APAJ
void
Avec le concours du MAD
void
Avec le conconours de la Presse Régionale
void
Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Boris PATENTREGER – Un sourire d’émeraude

Patentreger1

Un petit vent frais à travers la lourde chaleur ambiante, une voix chantante à côté de moi. De l’eau à perte de vue mais sans être la mer… au loin une bande émeraude, vivante, végétale, intense. Je souris car j’y vais, après toute une enfance puis adolescence passionnée par cet univers plein de vie et de symbiose.

Je suis en direction de ce rêve qui s’est concrétisé au fil de toutes ces années. Je vais enfin sentir le poumon vert menacé de notre Terre : l’Amazonie.

Et il se ressent facilement que cette forêt disparaît. Sur les bords de l’Amazone, les plus grands arbres ne sont plus là. Ils se retrouvent en silos de bois dans le fleuve avec le plus d’affluents au monde.

Virage à gauche dans un bras inondé de l’Amazone. Ca y est, je commence à sentir le vrai et le sourire me remonte aux lèvres. Au fond de cet affluent nous passons à côté de Passeo Amazonica, une Lodge touristique.

Et finalement au fond du fond, entre les moustiques et les branches d’arbres, la communauté de Nuevo Peru.

Quelques maisons en bois, ouvertes, avec des toits en feuilles de palmier. Au milieu un terrain de football. Je suis accueilli par Rolando qui vient d’apprendre par mon guide que je vais être hébergé chez lui.

Les gens portent des tee-shirts et des shorts mais pas d’habits traditionnels. Ils sont tous très intrigués de me voir et des jeunes m’accompagnent.

Patentreger2 grenouille

Après 10 minutes de traversée dans les marais, je rejoins la casa de Rolando. Ces deux enfants me regardent fixement à distance sans répondre à ce que je leur dis. Ils me ramènent des fruits guabas, un grand haricot sucré que je mangerai à tous les repas.

Dans le salon qui me servira de chambre, on me fait boire le lait local : le masato de yucca.

En me baladant dans le village, j’entends les enfants qui disent «el gringo», le terme utilisé ici pour parler des blancs.

Ce terme vient du Mexique. Quand les Mexicains ne voulurent plus des soldats américains sur leur territoire. Ils dirent alors «Green go home!». L’Amérique latine a gardé le terme gringo pour évoquer les blancs.

L’après-midi, Rolando me fait faire un tour de forêt. Il m’enseigne les différents usages médicaux des plantes. Cette forêt qui disparaît est une vraie pharmacie. En forêt, on marche en file indienne ( comme son nom l’indique) et si l’on doit parler, on s’arrête en chemin mais pas trop pour éviter les moustiques.
Lucioles

Depuis le début, je me rends compte que les gens me regardent toujours fixement. Je croyais voir plein de bêtes curieuses mais finalement je crois que la bête curieuse, c’est moi!

Ce soir, on sort en forêt de nuit. Lucioles, chauves-souris, oiseaux, grenouilles, une multitude de bruits, les étoiles, et à nouveau ce sourire qui me vient en fermant les yeux. Quel plaisir, cette nature totale.

Je découvre en me couchant le confort du bois, je dors en effet à même un lit en bois avec pour seul matelas, un drap.

Après une nuit pleine de rêves, à 5h du matin, je suis surpris par le réveil du coq et une douleur au cou. Oui Boris, tu te réveilles en Amazonie sur quelques planches.

Dans la journée, on part naviguer dans les bras inondés de l’Amazone. Une très belle aventure entre le plaisir de ramer, le plaisir de baisser la tête pour éviter les branches, celui de lever la tête pour apprécier la flore et celui de tourner la tête pour voir d’où viennent tous ces bruits étranges. Je pèche aussi. Sur les quatre jours, je n’aurais péché que deux poissons. Et oui, les gringos peuvent être mauvais aussi.
Silences

Je découvre des quantités de nouveaux fruits, Rolando me montre également son traitement pour son mal de dos : l’Agua de cetico qui est de l’eau qui goutte la nuit des racines de ce grand arbre blanc, le cético.

