APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Marine COURTEMANCHE – Madagascar, les sens dessus dessous

madamarche
Itinéraire sensible d’un vazaha à Madagascar.

Les cinq sens, quotidien du sensationnel. Le sixième est la culture. Un bien grand mot, disons l’éducation. A Mada comme ailleurs, les impressions succèdent aux sensations : un vazaha sur l’Ile Rouge.

Un vazaha, c’est-à-dire un étranger. Une vazette, par extension vous comprendrez. Terme ni affectueux, ni agressif, juste stigmatisant.

Voyageurs, donc sommés de livrer un sentiment général aux avides d’évasion sur canapé. « Alors ? C’était comment ? » Une impression générale : « Tip top ! » « Dur » « Inoubliable ! ». Un mensonge gros comme la planète. Des battements de cils, du décousu. Une soupe. Oui, c’est ça, une soupe de sensations. Le truc dans une soupe, c’est que les ingrédients sont broyés.

Alors évitons.

Bienvenue à Mada, tous vos sens sont sollicités, les décollages et atterrissages sont perpétuellement imminents.
Odorat : immondices et délices

Le nez occidental connaît toutes ces odeurs : gaz de pots d’échappement, poubelles, eaux insalubres, poussière…Par contre il est agressé quand elles se manifestent toutes dans un même espace temps.

De la pollution aux senteurs poussiéreuses, des bennes à ordures gigantesques mêlées aux égouts vomissants : le nez blanc se sent mal car il les sent trop bien. Manque d’habitude.

Pensée polluée et question naïve : pourquoi Antananarivo (Tana) la capitale obtient la deuxième place du palmarès planétaire des villes où la pollution de l’air est reine ? Voyons voir. Deux simples constats : les 4×4 démesurés, ou 4L et mini-bus déglingués (« taxi be ») constituent l’essentiel du parc automobile à Mada, et tout ce petit monde est en constante augmentation. Implacable.

Une odeur totalement oubliée : la viande des bouchers à l’air libre. Elle sèche ou pourrit, brûle ou suinte selon la météo. Le nez est particulièrement écœuré par celle-ci, de bon matin (oh, même à 17h, vous conviendrez). Alors dès qu’il le peut, le nez guide les muscles, qui guident les pieds, qui guident le corps vers le trottoir opposé, histoire de ne pas trop paraître dégoûté. Etre dégoûté c’est faire mauvais genre car oui, tout le monde voit que toi, tu possèdes un frigo, voire un congélateur. Trop facile.

Parfois, l’odorat vazaha est déçu. On lui avait parlé d’orchidées et d’ylang-ylang mais en ville ces deux délices odorants se font rares. Alors d’autres réconforts olfactifs sautent au nez : la pluie tropicale sur sol chaud, les brochettes de zébu du vendredi magnifique, les mofagasy («pains malgaches») et les beignets à la banane des gargotes. Ceux là entre autres empestent plus souvent et joliment les rues de Tana.
Ouïe : du bruit au message

Contexte : instant d’un après-midi de jour chômé. Si on aiguise l’attention, retenons un paysage auditif :

Fond sourd de moteurs (voitures et motos redoublent d’efforts dans la montée).

Klaxons saupoudrant les ronronnements pétrolés.

Pas courant dans l’escalier.

Un bébé chouine.

Un homme siffle (interpelle un voisin ou un collègue).

Et surtout, comme toujours, et à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, les chiens. Ils aboient, chantent, hurlent, gémissent, gueulent, geignent. L’immense majorité des chiens à Tana sont des chiens sans race, sans tatouage, sans toilettage, parfois sans maison, souvent sans maître. Rarement, ils mordent, exceptionnellement les touristes, mais le Routard s’alarme quand même et remplit les poches de l’Institut Pasteur.

Un autre qui n’hésite pas à sonner l’alarme, c’est le Président de la République malgache : tous ses déplacements sont ornés de sirènes, cinq ou six 4×4 imposants à vitres teintées, motos policières et sbires au volant. Vitesse oblige, les policiers placés sur tout le long de l’itinéraire et armés de trop longues mitraillettes écartent les lambdas de la route. Alors si on doit parler de message auditif, celui là dirait « Poussez-vous, je suis puissant, menacé et menaçant ».

Je perçois un autre message, qui crie « feignasses ! » aux dormeurs des matins : 6h45 ils n’émergent que douloureusement alors que les enfants discutent déjà sur le chemin de l’école et les travaux des adultes sont engagés.

