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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Clémentine PERINAUD – Carnet de voyage en Arménie. 12-25 avril 2011

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Avril 2011. Carnet d’un voyage en Arménie avec Samuel Sahagian.

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Vue du pied de l’immeuble 38, quartier 1 Davidachène, Erevan. Ce tacot n’est pas une ruine qui aurait épousé les formes des abricotiers en fleur. Si tout dans la capitale arménienne semble fêter l’union d’une nature en transparence et d’un béton grouillant, alors tout vit et se meut. J’ai ainsi vu disparaître un matin la taule rouillée de cet ancien minibus, marchikart comme on dit ici. Puis le tacot est revenu se fondre dans le décor, ajoutant ses tons cassés au rose délavé des tours du quartier construites sous le soviétisme, et qui ne sont pas tombées lors du tremblement de terre de 1988. Il faut dire que Erevan n’a pas été beaucoup touché, contrairement à Spitak au Nord, qui semble une ville fantôme quand on la longe depuis la route de Gumri. C’est alors un désert de pierres et de montagnes que l’on traverse. La poétique ici est fondée sur l’ordre minéral dit-on, et non sur le règne des fleurs et du fer. Ainsi la montagne bouge, le tacot s’ébranle et à 21 ans, il est toujours étonnant de voir l’énergie de la vieillesse. Cette énergie, c’est aussi ce qui m’a fasciné en Samuel Sahagian. Au hasard de mes études en géographie et de mes nécessités de stage, j’ai pu le suivre en Arménie pendant douze jours d’avril 2011.

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J’ai 21 ans, l’âge exact de l’association Solidarité Protestante France Arménie fondée par le pasteur Samuel Sahagian. Je n’en connaissais rien il y a quelques mois. C’est le hasard d’une recherche de stage et d’un sujet de mémoire qui m’a mené jusqu’à Erevan. Je ne suis pas arménienne, je n’ai foi en aucune religion, même si je crois bien qu’il y a quelque chose. Je ne chercherai jamais à en savoir plus, espérant simplement peut-être quelque forme d’éternité. Ainsi je me contente ici de regarder l’humanité d’un homme, ayant constitué déjà vieux une œuvre immense dans un pays où tout semble à faire, depuis ce que l’on appelle avec pudeur les années difficiles, le tremblement de terre de 1988, l’indépendance de 1991 suivie de la guerre avec l’Azerbaïdjan. Si des réalités identitaires nous séparent, le dialogue entre lui et moi s’est ouvert pour témoigner d’une genèse contemporaine portée par quelques hommes. Nous discutons aux repas. Traditionnellement, tout est mis sur la table et chacun se sert, abondance symbole d’une fête quotidienne, explique-t-il.

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« Au départ c’était des actions d’urgence, il fallait aider les familles qui avaient été cassé par le tremblement de terre. […] Nous avons pendant les années très difficile, 1993 quand il n’y avait pas d’électricité, pas de chauffage, nous avons encouragé beaucoup d’autres associations arméniennes d’aide à l’Arménie en créant un forum d’associations arméniennes.» Peu à peu, les réalisations de SPFA ont couvert tout le territoire arménien ainsi que le Haut Karabach, protégé par ses vieilles montagnes, mamies et papis du jardin noir, Бабушка и дедушка в саду черный.

Ecole de Kapan, Vanadzor, Nork. Orphelinat de Noubarachen. Resto du Coeur, hôpital infectieux, maternité, canalisations d’eau à Gumri en 2003, clubs francophones un peu partout. Le pasteur aime à les énumérer et voir qu’elles se poursuivent par l’étroit corridor de Latchin jusqu’au Karabach.

Samuel Sahagian en Arménie est appelé le Patveli, il est connu ici.

J’ai pu voir sa fierté lorsque nous avons visité le village de Khatchen, à proximité de Stepanakert. Dans le srues de terre battue, j’ai vu des images comme sorties d’un autre temps. Tous les habitants étaient là à nous regarder, tous des ouvriers de la onzième heure rappelle le pasteur. Le chômage par ici s’élève à 80 % peut-être. Il n’y a pas d’usines, l’agriculture emploie peu. Samuel Sahagian me raconte sa rencontre avec le maire. « De quoi avez-vous vraiment besoin ? – D’une moissonneuse batteuse. » Les foyers ont aussi été raccordés à un système d’eau potables. Certains ont reçu des microcrédits pour soutenir une activité rudimentaire.

