Je suis dans une ville peuplée d’âmes errantes. Des fantômes qui attendent de redevenir des hommes. Je les vois qui traversent les grandes places à l’espagnole, les bazars indiens, les salles de jeux glauques, les rues festives, les entrepôts louches, les statues à la gloire de Franco. Je suis la seule à les voir. Les locaux, les Ceutis, vivent dans un monde parallèle. Sans interaction. Ces fantômes sont Camerounais, Gabonais, Nigérians, Burkinabés, Somaliens, Indiens, Pakistanais, Syriens, Algériens… Pour passer ils ont abandonné leur vrai nom et leur nationalité. Ils ont franchi le mur et ils sont maintenant bloqués ici. Quatre ou cinq années pour les plus malchanceux. Alors ils déambulent dans la ville. Toujours les mêmes trajets. Toujours les mêmes haltes. Et moi je ne vois qu’eux. Et eux ne voit que l’Europe. Là. Gibraltar. De l’autre coté du bras de mer. A quelques kilomètres à la nage. Juste un bras de mer. Infranchissable. Alors ils attendent. Dans la ville-prison. Et j’attends avec eux.
Dieu fait bien les choses, tu vois la mer qui nous bloque!
Ici il n’y a rien à faire. Ce qui tu as vécu aujourd’hui, tu vas le revivre demain.
Ceuta, c’est la porte de l’Europe. Mais si dès la porte on nous accueille comme ça…
Ça boxe dans ma tête.
On supporte tout ça parce qu’un jour on a l’espoir de quitter Ceuta.
On est dans une prison dont on ne connaît pas le verdict.
C’est comme si j’étais mort, ma nouvelle vie ce sera en Europe.
A Ceuta, le Black n’a pas de valeur.
Ceuta c’est pas vraiment l’Europe. Je me suis fait carboné.