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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Astrid DE LA CHAPELLE – En terre Mongole…

De la ChapellePhotos: CC/ Emmanuel SMAGUE

J’y suis et je n’y suis pas. Quelques jours après avoir trainé dans la ville, j’y suis enfin. Où suis-je?

La plaine se déroule devant moi à perte de vous, des collines ponctuent mon horizon. Les routes -ou plutôt les larges chemins de terre parallèles qui se croisent et se recroisent – ne mènent nulle part et disparaissent à perte de vue. Je pourrais dire qu’elles disparaissent «au fond» là-bas. Mais au fond de quoi?

Ma jeep est un petit espace cloisonné rude et chaud. J’y passe de nombreuses heures par jour, en compagnie d’un jeune croate et d’un jeune israëlien que je ne connais pas.

C’est étrange cette sensation de traverser de tels espaces dans un si petit espace. Ces plaines sont si grandioses, si généreuses, et elles ne m’offrent pas encore la possibilité de les parcourir. Comme si la voiture cherchait à tout prix à s’éloigner toujours plus; elle ne s’arrêtera jamais.

Mais parfois la jeep s’arrête. J’ose descendre. Je n’ose pas m’éloigner.

Nous traçons la route jusqu’en fin d’après-midi et nous arrivons soudainement à un minuscule campement de gers dans lequel vit une famille. Je ne l’ai pas vu arrivé, et je ne comprends pas comment notre chauffeur a pu y arriver. Tout le paysage m’a semblé tellement identique…

Mon esprit étriqué comment à se défaire lentement; ce qui m’a semblé identique ne l’est pas pour ceux qui habite ici. Ma notion de l’espace et du temps est différente de celle de ce peuple nomade. Tandis qu’ils sont dans ces plaines chez eux, mon esprit définit encore un état de propriété matérielle.

Je n’ai vraiment rien compris….J’ai galopé sur un petit cheval mongol, et j’ai eu peur qu’il ne s’arrête plus.
Une beauté incroyable

J’ai réalisé l’infini de ces plaines, la vie de ces hommes nomades,et la vie de leurs frères qui ont préféré la ville. Et puis j’ai réussi à stopper maladroitement mon petit cheval, en le faisant tourner, la bride écartée à l’extrême, sa tête s’est déformée.

Plus tard, je m’écarte un peu du groupe et marche pour gagner une colline proche sur laquelle j’aurai une vue imprenable. C’est étrange car la relativisation de l’espace que j’acquiers gagne ma notion du temps: je suis incapable d’estimer combien de temps j’ai marché. J’arrive à la petite colline et je m’assieds ; je surplombe une sorte de vallée dans laquelle au loin s’étire un petit fleuve. La lumière rasante du début de soirée baigne le paysage d’une lumière jaune ; à ma droite un immense troupeau de moutons se confond avec le sol, j’entends au loin les voix des gens restés au campement. C’est d’une beauté incroyable. Il me semble que je m’approche de quelque chose d’essentiel, comme si ce paysage, cette lumière, tout concourait à former quelque chose d’au-delà de mon jugement habituel. Je n’ai pas de mots pour exprimer ce que je vois et ce que je ressens à ce moment-là.

Ce paysage n’est pas fait pour être regardé, il est fait pour être vécu.

Nous reprenons la route le lendemain matin. Le paysage est toujours identique pour moi. Notre conducteur se repère grâce à de minuscules embranchements de route. La vieille jeep crève encore et encore, et chaque fois, notre conducteur recolle une rustine de fortune. Il n’a jamais l’air de s’en formaliser, ses yeux rient toujours acccompagnés de petites rides au coin, il sourit tout le temps. Comme chaque fois pendant ce petit voyage en Jeep, nous tombons toujours nez à nez avec des «points de vue». Aujourd’hui ce petit lac salé sur lequel nous sortons marcher, entendre la croûte de sel se fendre sous nos pas. Au milieu il y a le squelette intact et blanc immaculé de ce qui ressemble à une sorte de petit veau. Il est couché sur le flanc, je le regarde. Il me rappelle ces images de western un peu cliché. Je déplace un os, juste comme ça ; personne ne l’a touché avant moi, et personne ne le retouchera sans doute après.

En fait je comprends que notre conducteur se repère à une grande échelle grâce à ces «points» naturels : lacs, cascades, curiosités naturelles.

En fin d’après-midi, nous arrivons à un deuxième camp de gers, habité par un jeune couple, un grand-père et leur petite fille d’environ cinq ans. Ils habitent près d’un lac.

Je pars me promener seule avant le repas, tandis que la famille et notre conducteur vaquent à leur travail.

Une fois de plus j’estime mal les distances. Je marche à travers des buissons sur le terrain plat et je me rends compte que ce petit lac est en fait bien plus loin que la vue du camp de le laissait présager.

Je marche.
Un aperçu de la liberté

Une sensation de solitude bienfaisante m’envahit. C’est étrange, je pense que mon corps baisse enfin ses barrières. Cette solitude qui me faisait envie, fantasmer, cette sensation de se retrouver que chacun cherche au fond… Je sens qu’elle me gagne entièrement. Je me sens bien, l’air est tiède, le soleil rase les collines.

Le petit lac est là, l’eau est immobile, les bords sont boueux. C’est étrange de voir l’élément de l’eau présent comme ça tout d’un coup.

Je redécouvre mon corps par rapport à l’espace. Debout, droite et immobile, je tente d’enregistrer ce moment. Mon esprit d’occidentale aisée refait surface un instant pour me prier de bien enregistrer les sensations pour m’en rappeler quand je retournerai à Paris.

Tout prend alors une valeur relative.

L’herbe rase, la plaine, les petites collines, l’immensité, l’existence nomade, ma vie.

La nuit est la plus belle que je n’ai jamais vue. Chaque soir, des millions d’étoiles se profilent dans le ciel, et laissent place au petit matin à un ciel bleu pâle immaculé. Et infini.

Nous repartons le lendemain avec notre Jeep.

Huit heures de piste pour rentrer à Oulan-Bator. La nuit est déjà tombée, les plaines sont déjà loin, nous repartons demain en train pour traverser la Chine jusqu’à Beijing.

Pendant mon périple, je vais souvent repenser à ce moment où j’étais seule et que j’ai pris conscience de l’immensité écrasante. À 25 ans, je peux réellement me dire que j’ai touché à l’essence de la liberté.

Enfin juste effleuré.