N’oublions pas les quiproquos auditifs : un « tsstss » dans la rue n’a ici rien d’insultant mais correspond simplement à notre « hé ! », pour quelqu’un qu’on interpelle.

Souci : il sert également aux jeunes hommes en équivalent de notre fameux « hé madmoiselle ! ». Les « tsstss » s’accompagnent donc régulièrement de «Bonzour ça va?», «Bonsoir zolie beauté », «Salut série », ou « ze t’aime, tu vas où?»…

Au moins, pas d’insultes.

La langue malgache. Trop peu d’expatriés l’apprennent ; paressent. Excessivement facile de parler français. Penser qu’il en est de même pour les Malgaches, détrompons nous.

Même quelques 3V (« vieux vazaha vicieux ») se font avoir : ils arrivent sur le territoire pensant trouver leur dulcinée d’Internet qui maniait si bien les « je t’aime », et tombent sur une entremetteuse leur présentant une jeune paumée parlant difficilement le Molière. « Oh. Bon tant pis, elle est bonne quand même ». Honte et désespoir recto-verso.
Goût : le luxe du vazaha et sa turista

Avant de partir dans un pays classé dans la catégorie « non industrialisés », le vazaha profite bien de ses derniers plaisirs de la bouche et se dit « didjiou que ça va me manquer ! Allez, en rentrant ça sera l’orgie. ».

Or, ce qu’il ne sait pas c’est que les restaurants à Mada : foison ! Et surtout largement à portée d’un blanc portefeuille…

Alors les papilles sont en fête : vanille, poivre vert, gingembre, langoustes, foie gras, légumes aux goûts insoupçonnés, fruits sucrés. Trois, quatre, cinq ou six fois par semaine, c’est le surprenant luxe. Profitons et mangeons même malgache : romazava, ravitoto, sakafo, tilapia, rhum arrangé au gingembre, repas dans les gargotes et…oups.

Le vazaha devient soudainement le meilleur ami des cabinets : la turista. Le grand mal du blanc à l’estomac aseptisé. Aucun germe, même nanoscopique, n’est supporté. Le vazaha en post « crise des intestins liquides » devient parano. Il sent l’odeur du smecta à chaque nouvelle bouchée.

Il se met ensuite à l’eau javellisée. Puis repart pour un marathon des restaurants.

Et la question-scrupule du jour est : combien d’années va encore vivre la dame qui habite dans la benne à ordures de l’autre côté de la rue, mangeant et dormant dans ce que seuls les vers et les mouches trouvent encore appétissant ? Il paraît même qu’une autre équipe la relaye pour un second triage à la déchetterie. C’est ainsi que fonctionne le traitement des déchets à Tana.

Bon courage à ceux qui arrivent avec leurs poubelles bleues, bons sentiments à ras bord.
Toucher : chaleur et écart de richesses

Sortie d’avion et l’étouffante bouffée tropicale saisit.

Les pores des visages pâles sont premièrement ravis et se resserrent, deuxièmement desserrés par l’étau de la pollution.

L’essentiel si on veut que ça glisse à Tana (et sans huile) côté santé, c’est le rituel lavement des mains.

Des mains qui touchent, effleurent, s’agrippent, manquent d’éviter, transpirent, échangent. A Tana, verbes dangereux. Exemple seul, et à lui exemplaire : les billets. Ceux là doivent rassembler un total inimaginable d’horreurs microbiennes. A juger : couleur, texture, odeur.

L’argent a donc une odeur : pas une bonne nouvelle.

Alors on frotte, rince, astique ; ceux qui peuvent avec du savon, les autres dans les flaques brunâtres.

Moment de conscience honteuse :

«Oh mince il s’approche, et il me parle. Non, non résiste, prends ton air détaché…Pourtant il est si petit, pourtant il est si pieds nus. Son grappin de petite sœur sur le dos, il connaît son refrain par cœur. « Madame, madame, s’il vous plait pour manger « . Qu’est-ce qu’il est sale…Contente toi de refuser, garde ton principe, pas de mendicité…Zut il me suit. Accélère le pas, ça ira, de toute façon tu ne l’aideras pas si tu craques….Et puis n’oublie pas les bouts de pain restés sur la table du restau la prochaine fois. Oula son nez coule il reste de la morve sèche sur sa lèvre supérieure. Je ne voudrais vraiment pas qu’il me touche…D’ailleurs ils tendent toujours la main mais ne touche jamais. Pas même un effleurement. La distance économique ?…Il laisse tomber. Ouf.»

