APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Jean-Baptiste HERRERA – Deir mar musa, monastère à la croisée des fois

monastere

Une fin d’après-midi de Mai à Nabek, ville sans charmes sur l’autoroute reliant Damas à Alep, à soixante kilomètres de la capitale syrienne, tous les voyageurs descendent d’un minibus bondé. Tous exceptés deux occidentaux ayant pour destination finale Deir Mar Musa.

Après une rapide négociation d’usage, le chauffeur accepte de les emmener au monastère situé à dix kilomètres de là. Le véhicule s’engage sur un plateau désertique où des dizaines de sacs plastiques se baladent au gré des vents.

Le conducteur coupe le moteur au pied d’un cirque formé par deux montagnes. Il reste à l’écrivain américain et à la pacifiste française trois cent soixante-trois marches à gravir avant d’atteindre le monastère perché à près de 1400 mètres. Athées tous les deux, ils viennent à Mar Musa, sans motivation religieuse, pour trouver un refuge propice à l’écriture. D’en bas, l’édifice couleur roche est quasiment invisible.

Le soleil, toujours présent à cette heure tardive de la journée, transformerait presque l’ascension en un chemin de croix. La monté se fait le long d’un oued asséché depuis bien longtemps, mais un récent déluge a redonné vie à la maigre végétation. Accueillit au sommet par de sonores « ahlan wa sahlan» -bienvenue en dialecte libano syrien-, des ouvriers leur indiquent la minuscule porte d’entrée. Cette porte, le Père Paolo Dall’Oglio l’a franchie pour la première fois il y a plus de vingt-cinq ans.

En août 1982, alors qu’il terminait une mission de traducteur pour l’ONG Caritas, Paolo décida d’effectuer seul une retraite dans ce monastère abandonné avant de rentrer à Rome. Il en avait lu une description succincte dans un guide touristique datant d’une cinquantaine d’année. Il y passa dix jours, méditant durant la journée et dormant à la belle étoile. L’état de délabration du lieu ne l’empêcha pas d’en tombé amoureux et de le restaurer années après années.
Méditation

Une fois rentré dans le bâtiment, on se sent inévitablement attiré par la terrasse, le panorama est saisissant : les montagnes qui nous entourent commencent à rougir à mesure que le soleil se couche. Elle ressemble à un amphithéâtre devant lequel s’étend l’immensité du désert. Mêlant l’hospitalité syrienne et tradition britannique, une anglaise lance un « It’s tea-time », interrompant la contemplation de notre couple franco-américain. Cette jeune retraitée partage aujourd’hui son temps entre son cottage du Sussex et Mar Musa. « Vous pouvez rester le temps que vous voulez » précise t-elle à ces hôtes qui s’excusent de ne pas avoir prévenue de leur arrivée. Une traductrice Bruxelloise qui visite au pas de course la Syrie se joint à la conversation. Elle s’en veut de devoir regagner Hama dés ce soir : « J’ai l’impression d’avoir trouvé ici quelque chose que je ne savais pas être venu chercher ».

Après s’être installé dans des chambres bien évidemment séparées, rendez-vous dans l’église pour une séance de méditation. La légende dit qu’elle fut construite au VIe siècle par un héritier au trône d’Éthiopie qui préféra s’exiler en Égypte et en Palestine avant d’atterrir ici. Après avoir passé plusieurs jours dans l’agitation damascène, le silence régnant dans la pièce est presque pesant. Heureusement, plutôt que de se lancer dans une introspection qui pourrait rapidement devenir anxiogène, on a tout le temps le loisir de s’émerveiller devant les fresques du XIe siècle, plus bel exemple d’art chrétien en Syrie. Trois styles correspondent aux trois couches réalisées à des époques différentes. Elles furent restaurées par une équipe italo-syrienne au début des années 2000. Elles sont partout, sur les murs, les colonnes et les voûtes. La finesse des traits et les couleurs détonantes, sont simplement magnifiques. Celle sur le mur principal représente le jugement dernier : Saint-Pierre et le Diable sont en train de peser le cœur et l’âme d’un « nouveau-mort », inch allah, pour lui direction le Paradis.
Visage d’ange

Soudainement la quiétude est interrompue par l’arrivée dans le monastère d’un groupe d’une trentaine de réfugiés irakiens chrétiens. Les frères ne se formalisent pas et arrêtent la séance pour accueilir ces jeunes qui ont entre huit et quinze ans. Ils sont accompagnés par une sœur d’origine libanaise qui leur propose chaque week-end des activités culturelles, sportives et bien sûr religieuses. Ça crie et ça rigole, juste le temps de préparer une tournée de thé avant la messe. C’est ce moment que choisi Paolo pour sortir de son bureau et faire son entrée, le maître des lieux a un visage d’ange posé sur un corps de géant, son charisme est indiscutable. Il distille en anglais, en français et en arabe des mots de bienvenue à chacun. Quelques minutes de discussion avec un jeune prêtre allemand qui vient d’arriver suffiront pour lui proposer de co-diriger l’office. L’homme d’église effectue un pèlerinage à vélo entre Berlin et Jérusalem.

