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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Maeva BAMBUCK – Secrets d’un sexe pas si faible

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En arrivant dans les hauteurs de Téhéran, le contraste avec le centre-ville est dramatique. Pas de bazars et de vendeurs de frigos ici, mais des appartements, des bureaux et des pharmacies, est surtout la fraîcheur, si rare en été. L’élite iranienne, instruite et aisée, vie ici.

Je cherche mon hôtel, et comme beaucoup de chauffeurs de taxi, le mien ne comprends pas un mot d’anglais, ni moi un mot de farsi. Devant un lycée, il baisse sa vitre et appelle un groupe de jeunes filles, qui se retournent sans pour autant s’approcher, leurs lunettes de soleils de prix faisant masque devant leurs visages.

« Qui est cette fille au manteau et au foulard froissé ? » semblent-elles se demander. Rien à voire avec le peuple, en bas, si prêt a venir en aide aux touristes perdus, et offrir le thé. Ces filles la, élégantes et distantes, me dévisagent en rigolant. Leurs Christian Dior rivées sur moi, je me lance tout de même « Famaniyeh street ?» L’une d’elle baisse ses lunettes et découvre des yeux maquillés sous des sourcils taillés. Un regard déroutant d’assurance, je n’ose pas dire un mot de plus et me laisse dévisager. Puis, sûre de dominer, elle lance quelques mots au chauffeur, avec un sourire au coin. Nous reprenons notre route.

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Est-il bien possible que malgré tant de contraintes et de déconfort les iraniennes puisse nourrir autant de fierté et de grâce ? Ici, depuis la Révolution Islamique de 1979, la modestie est imposée aux femmes sous la forme d’un manteau large, et d’un voile recouvrant la tête, le cou et les épaules. Obligée par la loi, à moi aussi porter le hijab sous un soleil écrasant, je lutte sous la chaleur avec un voile qui refuse de rester en place sur ma tête et se froisse dès les premières heures du matin. Les iranienne, elles, restent fraîches et gracieuses, maquillage parfait et voile qui, comme par magie, ne prends un plis.

« Déjà, on ne porte pas de coton comme les touristes,» rigole Sherazade en réponse à mon incrédulité. Rencontrée à Chiraz, cette femme de médecin très coquette, assortie son faux carré Hermès avec son rouge a lèvre. « Mais surtout, j’étend mon voile quand je rentre chez moi» me dit-elle.

Telles atouts pratiques sont essentielles pour survivre un été iranien. Dans les rues, pas une femme qui se « laisse allée », non, toutes font clairement attentions a leurs apparences malgré les conditions et le vêtement imposé. Sherazade est l’une de ces femmes toujours élégantes, même dans un manteau trois tailles trop grandes. Car le régime veut qu’il cache les formes féminines. L’été, ou les températures montent jusqu’à 40 degrés, la loi va à la poursuite de celles qui tentent de se rafraîchir un peu, en remontant leurs pantalons, ou retroussant leurs bras de chemise. Elle leur colle des amendes, mais surtout une peur bleue.
Fourgonnette

Ainsi, une Teheranaise d’une trentaine d’année, qui ne souhaite pas être nommée, a été embarquée dans un camion de police en sortant de la piscine, parce que son bas de manteau était coincé dans son pantalon. «J’ai passé une demi journée dans la fourgonnette, qui sillonnait les rues et embarquait toutes les filles qui avait enfreint la loi sur le hijab. » Relâchée avec blâme, elle admet avoir eu peur et se rappelle surtout des jeunes adolescentes pleurant à côté d’elle. «Ils vous embarquent sans vous dire ou vous allez et ce qu’ils vont faire de vous» dit-elle.

