chez moi. Les jeunes n’ont pas bien compris, ils sont partis plus tôt et directement. Sans moi. Comme je prends le bus lundi pour Buenos Aires, je ne reverrai personne. Mais Mary promet de m’envoyer par mail des brochures sur la cosmovision Mapuche.