Durant la journée deux enfants, quand Rolando n’est pas avec moi, me demandent un pourboire, dur retour à la réalité : je suis leur invité et je traine l’image de tous les autres gringos.

Le soir je vois Rolando qui lit mon dictionnaire français-espagnol, très patiemment. En effet, il commence à lire le dictionnaire par le prologue ! Y a-t-il un occidental qui a déjà lu un prologue de dictionnaire ? Voilà une de ces petites différences qui me rappellent ce que l’on a perdu: apprécier tout ce que nous donne la vie. Je le regarde lire le prologue en buvant mon thé à l’herbe à Luis (qui soigne la fièvre) et je souris.

La vie, la nuit, est passionnante et il n’est plus nécessaire de parler. Durant quelques heures parfois sur la barque entre les chants de grenouilles et les serpents égarés, on ne dit mot. Mais avant de dormir dans la casa en discutant avec Rolando, j’ai l’impression de le connaître beaucoup mieux. La magie de la nuit a frappé.

Avant de manger, un autre soir, je pars faire un tour, seul en forêt, je me rends compte qu’elle est quand même très différente de ce que je pensais. Elle est déjà transformée par l’homme. Le frère de Rolando comme beaucoup de personnes pour pouvoir accéder aux nouveaux besoins occidentaux, fait du charbon avec le bois du coin. C’est la deuxième phase de déforestation après la coupe sélective des meilleurs bois. Il y a ensuite les routes ou les oléoducs de pétrole puis les coupes rases pour le soja… Je ressens maintenant l’envie de voir la forêt intacte, primaire, Rolando me dit qu’il sera possible d’y aller la semaine prochaine.

Dans la discussion, nous bifurquons sur cette déforestation de plus en plus galopante et illégale. Les entreprises de bois viennent sur le territoire d’une communauté avec leurs tractopelles. Elles disent à la communauté que le patron va venir avec les papiers nécessaires. Pendant ce temps, elles «embauchent» une dizaine de personnes de la communauté. Un mois plus tard sans que le patron soit venu expliquer la légalité de l’exploitation forestière, l’entreprise s’en va sans payer les employés.

Sur la barque, cette après midi, Rolando m’avait aussi appris que si on ne voyait plus les fameuses orchidées épiphytes, c’est que Passeo Amazonica avait payé des gens de la région pour ramasser les orchidées et les mettre dans leur centre ! La biodiversité seulement chez eux.

Patentreger3

Fibre de liane

Mes yeux se ferment peu à peu. Une, deux, trois, quatre grenouilles différentes chantent ce soir. Et puis, tous ces insectes, surement aussi des mammifères. Bzz dans mes oreilles. Ce moustique, est-il dans ou hors de ma moustiquaire? Trop tard, demain c’est la représentation des indiens Yaguas, il est 20h30, il est temps de dormir.

Ce matin, je regarde Rolando, ce petit homme fort avec son sourire en train de me demander si je veux reboire du masato. Je souris de ce petit bonhomme si différent de tous ces Péruviens avides d’argent.

Et puis, direction la représentation des Yaguas, les natifs de la région, on passe par un autre chemin…

J’arrive devant une sorte de place avec des petites maisons typiques en bois, au loin je vois des Indiens avec des vêtements traditionnels, une jupe en fibre de liane que l’on retrouve aussi autour de leur bras. Me rapprochant, je reconnais peu à peu la plupart des gens de Nuevo Peru.

Mais, ce matin dans leurs nouveaux vêtements, ils me regardent différemment.

Ils se mettent en place pour faire une danse, je ne sais pas où m’asseoir, je me sens seul. Je les connais bien mais là, je n’y arrive pas. Ils commencent à danser, je sors non sans mal mon appareil photo. Puis la femme de Rolando m’invite à danser. D’habitude à l’aise dans la danse, je me sens forcer et eux aussi. J’ai l’impression que ce n’est plus eux.

