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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Cédric GIRARD-BUTTOZ – Sensations malgaches

Buttoz 1

Samedi 17 Février. 0h55. Premiers pas sur le sol malgache. Premiers pas dans un univers inconnu et point de départ de 10 mois de dépaysement total. Antananarivo, ville aux milles contrastes, reflet d’un pays aux milles facettes. Capitale de l’illusion…

De belles rues, bien entretenues, de majestueuses maisons coloniales qui surplombent les collines du centre ville, une charmante place entourée de luxueux hôtels. Néanmoins, ma première semaine dans la capitale m’a permis de briser ce tableau que l’on voulait m’offrir. En parcourant les collines et les ruelles, je suis allé à la rencontre de Madagascar et de son authenticité. Le choc des cultures est bien là, et finalement mon immersion dans le monde malgache commence ici. Ici, où les gamins jouent pieds nus vêtus de loques sur les pentes boueuses. Ici, où les femmes font leurs lessives dans les eaux de pluie ruisselantes. Ici, où tout n’est que survie sous des toits de taules. Ici, où l’on vous dévisage comme si vous arriviez d’une autre planète. Un homme venu d’ailleurs à la rencontre d’un peuple laissé pour compte.

Ici, la communication passe par le regard, les sourires. Le bonheur se lit sur le visage des gosses. Malgré la misère, malgré leur vie effroyablement dure, ces gosses, ces familles, ont quelque chose que nous avons perdu, nous, Occidentaux : le simple bonheur de vivre.

Buttoz 2

Après deux semaines à errer dans la pollution tananarivienne, me voilà en route pour le Parc National de Ranomafana, au Sud-Est du pays, pour entamer mes dix mois d’étude sur la communication des lémuriens. Une bonne heure d’embouteillage me laisse entrevoir la pauvreté qui s’étend le long des marécages insalubres qui jonchent les abords de la capitale. Au sortir de la ville, je découvre les ravages de la déforestation. Malgré tout, ces paysages dépaysés laissent place à des contrastes irréels, aux mélanges des genres. Impression de passer, en quelques kilomètres, de la forêt tropicale Amazonienne aux pâturages des Alpes Suisses. J’entrevois également le quotidien désolé de milliers de malgaches, des petits marchands isolés en bord de route vendant trois pommes ou quelques litchis aux paysans se rendant à pied au marché. Le pays tout entier est un vaste patchwork de paysages, de richesses, de cultures et de traditions qui se font face.

Ranomafana (eau chaude en malgache) est un petit village d’altitude abreuvé de sources thermales qui jaillissent ça et là. L’eau est omniprésente et se répand sur les flancs de la montagne par des milliers de petits ruisseaux.

Depuis la création du parc national, le tourisme s’est développé, et une cinquantaine de guides travaillent ici, tous issus des villages alentours. Ici, l’homme a montré que l’écologie et l’économie ne sont pas forcément opposées.

Comment ne pas être subjugué, dés le premier contact, par cette nature à l’état pure ? Ici toutes les végétations se mêlent. Pas de domination, simplement de la cohabitation. Que penser de cette cathédrale de bambous qui surplombe nos regards ébahis ? Plus d’une cinquantaine d’espèces qui s’entrelacent.

Observer des lémuriens, c’est pénétrer dans leur vie. Ici, la nature reprend ses droits et rétabli l’ordre des dépendances. Nous sommes à la merci de ceux que nous suivons, de ceux que nous voulons comprendre. Nos activités sont gouvernées par celles de nos objets d’étude. Courir sur des pentes abruptes. Siester à l’ombre d’un figuier. Traverser un ruisseau. En partageant le quotidien des lémuriens, on s’emplit de sensations. Aucun sens n’est laissé pour compte :

Buttoz 3

L’ouie : Quelques 130 espèces de grenouilles nous proposent un concert à faire frémir. On se laisse emporter par ces chants, ces croassements, ces petits cris stridents. Un patchwork de sons et de vibrations qui nous transporte loin de toute considération civilisée.

La vue : La profondeur et la diversité des cris de ces batraciens n’ont d’égal que la beauté et la multitude de leur coloration, à commencer par leurs yeux : striés, veinés, éclatants. Petites ridules ondulantes de rouge sur fond blanc. Pupilles d’un noir profond auréolées d’ondulations orangées. Ventre bleu indigo, dos vert émeraude ou encore couleur flammes. Les yeux dévorent également les caméléons qui resplendissent de leurs couleurs les plus indécentes. Alternant les tons d’une écaille à l’autre, ils deviennent de véritables palettes de peintre au milieu des branchages. En fin de journée, quand les rayons du soleil peinent à percer la dense végétation, éclatant finalement dans les milliers de gouttes d’eau qui ruissellent ou stagnent sur les feuilles, la nature devient bijou, l’eau devient diamant.

