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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Laurent FLETY – Le tango de la mondialisation

Flety

L’Argentine s’emballe actuellement au rythme de la flambée des prix alimentaires. Des gauchos de la pampa aux glaciers de Patagonie, plongée australe dans un pays trépidant.
Buenos Aires Big Bang

Qu’est ce qui fait tant causer Buenos Aires? A toutes heures, les conversations sont prêtes à s’élancer. Les terrasses de café ne peuvent contenir le flot. Le moindre perron ensoleillé est pris d’assaut par des parleurs armés d’un thermos de maté, la boisson nationale. Des quartiers chics de Recoleta aux favelas de la Bocca, les conversations battent le pavé. Un mouvement crescendo, qui hausse le ton place de Mai pour faire plier le gouvernement Kirchner. Fortissimo, un chorus urbain quand le match de football commence…

Seules les tours du quartier d’affaires résistent au brouhaha. La rumeur s’étonne pourtant de l’ampleur de la spéculation immobilière. Seuls les bruits de chantiers attirent les capitaux étrangers. Il y a Puerto Madero, l’ancien port de Buenos Aires, à rénover. Les squats d’artistes ont d’abord transformé une friche mal famée en quartier branché. Aujourd’hui, les docks relookés en restaurants cosys et le jardin paysager justifient les prix des promoteurs. Les hôtels de luxe prospèrent à l’ombre des sièges sociaux. Il faut paraître le long des quais ou les amoureux se font photographier devant une passerelle pivotante. C’est une flèche tendue vers le ciel, la dernière prouesse de l’architecte Calatrava. Une esthétique du déséquilibre, comme l’Argentine?
Gérer l’aprés-crise

L’explosion économique actuelle couvre les échos de la crise du peso. En 2001-2002, les petits épargnants étaient ruinés par la dévaluation et le contrôle des changes. Pour faire tomber un gouvernement, ils manifestèrent en tapant dans des casseroles, les cacerolazos résonnaient. Pour conjurer le passé, la présidence Kirchner renégocie actuellement les dettes pour séduire de nouveaux investisseurs. Les projets, encore à crédit, fleurissent : usines hydroélectriques, lignes TGV,…. Il faut prolonger la croissance, faire encore reculer la pauvreté. Les roues des chariots des cartoñeros, des chiffonniers qui trient les déchets pour survivre, grincent encore.
La pampa gronde

Le jour de la fête nationale, 300 000 agriculteurs en colère ont fait de Rosario leur capitale éphémère. Dans le campo, cette campagne argentine parmi les plus productives du monde, la tension monte. Ce n’est ni l’utilisation d’OGM ni l’agrobusiness qui pose problème, mais le partage de la rente agricole. Un front commun unit les gros exploitants et les petits producteurs contre le projet du gouvernement d’augmenter les taxes sur l’exportation de soja. Les agriculteurs ont décrété le blocus, ils veulent profiter pleinement de l’envolée des cours mondiaux. Des piqueterros organisent des barrages filtrants, les camions contenant des céréales ou de la viande ne passent plus. La tension monte depuis trois mois, la viande se fait chère. Le couple Kirchner cherche à politiser le conflit faute de solutions. Les argentins sont sceptiques devant cette taxation supplémentaire, au vu de la tradition d’utilisation de l’argent public. Si c’est pour financer de nouveaux projets pharaoniques, rembourser une dette honnie ou alimenter la corruption, à quoi bon se priver d’un bon steak ?
Depuis les pionniers de l’Aéropostale…

Les choses ont bien changé en Patagonie depuis St Exupéry. Les harpons des baleiniers ont été remisés et c’est la migration des touristes qui fait vivre Puerto Pirámides. Les hommes ne se jaugent plus à leur courage, mais à leur habileté à alpaguer le touriste. Et savoir expliquer en anglais le mode de reproduction des cétacés est aussi difficile que de repérer un ban de baleine.

Malgré les boutiques de souvenirs, les hôtels-restaurants et les agences d’excursions en mer, le port baleinier a conservé son air de bout du monde. La liaison satellite a rendu caduc les exploits des pilotes de l’Aéropostale, mais il est toujours aussi difficile d’atteindre le petit port. La piste depuis la ville la plus proche n’est pas goudronnée et de hautes falaises de schiste enserrent Puerto Pirámides. La pampa offre ici un décor de western, avec vue sur la mer. Trois chuiques, une sorte d’autruche, détalent entre les dunes. En attendant la cohue des écotouristes, les rares habitants de Puerto Pirámides font quelques travaux pendant l’hiver. Ils ne sont pas les seuls à profiter du classement par l’Unesco au patrimoine mondial : baleines, pingouins de Magellan et loups de mer prospèrent. Les gardes du parc naturel protègent maintenant leurs lieux de reproduction. On se sentirait presque de trop quand la colonie braille, se dandine sur les rochers et pêche dans les vagues. Pour bien s’engraisser avant l’hiver, il n’y a pas de complexe de minceur qui tienne.
Un volcan s’éveille

