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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Marinette JULLIEN – Antifascistes en ex-RDA

RDA

Je n’ai pas fait rêver mes proches, en leur annonçant que la destination de mon voyage serait l’Allemagne de l’Est. Question cocotiers et ambiance vahinée, on a fait mieux, j’en conviens… Quoi qu’il en soit, je n’en démords pas, et je continue à soutenir que les régions post industrielles ont leur charme…

Le charme comparable à ceux ces objets cabossés que l’on trouve dans les brocantes : pas anciens à proprement parler, mais semblant venir d’un autre âge, mal vieillis mais toujours pas cassés, comme ayant encore un pied dans le présent, comme ne voulant pas se résoudre à faire partie du passé.

L’Allemagne de l’est porte deux mauvais souvenirs dans son histoire contemporaine, deux totalitarismes successifs : à peine le troisième Reich se termine, le temps de la RDA commence. La deuxième période tentant d’annuler la première.

Les deux Allemagnes étaient perpétuellement en concurrence. A l’ouest, la RFA, s’étant proclamée la « vraie » Allemagne, devait également prendre l’héritage national socialiste. La RDA, pour s’en démarquer, a donc adopté le positionnement de l’antifascisme, faisant valoir le fait que des opposants communistes ont résisté contre le régime nazi, et ont été pour cela envoyés dans les camps de concentration.

Pour le SED (parti socialiste unifié d’Allemagne, alors parti unique en RDA), l’antifascisme est le pilier de sa stratégie de légitimation. En recherchant un certain consensus dans sa population, il essayait de créer une identité nationale spécifique. Cet antifascisme de rigueur empêchait une confrontation critique avec le passé nazi, qui fut aussi celui des allemands de l’est. La réflexion sur la responsabilité individuelle et collective des crimes de cette période était donc impossible dans cette contexte.

Toutefois, il serait naïf de penser que les est-allemands ont effectivement une tendance générale antifasciste. Une des conséquences de leur intégration brutale à l’économie de marché, fut l’apparition du chômage de masse, beaucoup sont ainsi déçus du communisme et du capitalisme. En résulte une relative dépolitisation, et parallèlement une poussée de l’extrême droite.
Réthorique

Je commence donc mon voyage en Saxe. Région Vogtland, avec son lot d’usines abandonnées, et donc d’« Arbeitsamt » (équivalent des ANPE française), de logements désertés pour l’ouest ou Berlin… Je goûte à l’habitat en « bloc », hébergée par une jeune militante du PDS , l’hériter du SED, le seul parti actuel à encore user de la réthorique antifasciste.

En Allemagne, se demander qu’est-ce qu’il reste de l’antifascisme, c’est un peu se demander ce qu’il reste de la RDA. La réunification ne s’est pas faite sans heurts, il serait même plus juste de la décrire comme l’absorption totale de la RDA par la RFA, avec un rejet quasi total de l’héritage de l’Allemagne communiste. S’en est suivi une véritable crise d’identité de la population, et, les difficultés persistant (chômage, déconsidération de ses valeurs dont l’antifascisme), certains regrettent le « bon vieux temps ». En allemand, ce sentiment à un nom : l’« Ostalgie », un jeu de mot entre « Ost » (est) et « nostalgie »

On me propose une interview avec Erika, qui habite Zwickau depuis quarante ans. La « grand-mère PDS », dynamique, est très impliquée dans un travail sur la mémoire locale de la période nazie et celle de la RDA. Elle ne me raconte pas l’Histoire mais des histoires, sa vie, ses souvenirs. J’écoute tout cela, comme j’ai pu regarder « Good Bye Lenin ». Qu’il soit acidulé et joliment enrobé n’enlève, pour moi, rien au témoignage, c’est le travail des historienNEs que d’être objectifs.

Je reprends mon sac à dos, vers Berlin. C’est au cours d’une promenade que je tombe nez à nez avec une brigade de clowns (ou CIRCA, Clandestine Insurgent Rebel Clown Army). « Le 20 juillet, jour de l’armée allemande, est un affront, l’existence de l’armée allemande elle-même est un outrage ». Ils sont donc en mission de recrutement afin de pouvoir organiser une riposte, ils sont bien évidemment la seule armée légitime et valable.
2000 à 3000 manifestants

Je suis par la suite enrôlée à leurs côtés pour une manifestation antifasciste à Leipzig où se tient le Saint Christopher’s Day (la Gay Pride). les nazis ayant enregistré une manifestation contre cet événement, les antifascistes en ont organisé une autre contre celle des nazis. Vous suivez ? On recompte : trois manifestations.