Yalli, Yollando, Lidia, Precillia, Mario… tout le monde me regarde.

Je fais un tour des stands d’artisanat. La consommation est bien là. Et alors que j’achetais des colliers, je me retourne et je les vois qui se regroupent. Qu’y- a-t-il de si intéressant ?

A l’intérieur de cette foule indienne, se trouve une femme avec un catalogue de produit de beauté.

Moi, gringo, j’achète leur artisanat et eux, notre «artisanat». J’assiste là à un croisement des commerces assez surprenant.

Tout d’un coup, Rolando me dit qu’il faut y aller immédiatement. Les touristes de Passeo Amazonica sont en train d’arriver. Il faut partir, la Lodge a un droit d’exclusivité pour les représentations Yaguas: ils les paient 7 euros par mois pour 2 heures par jour tous les jours. Je n’avais pas le droit d’être là. En me dépêchant, je souris mais cette fois-ci, c’est un sourire jaune.

Rolando me raconte tout ça sur le retour, et je me rappelle son parcours.

Cet homme a un parcours inverse des Péruviens: il est revenu là où il est né, en forêt, pour vivre avec sa famille, cultiver des yuccas et être promoteur de santé bénévole. Il a fait tout ça alors qu’il avait connu la «belle vie» avec son ancien travail de guide touristique.

Cette après-midi, vient me chercher Juan le guide. Je monte sur le bateau avec Rolando qui m’accompagne. Je me retourne et je vois tous les yeux de Nuevo Peru mais en dessous, il n’y a plus de sourires. Je les regarde en m’éloignant. La forêt recule, je rejoins le fleuve, l’autoroute ici.

En arrivant à Iquitos, je propose à Rolando de venir sur le bateau de notre organisation, le Selva Viva. Il discute avec un bénévole et explique son parcours. Et malgré la possibilité de venir travailler un jour sur notre projet, il reste sincère et honnête et avoue ces limites.

Demain matin, ce sera un plaisir de lui confirmer que je pars la semaine prochaine avec lui pour la forêt primaire.

Ce soir sur le bateau, la passerelle vacille toujours, je suis en tongs, la passerelle est sur l’escalier, ce soir au moment de passer de la passerelle à l’escalier, je parle avec un passant, ce soir là, je me suis déboité l’épaule en tombant. Après 5 jours en forêt où je ne me suis rien fait, c’est en ville que je me blesse! J’ai mal et surtout je vais devoir annuler demain matin mon excursion en forêt primaire.

Après une nuit difficile, tordu de douleurs à l’épaule, je me réveille à 7h pour accueillir Rolando. Il arrive avec 1h30 de retard. Il monte directement sur le bateau sans gène sans s’excuser de son retard. C’est étonnant de sa part. Dirigé par le gardien, on se retrouve sur la proue, moi avec mon bandage et lui… titubant.

Regardant ses yeux rouges et sentant son haleine alcoolisée, je l’informe non sans mal que je ne pourrais pas aller en forêt primaire avec lui. Il fait un pas en arrière. Dérouté, se levant et se rasseyant durant un quart d’heure, il me redemande à chaque fois si je vais venir, il ne m’écoute plus. J’apprends qu’il doit aller à l’enterrement de son oncle cet après midi. Il a besoin d’argent, me dit-il. Ces moments sont interminables. Je ne comprends pas. Il est pesant. Rolando, est-ce toi?

Finalement, il se décide à partir. On s’embrasse malgré tout chaleureusement.

Il s’en va en tombant presque de la passerelle, je le regarde monter les escaliers qui rejoignent la rue, je ne le reverrai surement plus jamais, et surtout ne saurai jamais quand était-il vraiment lui ? Ce matin ou en forêt ?

Avec mon bandage, à quai sur l’Amazone, mes sourcils se froncent et mes lèvres se pincent, mon sourire, lui, est resté en forêt.