L’odorat : Les fruits, les milliers de fleurs, l’écorce des arbres, les multiples marécages, les feuilles que l’on craque et qui dévoilent un parfum citronné. Toutes ces molécules volatiles qui poursuivent leur ascension vers notre nez, surpris, et finalement ravi.

Le goût : Goûtez à ces fruits, à ces feuilles, et votre palais sera alors en proie aux délices de dame nature.

Le toucher : Frôler un tronc, s’entailler le pouce sur un jeune bambou, sentir le picotement de dizaine de sangsues qui vous dévorent les jambes, caresser des feuilles d’une douceur incomparable, et c’est tout le paradoxe tactile qui explose dans votre corps. Irritation mêlée de délice, plaisir mêlé d’inconfort : c’est dans le paradoxe que s’épanoui l’ultime sensation de bien être.

Quatre mois plus tard, direction Ialatsara, réserve privée au Nord-Ouest de Ranomafana. Ici tout devient extrême : plus d’altitude, plus de fragmentation forestière, plus d’emprise de l’homme sur la nature, plus d’accessibilité, plus de lémuriens. Néanmoins, ce qui m’a le plus enrichi ici, ce ne furent pas mes plongées quotidiennes dans l’écosystème malgache, mais mon intégration dans une famille franco-malgache et ma découverte des rites Betsileo. Comme chez la plupart des ethnies malgaches, les ancêtres sont au coeur de la culture Betsileo. Chacun se doit de les consulter pour toute décision importante qui régit sa vie. C’est ainsi que, pour le départ de leur fils en France, la famille a tout naturellement organisé une cérémonie pour les ancêtres. J’ai eu la chance d’y être convié, et j’ai pu mesurer l’intensité émotionnelle d’un tel rituel. Ce dernier se déroule auprès d’un arbre totem, de l’âge de la personne à « bénir ». Le maître de cérémonie prépare les lieux en fauchant la végétation au sol, et en installant sept marmites afin d’y préparer le repas pour les ancêtres. Tout le monde a revêtu son plus beau costume aux couleurs vives. Le repas se compose de zébu bouilli, de riz nature et de riz au miel pour les ancêtres végétariens. Le Toka Gasy (rhum local) coule à flots. Après un long discours à l’attention des esprits des ancêtres, le maître de cérémonie laisse symboliquement ces derniers se rassasier. Les bénédictions sont ensuite traduites au receveur, puis la nourriture est partagée entre les convives.

Mes excursions « touristiques » m’ont également permis d’appréhender la richesse et la diversité ethnographique et paysagère de l’île rouge.

Sud du pays, changement de décor : à perte de vue de vastes étendues de prairies et, soudain, ces rochers érigés qui apparaissent derrière les falaises calcaires. Vastes paysages lunaires où serpentent de multiples ruisseaux bordés de filaments de végétation. Que dire de ces cascades, de ces piscines naturelles aux eaux d’une pureté incroyable ? Un vrai paradis ! Mais ce paysage invraisemblable ne peut pas éclipser la richesse culturelle du peuple qui y vit. En tant que Baras, il convient de prouver sa bravoure en volant des zébus à son voisin afin de trouver une femme à marier. Au-delà de cette accession à la reconnaissance bien particulière, cette ethnie partage avec tant d’autres à Madagascar la culture du retournement des morts. Une véritable institution ! Ici pas de mise en terre. Les cercueils sont placés dans des grottes naturelles. Tous les sept ans les corps sont ressortis, nettoyés, fêtés et « réentérrés ». Toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus inaccessibles ! Il faut risquer sa vie pour honorer ses morts. Le zébu est au cœur de la fête. Dans cette ethnie où l’on s’entre vole les bêtes, la valeur marchande des zébus décuple et renforce encore l’idée que l’on investit bien plus pour ses morts que pour sa propre survie.

Côte Sud-Ouest, autre ethnie : les Vezos, autres paysages : dunes de sable fin et mer émeraude aux richesses sous marines inconsidérées, mais toujours ce respect absolu envers les morts : trois jours de cérémonie, dans un petit village côtier, avec une centaine de convives. La musique se répète à l’infini. Comme si la mort d’un des leurs redonnait la vie à ces peuples pécheurs oubliés par la gouvernance des hauts plateaux.

Mon reportage et mon voyage s’achèvent sur un coucher de soleil sur les pirogues « Vezo » : éclats et contrastes de couleurs, image d’un pays aux milles facettes.