Et pourtant, l’atmosphère répressive n’empêche pas les iraniennes de jouer avec l’enveloppe qui est supposée les faire fondre dans la masse. Des voiles aux couleurs vives, des manteaux aux coutures brodées – coquettes – ou déchirées – punk -, telles des lycéennes en uniforme, elles trouvent le moyen d’exprimer leur individualité. Voile porte sous un chignon haut – très sexy me dit un iranien qui s’y connaît – en cagoule a la petit chaperon rouge, en retrait, a la bohémienne, ou foulard porte a la Jackie Onassis, loin d’être victimes, les iraniennes sont expertes dans l’art des subtilités. Même dans le Sud plus dévot, ou beaucoup de femmes âgées portent le chador, et les jeunes sont tenues de rester sobres, la mode est au manteau cache-cœur.
Maquillage dense

«L’année dernière, les manteaux étaient très près du corps et les voiles en soie glissaient tout le temps, c’était l’enfer, » explique Sanaz, Iranienne résident a Los Angeles. Sanaz passe ses étés à Téhéran, chez ses cousines. « Mais cette année, les filles portent des vêtements amples et des voiles très épais, qui s’enroulent deux, trois fois autour de la tête. J’aime tellement ses vêtements que je les porte même a L.A.».

Expertes aussi dans l’art de redescendre leurs voiles au premier signe d’une voiture de police, de reboutonner leur décolleté au moindre regard de biais, et surtout de cacher derrières leurs lunettes un maquillage dense, bien que prohibé. « Il a toujours été dans nos coutumes de se maquiller fortement, » explique Sanaz. « Notre visage est la seule partie de notre corps que les hommes voient, alors on met beaucoup d’effort pour attirer leur attention. » Un teint toujours parfaitement homogène, un regard en amande souligne au khôl et encadre par des sourcils d’une symétrie a faire rougir Audrey Hepburn, les iraniennes maîtrisent décidemment l’art de la séduction, ne laissant aucune chance aux hommes.

Bien entendu, beaucoup s’accommodent du hijab, par habitude ou par foi. Nahid, une étudiante en architecture de 20 ans, dit se sentir en sécurité sous le hijab. « Il nous protége, nous permet de nous sentir plus calme, » me dit-elle en sirotant un jus de fleurs d’oranger dans le bazar de Chiraz. Son style, manteau noir, voile noir, jean et basket puma, est plus pratique que coquet, comme son train de vie. « Ca ne me dérangerait pas de porter le chador » me dit-elle, « Mais le problème c’est que je cours tout le temps ». Entre ses salles de classe et l’agence de tours organisés où elle travaille comme traductrice, elle n’a pas une minute à elle pour les fantaisies, et puis l’Islam, elle y croit. «Le hijab fait partie de notre religion, et de notre culture, » insiste-t-elle simplement, «alors j’obéi.»
Créatrice de mode

Tout serait plus simple pour le régime islamique si toutes ses citoyennes avaient la foi de Nahid. Mais les iraniennes du millénaire, pour beaucoup nées après la Révolution, associent l’Islam aux interdictions imposées par le gouvernement. Elles voient bien sur Internet, qu’a l’étranger, on s’habille comme on veut, et éduquées à niveau égal à celui des hommes, on comprend qu’elles en aient assez de se cacher.

Pourtant, Mahla Zamani, qui fut la première créatrice de mode à monter son défilé après la révolution, a des mots durs envers les jeunes fashion victims. « Les filles se maquillent simplement parce qu’elles n’en ont pas le droit. » dit-elle, « mais elles ne savent pas qu’il y a encore quelques années, les femmes étaient obligées de se vêtir en noir ». Longtemps critiquée par les factions radicales du gouvernement pour oser transformer le long manteau aux épaulettes de l’Iran des annees soixante-dix, en habit de mode, Zamani est bien consciente du terrain gagné et désespère de voir les caprices d’une jeunesse plus aisée mettre en péril le peu de tolérance accordé. « On a toujours envie de ce qu’on ne peut pas avoir, » dit-elle « mais a-t-on vraiment besoin de se maquiller pour aller faire ses courses ? »

Vanité, peut-être, mais a force de jouer sans cesse au chat et à la souris avec un système qui les comprend mal, les iraniennes d’aujourd’hui débordent d’assurance. Elles maîtrisent surtout avec adresse ce secret que nous françaises croyons pourtant bien gardé – que la séduction est dans les détails. Les mollahs ont perdu d’avance.