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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Cyril ROBINET – Un bivouac au Mali

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En juillet 2004, Aurélien et moi-même, tous deux encore étudiants, nous lancions dans un périple dont le but était d’aller par voie terrestre de France en Guinée Equatoriale. Fin juillet, nous nous trouvions au Mali, sur la route de Mopti à Gao…

Nous roulions alors sur de fragiles motos chinoises achetées une semaine plus tôt sur le marché de Bamako. C’est à l’occasion d’un bivouac sur cette route que nous fîmes l’une des plus belles rencontres de ce voyage, par ailleurs très riche.

La énième crevaison de l’après-midi nous a encore fait perdre beaucoup de temps. Le soleil commence à tomber et, bien que souhaitant rattraper le temps perdu, nous sommes attirés par l’eau ocre des marigots qui parsèment la brousse à droite de la route. Sur notre gauche, c’est-à-dire au Nord, défilent de hauts plateaux desquels tombent des cascades à intervalle régulier, de sorte que se sont formés de petits défilés verdoyants où se nichent des villages. Tout le côté gauche de la route, aussi loin que porte notre regard, est dominé par ces plateaux d’au moins cent mètres de hauteur. Au Sud s’étend la brousse telle qu’elle a coutume d’être au Sahel en début de saison des pluies : herbes en touffes encore rares, sable et rocaille, arbustes épineux de deux à trois mètres de haut. Les premières pluies ont alimenté ces marigots qui nous tentent tant après une si chaude journée. Un site en particulier nous paraît accueillant, où par ailleurs une dizaine d’enfants se baignent déjà.

Robinet 2 Le-campement

C’est une véritable panique qui s’empare d’eux à notre approche : tous prennent leurs jambes à leur cou en hurlant ! Un souvenir de la colonne Voulet – Chanoine ? Alors qu’ils s’arrêtent enfin pour nous observer de loin, nous tentons en vain de leur signifier nos intentions pacifiques. Restés maîtres des lieux, nous entrons avec délice dans cette eau boueuse mais délicieuse. Le fond vaseux est assez agréable aux pieds. Il faut dire que les risques de se blesser avec un tesson de canette sont assez limités. Un vrai moment de détente… Après la baignade, craignant les moustiques, nous partons organiser le camp un peu plus loin. Le terme de « camp » est extrêmement pompeux puisqu’il ne s’agit en fait que de garer les motos et de trouver quelques gros cailloux pour installer le feu et nos fessiers… Nous n’avons ni tente, ni lits de camp, ni sacs de couchage. Suit la collecte de bois, qui se limite à de rares branches d’épineux tombées ici et là.

Partis chacun de notre côté, je vois Aurélien revenir en compagnie d’un vénérable vieillard enveloppé dans une toge de cotonnade bleu. Nous nous saluons par gestes. La blancheur de ses cheveux et le cuir tanné de sa peau témoignent de son grand âge, ce qui, avec son regard simple et franc, inspire le plus grand respect. Sans mot dire, il nous aide à préparer le feu. Cette visite est la première d’une série de rencontres qui va rendre cette soirée inoubliable… Conformément aux us et coutumes locales, je lui offre une noix de cola, geste qu’il semble apprécier. Alors qu’Aurélien est parti chercher de l’eau potable dans un dispensaire à proximité, d’autres hommes se présentent. A l’image du vieillard, ils sont physiquement différents des populations rencontrées dans les villages alentours. Petits, secs, mais en bonne santé, ce qui n’était pas le cas des gens du village de Dalla, notre étape de l’après-midi. A leur allure, je crois deviner qu’il s’agit de Peuls, vraisemblablement bergers, nomades ou semi-nomades. Interrogation à laquelle ils ne peuvent évidemment pas répondre ! Devant ce public d’une dizaine de personnes, toujours toutes silencieuses mais incontestablement bienveillantes, j’entreprends d’exécuter ma première cérémonie officielle de préparation du thé, telle que je l’ai vue faire depuis notre arrivée en Mauritanie. L’ambiance est détendue, nous nous exprimons par signes. Je me rends compte qu’ils observent et commentent entre eux tous mes faits et gestes ! Aurélien revient au camp alors que je m’apprête à servir. Ne disposant que de deux verres, je les sers l’un après l’autre, deux par deux, ne buvant rien moi-même et servant Aurélien en dernier. Alors que je fais couler et recouler de longs filets de thé brûlant de la théière au verre et du verre à la théière, je me sens à mi-chemin entre une représentation théâtrale et un oral du bac. Le jury est attentif. J’attends avec un peu d’anxiété leur jugement sur le produit fini. Ils semblent apprécier et m’adressent de grands sourires. Aux anges, je continue.