Jusqu’au prochain.
Vue : l’envie du flou, parfois

La tragédie du contraste. Les pairs restés en France imaginent constamment doigts éventaillés sur sable fin et ombragé de cocotiers. Le vazaha lui-même avait certaines images en carton pâte en tête. A l’atterrissage, la réalité est clichée et surprise.

La première impression apparaît cinématographique : couleurs et décors qui sonnent encore faux. Puis les détails sautent aux yeux.

On a peine à croire ce qu’on voit et l’appareil photo, canne à pêche aux preuves d’exotisme, jaillit entre les mains. Mais le cadre est ridicule, la pose anti-naturelle et les couleurs sèches. Nombreux sont les touristes qui cherchent sans repos un sourire sucré sur peau dorée, pour montrer à quel point le dénuement force le sourire qu’ont perdu nos contrées superficielles.

Ils oublient (s’étant concentrés sur la misère) la classe moyenne malgache presque occidentalisée, moins voyante mais peut être plus bruyante dans les karaokés, dégustant, les jours de fêtes, les plats traditionnels désertés par les restaurants.

Ils oublient aussi trop souvent les contrastes de Tana.

Et c’est ainsi qu’intervient l’envie du flou, le besoin de ne pas voir les paradoxes écœurants de la capitale. Culpabilité de riche ? Certainement. Douleur d’humain ? Aussi.

Tana est l’exemple parfait d’une capitale qui concentre tous les pouvoirs et richesses locales et étrangères en attirant de trop nombreux démunis qui espèrent.

Les couples mixtes aux écarts d’âge, de couleur et de pouvoir d’achat en sont une conséquence perverse. L’amour est insulté et plus personne ne croit à leur sincérité. Ou alors à la sincérité de leur désespoir, affectif pour l’un et financier pour l’autre.

Pendant ce temps, l’Ambassadeur de France à Madagascar touche quinze mille euros mensuels et mange des petits fours ; le mec qui dort sur le trottoir d’en face gagne des regards de pitié et mange ce qu’il reste des ordures. Méritocratie ?

Ne pas voir, ou moins distinctement le petit tas d’enfants qui ne connaissent ni propreté ni confort le matin, émergeant d’une nuit dehors. Ou les bienheureuses mouches sur les présentoirs. Ou les plongeurs des bennes à ordures, pieds et mains nus. Ou le répugnant amas d’immondices s’accumulant dans des rigoles dans lesquelles des jeunes filles se lavent les cheveux, près de brinquebalantes habitations. Ou les malformations des corps mal soignés, dont certains sont abandonnés au milieu de la route, mendiants.
Caverne aux horreurs, île aux merveilles.

Le flou parfois serait criminel. Madagascar, la superbe : mirettes écarquillées, remplies d’escaliers fluos de plants de riz, se mêlant à la terre rouge sang. La touristiquement classique route du sud offre aux yeux mille trésors détaillés de couleurs : le golden des rizières, le cristal des roches, l’or des plaines à saveur savane, le jaspe des habitations en terre cuite, l’aigue-marine du canal du Mozambique… Nationale 7, on est heureux.

Des piscines naturelles aux lémuriens amusants, symboles de l’île, Mada concentre plus de beauté que l’œil ne peut en voir.

Tana a du beau aussi. Admiration, mouvements de ville: des porteurs de paniers, bassines, cartons remplis jusqu’à l’impossible, posés sur leurs petits chapeaux de raphia, comme sur une surface stable. Ils avancent sans ciller. Les enfants noués à l’aide d’un tissu sur le dos courbé de leur mère ou de leur grande sœur. Les receveurs de taxi be, sautant à l’arrière de leur gagne pain en marche, essayant d’oublier que l’un des leurs n’a pu éviter, l’autre jour, le deuxième taxi be qui suivait, et en est mort écrasé. Les pompistes des stations essence, oisifs dans leurs combinaisons oranges.

Les yeux ne font pas le tri. Ils voient tout et s’enrichissent, du beau comme de l’insupportable.

Je vous vois peut être perturbés car vous vous sentez engloutis par une avalanche de faits éparpillés. Et j’en ai dit tellement peu…

Ce reportage touchera possiblement votre marmite émotive et a pour ambition seule de donner un panel de sensations personnelles.

Je vous entends déjà : il vous prend l’envie de goûter aux voyages…