Une brume envahit la Cordillère des Andes et ne se disperse pas. La nuée est provoquée par l’éruption du volcan Chaiten. Alors que l’automne patagonien finit dans une explosion d’orange, les nuages de cendres donnent au paysage une allure fantomatique. Des cimes enneigées aux eaux azur des lacs, toute la forêt est touchée. Quand le vent nous envoie les cendres, la bouche est envahie par cette texture granuleuse au goût acide. Les habitants n’abandonnent plus leur balais et se protégent de la poussière avec des masques. Obsession de la propreté, recherche d’air pur, les émigrants suisses ne se sont pas contentés de construire des chalets.

Le soleil rasant illumine par touches les pins vert sombre et les feuillus rougeoyants. Les jours semblent bien courts quand en Europe le printemps s’installait. Aux antipodes, les repères se perdent. La nuit, les constellations sont inconnues. En descendant au sud, le climat se refroidit. On se réveille un matin dans une pampa enneigée, parcourue par des guanacos, une espèce de lamas roux.
¿Un glacier, por favor ?

Le réchauffement climatique fait reculer les glaciers partout dans le monde, mais en Patagonie, ils résistent encore à la fusion. La troisième réserve d’eau douce de la planète bénéficie d’un conjonction géographique particulière: la latitude extrême s’ajoute au relief de la cordillère des Andes pour fournir d’abondantes chutes de neiges. Les masses d’airs humides du Pacifique doivent s’élever pour traverser ce relief. Elles se refroidissent alors et libèrent d’abondantes précipitations. Si les glaciers de Patagonie sont encore alimentés, il ne reste que des masses d’air asséchées pour la pampa. Les moutons se contentent de maigres touffes d’herbes dans la steppe.

Pour accéder au glacier, il faut se lever à l’aube, quand les flamands roses dorment encore. La route part d’El Calafate et longe le Lago Argentino, recouvert d’une mince pellicule de glace. La démarche des canards est bien maladroite sur cette patinoire. L’aube se lève enfin sur la pampa givrée. Quand l’aurore rosit les cimes enneigées, on aperçoit enfin le glacier. Avec ses 250 km2 de surface, c’est un poids lourd. Depuis les sommets andins, la neige s’accumule, se tasse et aboutit à un lac glaciaire. En naviguant entre les icebergs, on prend la mesure du géant, protégé par des murailles de glace de 50 m de haut. L’eau clapote entre ses anfractuosités. Ce calme s’interrompt soudain, le vrombissement provoqué par la chute d’un bloc de glace détourne les regards vers le lieu de l’impact.
L’ascension du Perito Moreno

On traverse ensuite une moraine, le matériau arraché par le glacier, pour attaquer le colosse par le flanc. Les blocs de roche et les graviers témoignent de la force de l’érosion. Pendant l’été, quand le contact entre la roche et la glace est lubrifié par l’eau de la fonte des neiges, le glacier avance de 2m par jour en son milieu, et de 40 cm sur ces cotés. Sous l’action de ce rabot géant, une vallée se dessine.

On profite d’une grotte pour pénétrer ses entrailles. La lumière, filtrée par la glace, tombe du plafond bleuté dans une atmosphère magique. L’eau forme des stalactites puis s’écoule dans un grondement. On retourne à l’air libre pour s’enduire de crème solaire. Ici, le trou de la couche de la couche d’ozone laisse passer directement les ultraviolets et la réfraction de la glace augmente le risque de brûlure.

On chausse enfin des crampons. La marche sur glace est d’abord hésitante, mais la progression en file indienne trouve rapidement son rythme. On n’entend plus que le glissement métallique des glaçons arrachés par la progression et le martèlement des crampons. Les sens sont bouleversés dans cet univers étrange: aucune odeur, des couleurs qui se limitent au bleu, blanc, gris. Eau, neige, sédiment, voila à quoi se résume cet univers de congères, crevasse, sérac. Qui savait que des teintes si magnifiques pouvaient être crée à partir d’une palette bleue translucide ?

Quand les congères bloquent le passage, l’expédition s’arrête. Il faudrait savoir manier le piolet pour continuer, mais un bar improvisé dans la glace offre sans difficulté un whisky on the rock. ¡Salud!