Robinet3 groupeMali

C’est de la sorte que se déroulera toute la soirée. Un thé après l’autre, des sourires, des regards complices. Un moment de fraternité, une véritable expérience humaine : eux et nous n’avons strictement rien en commun. Si ce n’est l’Humanité, et c’est bien là le principal… Il est difficile de décrire ce moment. Il ne s’est stricto sensu rien passé. Aucun d’eux ne parlant français, nous n’avons rien échangé de verbal. Ainsi le silence n’est pas nécessairement synonyme de malaise ? La nuit tombée, seule la musique vint remplacer les paroles, pour appuyer les regards, et renforcer ce plaisir essentiel d’être ensemble. L’un d’eux est venu avec une kora, dont il se met à jouer en fredonnant quelques paroles pour nous incompréhensibles. Nous croyons pourtant saisir dans cette mélopée douce et lancinante une expression de calme, de confiance et de bonheur tranquille. C’est donc dans ce même esprit que nous interprétons à notre tour quelques chansons d’enfance ou la Balade nord-irlandaise… Suivent aussi des moments de franche rigolade, comme lorsque l’un d’eux me fait priser de son tabac noir (en était-ce vraiment ?) emballé dans la page déchirée d’un cahier d’écolier. Ma réaction instinctive, en ressentant ce trait de flamme transpercer mes sinus des narines au cerveau, les fait bien rire. Je ris de ma propre surprise et de leur réaction, et réalise en même temps avec un peu de peine que bien des moments passés avec mes semblables de langue, de nationalité, de milieu social, n’ont souvent pas été aussi drôles ni aussi vrais. Soudainement, l’un de nos amis semble donner aux autres le signal du départ. Tous se lèvent alors comme un seul homme, nous saluent un par un, et disparaissent dans la nuit. Ils ont pris congé de nous comme si nous les avions invités à dîner à la maison, alors que c’est nous qui étions justement chez eux. Aurélien et moi restons un moment silencieux autour du feu, tentant de prendre toute la mesure de cette rencontre si inattendue et ô combien réconfortante. Puis nous allons nous coucher. Comme un retour à la prosaïque réalité, des nuées de moustiques nous assaillent, nullement entravés par la bulle de spiritualité fraternelle dans laquelle nous flottons encore… Nous nous recroquevillons donc sur le sol rocailleux, la tête enveloppée dans nos turbans et passons ainsi une nuit encore bien difficile.

Dans ces conditions, pas de grasse matinée possible. Les premiers rayons du jour suffisent à nous remettre sur pieds. Il n’est de toutes façons rien de plus beau que les aurores africaines, à l’heure où la chaleur ne rend pas encore l’environnement hostile. Notre feu de brindilles éteint depuis longtemps, nous n’avons aucune boisson chaude à disposition, simplement de l’eau et des biscuits secs. C’est ainsi que, prostrés sur nos cailloux, à la même place que la veille, reviennent nous trouver ceux que nous avons peut-être baptisés trop hâtivement « les Peuls ». Il s’agit cette fois des femmes et des enfants. Ces derniers, visiblement les mêmes qu’hier, sont rassurés. Quant aux femmes, elles nous apportent une calebasse remplie de lait chaud tout juste trait. En contrepartie, notre stock de paracétamol se fait piller, chacune nous signifiant avec force gestes et mimiques la localisation et l’ampleur de leurs douleurs. Le mythe du Blanc médecin a la vie dure et bien qu’ayant conscience du danger à les laisser prendre ces médicaments, un refus de notre part ne serait pas compris. Alors que, prêts à partir, nous nous rendons à leur campement, effectivement très proche, pour leur faire nos adieux, nos amis nous signalent, toujours par gestes, la présence d’éléphants dans la zone. Ils nous désignent, au loin dans la brousse, de hautes falaises qui semblent former un cirque naturel. Il y aurait derrière un troupeau de pachydermes de passage. Ils nous proposent de leur rendre visite, ce que, malgré nos délais serrés, nous ne manquerions pour rien au monde ! Il ne s’agit pas d’un zoo, ni même d’un parc d’Afrique australe où ces rencontres sont si prévisibles, mais de l’opportunité de saisir un moment rare. Il nous faudra, pour voir un vieux mâle taciturne, emmener nos bergers sur nos frêles engins à travers la rocaille, sous un soleil de plomb, en but à l’hostilité des autorités administratives locales… Mais ceci est déjà une autre histoire.