Nous nous rendons donc au point de départ, évidemment les policiers ont vérrouillé tous les accès, et nous devons nous soumettre à un contrôle de prévention afin de vérifier que personne ne porte de bombes ou autres ustensiles de ce genre…

2 à 3000 manifestants queer antifascistes, midi, pause piquenique avant que les nazis démarrent. Bonne nouvelle, ils ne sont que 23. Le « jeu » étant à présent, de s’approcher au plus près d’eux afin de perturber leur manifestation, voire de pousser la police à annuler leur marche, de peur de perdre le contrôle de la situation.

Le dispositif sécuritaire est de taille : un millier de agents en costume vert, des canons à eau, un hélicoptère et des voitures blindées destinées à détruire de potentielles barricades. En courant très vite, nous réuissîmes à doubler les cordons de police, et à rejoindre la marche nazie, mais nous fûmes expulsés manu militari de la zone au bout de dix minutes.

Retour sur Berlin, où je suis ensuite hébergée dans un squat anarchiste, le Rigaer94, en ce moment menacé d’expulsion (rachat de l’immeuble par un spéculateur). En faisant le tour des « Hausprojekt » (maison-projet, souvent des anciens squats) de Friedrischain, je rencontre Berndt , anarchiste antifaschiste de 55 ans, qui accepte de se faire interviewer.

Il me raconte les grandes lignes de son militantisme : il a été emprisonné pendant la RDA, et a gardé une bonne dent contre les services de la STASI (la police intérieure)… A la tombée du mur, il s’est mis, avec quelques copains, à ouvrir des squats, les ont rénové, y ont caché des immigrés clandestins et ont fait du travail antifasciste… Au début des années 1990, les nazis étaient plus, numériquement parlant, et plus violents encore que maintenant : ils ont fait exploser plusieurs voitures d’habitants d’un « Hausprojekt » en même temps, et par chance tout le monde étaient en réunion à ce moment-là ! Mais il y a malheureusement eu des morts, parmi eux, Silvio Meier, assassiné dans un arrêt de métro du quartier Friedrischain par des fascistes en 1992.
Arrestation.

Les anarchistes ne me parlent pas seulement des nazis, mais aussi de la police. Pour illustrer leurs propos, ils me proposent de les accompagner au tribunal, assister au procès de Christian.

Christian a été arrêté le 1er mai 2004 à Berlin, puis immédiatement incarcéré en détention préventive. Il était accusé d’avoir renversé et tenté d’incendié une voiture, afin de faire une barricade destinée à arrêter une manifestation nazie. Il sera condamné en première instance à 3 ans de prison ferme, il fait appel.

Le 13 février 2005, il est de nouveau arrêté à Dresde, là aussi, durant une manifestation, dénonçant le révisionnisme historique des fascistes (8000 activistes nazis dans les rues). Il est accusé d’avoir lancé une bouteille en direction de la police. Il restera 11 mois en détention préventive, durant lesquels, pourtant atteint de l’hépatite C, il ne recevra pas régulièrement sa thérapie. Grâce son groupe de solidarité, un scandale éclate dans les prisons berlinoises en 2006 : des membres du personnel médical des hôpitaux carcéraux y voleraient des médicaments.

La justice, sous pression, décide alors de proposer un « marché » à Christian : il est condamné à un an de prison ferme pour l’affaire de la bouteille (pour lequel il fait appel), mais il peut sortir le jour même pour commencer une thérapie sous contrôle judiciaire à la condition de… renoncer à faire appel pour l’affaire de la voiture ! Christian, a donc accepté, son état de santé étant trop préoccupant. Ce « marché » était donc plus une pression qu’un échange de bons procédés. Il est donc resté ainsi un an et demi en « liberté », et retourne en prison le 14 juin 2007 pour purger ses trois ans.
Incitation à la haine

En juillet 2007, lors de mon voyage se déroulait le procès en deuxième instance de l’affaire de la bouteille. Depuis, il a été acquitté. Son groupe de solidarité s’est mobilisé pour que les onze mois qu’il a passé innocemment en prison, soient déduits de la peine actuellement purgée, et ont réussi. Ils continuent de se battre afin que Christian obtienne à présent une réduction de peine, et soit libéré le plus tôt possible.

Il est quand même effarant de voir à quel point certains antifascistes puissent être poursuivis, alors que les nazis sont autorisés à manifester, pratiquent ouvertement le révisionnisme historique, et ont la possibilité de participer à la politique parlementaire.

Pour exemple, la « Kameradschaft Nordland » (Camaraderie du nord), compte des membres qui ont déjà été condamnés pour : propagande nazie, coups et blessures, port d’armes et/ou explosifs, incitation à la haine. Eckart Bräuniger, actuellement président du NPD (Parti National-Démocratique allemand, siégant dans plusieurs parlement régionaux et municipaux) de Berlin, fait partie de ce groupe.