Les similitudes entre la liturgie de l’Église Catholique Syriaque et celle de l’Islam sont nombreuses. Comme dans une mosquée, on doit se déchausser avant d’enter. La Bible placée sur un tréteau devant l’autel rappelle la position du Coran. Enfin les frères se prosternent comme les musulmans le font lors des cinq prières quotidiennes. L’ambiance est à la fois très informelle, tout le monde est assis en tailleur par terre, le curé ici ne domine le fidèle, il est à sa hauteur. Mais la faible luminosité et les prières psalmodiées en arabe créent une dimension quasi mystique. Hormis les jeunes Irakiens, on retrouve également dans l’assemblé, un professeur de l’Université de Bilbao et deux étudiants venus pendant trois mois enseigner le Français dans l’Est de la Syrie. À plusieurs reprises le sermon de Paolo est interrompu par un enfant Irakien, qui semble ne pas approuvé totalement ses dires. Ce qui aurait été réprimandé partout en Occident est ici encouragé par un regard bienveillant. Autre différence, ici lors de l’eucharistie, chacun peut goûter au sang du Christ, le vin n’est pas réservé au prêtre. Un employé Kurde d’un hôtel de la capitale m’avouera plus tard « La seule fois de ma vie où j’ai goûté de l’alcool c’était à Mar Musa, lorsque le calice est atterri entre mes mains, je n’ai pas osé refusé. Mais je suis sure qu’Allah m’a pardonné ».
Populaire

Après la messe, tout le monde se retrouve sous la tente pour un dîner frugal mais délicieux : pain frais, fromage maison et concombres sont au menu. On discute de tout sauf de religion, une réfugiée, fan de football anglais s’enquiert du résultat de la finale de la Ligue des Champions, alors qu’à l’autre bout de la table un des frère interroge un étudiant turc sur la situation au Kurdistan voisin. C’est le moment que choisit l’écrivain américain pour poser quelques questions au Père, lorsqu’il lui demande ce qu’il pense des backpackers qui viennent à Mar Musa, il répond avec un sourire : « Le monastère a acquis au fil des ans une certaine popularité auprès des jeunes voyageurs parcourant le Moyen-Orient. Il est vrai que c’est un bel endroit pour séjourner gratuitement en Syrie, on y vient comme irait dans un temple tibétain, pour se ressourcer. Je sais bien que la plupart de ces « pèlerins » d’un nouveau genre sont athées et je n’essaye pas de ramener ces brebis égarées au sein du troupeau ». Rares sont pourtant les routards qui reste insensible à l’ ambiance émanant de la messe. Le Père apprécie simplement que ces jeunes viennent se pencher au bord de ce balcon de spiritualité. Ce va-et-vient constant pourrait pourtant gêner sa méditation. À cela il rétorque : « Non, je me sens chez moi entouré de ces visiteurs, et puis les montagnes regorgent de grotte où je peux toujours m’isoler ». La soirée se termine après qu’une Irakienne ait chanté son hymne national répondant au Star-Spanged Banner interprété par une jolie new-yorkaise. Décidément ce monastère n’est vraiment pas un endroit comme les autres.

Le lendemain et comme tous les vendredis de nombreuse famille musulmane viennent passer la journée ici. Même si de tels lieux n’existe pas dans leur religion, elles n’ont pas oublié que c’est lors d’une retraite dans le désert que le Prophète reçu les premières sourates du Coran. La discussion s’entame tout naturellement. Pour la communauté de Mar Musa, le dialogue interreligieux est une priorité, et pour dialoguer avec « son voisin », il faut d’abord le connaître. C’est pourquoi on retrouve dans la bibliothèque un nombre impressionnant d’ouvrages consacrés à l’Islam, en particulier ceux de l’universitaire français Louis Massignon. Plus surprenant, on peut aussi y dénicher un exemplaire de Lolita de Nabokov.

Après quelques jours passé au monastère, l’heure du retour sonne pour le couple franco-américain et même si ce soir ils pourront passer la nuit dans le même lit, c’est avec regret qu’il monte dans leur taxi. Après quelques mètres, l’écrivain américain avoue « Mar Musa est un petit bout du monde où l’ont fait de superbes rencontres ». À cela sa « french girl friend » lui répond « Si un jour on m’avait dit que j’aurais envie de vivre dans un monastère… ».