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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Camille CASTRES – J’irai sur les sentiers avec Arthur R1bO

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SUR LA ROUTE
C’est dans les pas d’Arthur Rimbaud, insolent génie épris de liberté que j’ai voulu tracer ma route. J’ai sillonné les Ardennes, rêvant de cette déambulation poétique comme d’un pèlerinage, à la recherche de l’homme aux semelles de vent.

J’aurais aimé tenir un carnet de bord, écrire sur ces calepins en cuir marron, usés par les années et tachés d’encre. Sorte de prolongement du baroudeur qui couche ses impressions sur le papier. Peut-être aurais-je aimé, moi aussi, fixer des vertiges sur un rouleau de papier-cul, la clope au bec. Mais je n’ai pas pris de notes durant mon expédition sur les pas de Jean Arthur Rimbaud, né le 20 octobre 1854, à Charleville-Mézières dans les Ardennes.

De Paris, j’arrive par le TER, dans la grisaille du matin, qui pue la pisse de chien à la sortie de la gare. Charleville me paraît moins triste que lors de mes précédentes visites, une ville plus onirique, malgré les gueules ravagées par le tabac, l’alcool et la misère. Des visages au regard hagard que je croise sous les arcades de la Place Ducale.

En poussant la porte d’un troquet de la rue du Moulin, à deux pas de la maison natale de Rimbaud et de son musée, j’aperçois un salon de coiffure qui porte aussi son nom. Je m’installe au fond du bar, mon corps est engourdi par la fatigue, la contraction des muscles est exacerbée par un temps humide et venteux. Je commande un crème et mes yeux boursouflés balayent les lieux au ralenti.

Les tables en formica, les sièges en skaï beige et les lambrissures ternies me rappellent certains bistrots interlopes des années 60 – les volutes de fumée en moins. Dans ma torpeur, j’imagine le gars Arthur, crapahuter sur le mur, qui longe le cours de la Meuse. Il a ses premiers poèmes en bandoulière. D’une démarche chaloupée mais élégante, il avance sans avoir peur de tomber à l’eau. Il est grisé par l’absinthe et la fougue qui parcourent son corps nerveux. Je n’envie pas que son génie, j’envie surtout sa liberté.

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Dans le rade, j’achète des cigarettes et papote avec la tenancière. Elle a un accent propre aux Ardennais, dont les « a » se prononcent presque « o », et que Verlaine qualifiait de « joli ». Je ne dis pas à la petite bonne femme, crinière châtain aux reflets acajou, que je suis originaire du coin. « J’en ai vu passer des passionnés de Rimbaud, de partout dans le monde », affirme-t-elle, le sourire en sautoir, le regard rivé vers le musée. Je lui demande alors de réciter un poème : Le Dormeur du Val, qu’elle a bien dû apprendre à l’école. « Ouais mais j’ai tout oublié, c’était y’a longtemps aussi », balance-t-elle goguenarde. Le Musée Rimbaud, qui ressemble, de face, à un petit temple gréco-romain avec ses colonnades, est fermé. Déjà en octobre 1973, lorsque Patti Smith avait entrepris le même pèlerinage, la bâtisse, arc-boutée sur la Meuse, était impénétrable, « à sa grande consternation ». Il faudra repasser dans les prochains mois car l’édifice fait peau neuve et sera bientôt inauguré sous le patronage de la rockeuse américaine.

En attendant, je me rabats sur le cimetière. Le long de l’avenue qui y grimpe, courent des cafés, des brasseries et des bouis-bouis aux devantures pâlottes et crasseuses, mitraillées par des chiures de mouches. Les patrons ont développé le commerce de produits dérivés à l’effigie du poète. Faut bien renflouer les caisses d’une ville devenue fantôme. Le portrait de l’artiste sacré est dessiné sur des assiettes, des coquetiers et des dés à coudre. Je reste là, à dévisager ces incongruités, incrédule face à ce business kitsch et comique.

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Arrivée enfin au cimetière, je tombe à l’entrée sur la stèle de Monsieur-Arthur-Rimbaud-Priez-pour-lui. En toile de fond sont campées des tours HLM. Je pense à la mort, à un fœtus dans du formol et à la jambe gangrenée de Rimbaud, suant en Ethiopie.

« Monsieur Colin n’est pas là, je l’ai fichu dehors pour faire mon ménage tranquille. Revenez en semaine », m’annonce la femme du gardien des lieux, un brin gouailleuse. C’est une dame au sourire aussi large que ses hanches, qui déteste autant Arthur que le vénère son mari. « Faut dire que j’en ai eu des zéros à l’école à cause de lui ». C’était comment Madame Colin de réciter du Rimb’ ? Une Saison en enfer, pas vrai ?

Quai Rimbaud, une voiture tunée passe

Je gagne Roche en auto-stop, à 50 bornes de Charleville, lieu saint de la composition dans la maison familiale de ce chant païen illuminé. Point de Soleil et chair ce jour-là. Immobile sous cette pluie insidieuse, sous « la drache » comme on dit par ici, je contemple le grenier à l’abri duquel l’insolent génie donna un nouveau visage à la poésie. Les gouttières des quelques fermes alentour vomissent des flots diluviens sur les volets fermés des façades, seul mouvement à l’œuvre dans une campagne figée. Je fais tinter une cloche en cuivre pour me signaler à la demeure d’à-côté. J’espère être accueillie par une vieille femme, chignon à la Kim Novak, un chat qui serpente entre ses jambes. Je n’ai pas honte de pousser le rêve jusqu’aux confins du cliché.

Je l’imagine me racontant fiévreusement à quel point c’est doux d’avoir le privilège d’habiter la maison qui jouxte celle où Rimbaud, en 1873, a écrit ses poèmes les plus connus. Personne ne m’ouvre. C’est terrible ce silence qui résonne dans mon cœur comme une déflagration d’obus.

Dans ce décor dépouillé, j’emprunte le sentier qui conduisait Arthur à la gare où il embarquait pour Paul et Paris. Je marche en équilibriste sur les rails du chemin de fer, flanqué d’un canal perlé de gouttes, avant de rejoindre le désormais nommé « Quai Rimbaud », point de départ des fugues du vagabond. La gare n’existe plus, elle a cédé sa place à une résidence pavillonnaire, façon maison phœnix, avec des jeux d’enfants en plastique colorés dans le jardin. Bientôt une voiture fuchsia tunée, dont les enceintes crachent de la techno, passe en trombe. Le conducteur, gaillard aux cheveux bétonnés de gel, me dévisage. Sa poule couve le siège passager. J’ai envie de taguer « R1bO 4 ever » sur sa caisse. En fait, l’esprit rimbaldien m’a quittée depuis longtemps – je pense simplement à son visage noir sur les dés à coudre vendus 5,20 euros à Charleville. J’aurais dû en rapporter un, en souvenir.

Camille CASTRES
Crédit photo : Camille Castres