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Scène de genre au centre Endanik de Gumri, école des arts traditionnels de l’Arménie : une fille de six ans apprend à faire un tapis. Je suis mal à l’aise. Mais à côté des gamins jouent aux échecs, dansent dans une salle construite en 2003, jouent du doudouk, font de la gravure sur bois ou sur verre .Leur production est particulièrement kitch. Je pense au lycée professionnel de couture et design de Erevan. L’Arménie oscille entre espace conservatoire et modernité.

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Extrait d’une conversation eue avant de partir « – Vous n’êtes jamais aller à Erevan encore ? – Non. – Ah, je vous dis rien, vous verrez quand vous y irez (rires) – Si, si, allez-y !. La mairie, elle a besoin de tout. C’est un peu l’anarchie hein quand vous êtes à Erevan. Il commence seulement à y avoir des passages protégés avec des feux rouges pour que les gens essayent de s’arrêter. Faites attention en traversant parce que ce n’est pas évident du tout. Euh, ils n’ont pas de police municipale par exemple, pas de plan d’urbanisme, pas de plan des transports […]. La décentralisation est vraiment très récente. ». La campagne arménienne ne subit pas comme la capitale de modernisation rapide. On ne peut qu’en constater l’inertie, le dénuement, hors de quelques villages parrainés par de riches mécènes russes ou américains. C’est dans ces villages ruraux aussi que se concentre l’action du pasteur. Je me suis demandé quel rapport il entretenait à la modernité. Son goût certain pour le folklore et la tradition dont la forme de ce carnet se veut l’échos ne doit pas occulter d’autres aspects de sa personnalité, motivant d’autres chantiers. De Vanadzor à Stepanakert, dans les clbus francophones, l’eau manque, mais pas internet : on peut y voir des scènes nous ramenant dans la France du 19ième siècle, mais le pasteur encourage à la politisation des jeunes, leur donne le désir de rester faire quelque chose en Arménie quand tous rêvent de Paris.

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Peut-être arriverai-je à faire douze dessins, douze pour les douze jours de road trip à travers l’Arménie aux côtés du pasteur et de son équipe. Erevan, Gumri, Stepanavan, Sevan, Edjmiatzin, Goris, Stepanakert, Khachen. Demain, nous sommes le 24 avril. Les excursions ont pris fin avant-hier. Demain, jour de commémoration du génocide de 1915, est aussi cette année le jour de Pâques. Il faudra peindre les œufs en rouge, m’a expliqué le pasteur, car les œufs sont des gouttes de sang, celui du Christ, et des gouttes de vie. Ils signifient l’espoir de la réssurection me dit-il. Ils sont aussi la Terre et ses quatre éléments : la coquille, l’air, le blanc la terre, le liquide l’eau et le jaune, le feu.

Lorsque nous avons marché à Tsitsernakaberd, « la demeure de l’hirondelle », il m’a décrit un autre symbole arménien : le chant de l’hirondelle dit la nostalgie de l’Ancienne Arménie. Mais Samuel Sahagian s’inscrit résolument dans le présent et espère voir avancer le dialogue avec la Turquie voisine, en finir avec le négationnisme.

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Le Khatshkar est la pierre des Arméniens. On en trouve partout, le plus souvent ornés de symboles fleuris et abondants, parfois d’une croix arborescente. Elle signifie la vie dans la mort, et le Patveli, au culte œcuménique, y retrouve les fondements de sa foi.

Sur les rives du lac Sevan, j’ai voulu saisir la philosophie du pasteur. « Tout est amour » répète-t-il, et ces mots sont pour lui une façon de saisir le mystère de la vie. L’un et l’autre dans l’échange créent quelque chose de nouveau : la compréhension de leur rencontre.

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« Ces voyages comme celui de maintenant sont extrêmement importants pour moi car je fais venir des Français qui n’ont jamais vu l’Arménie, qui ont à peine entendu parler de l’Arménie. »

Samuel Sahagian est né en France et y a toujours vécu. Ses parents arméniens sont venus s’installer à Strasbourg. A la maison on parlait Arménien. Lui et son frère sont des enfants de la diaspora. La fondation de SPFA n’a induit que bien plus tard une fréquentation régulière du territoire arménien. Le pasteur fait le voyage trois fois par an.

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Les princes de l’Ancienne Arménie aiment à être enterrés comme des gisants, m’explique le pasteur. En signe d’humilité, ils se laissent fouler aux pieds et les vivants prient pour eux, les yeux baissés vers les pierres des morts.