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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Clara BEAUDOUX – Sur la route de Panama

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L’économie équatorienne repose essentiellement sur les bananes, le pétrole et le tourisme. Mais ce pays d’Amérique latine, grand comme la moitié de la France, est aussi connu pour ses chapeaux de Panama.

Une poule gambade sur le carrelage de la pièce principale. Nous voici dans une maison de briques, de bois et de tôles. Au fond, des brins de paille sont accrochés au mur, la fenêtre laisse entrer les rayons du soleil, la petite télé diffuse une série B. Nous sommes à quelques kilomètres de Montecristi, à l’extrême Ouest du pays.

On entre chez Maria, à La Pila, 31°C, comme on entrerait dans un espace VIP. Jamais nous n’aurions vu un tel intérieur, jamais rencontré Maria si nous n’avions tenté ce reportage. Un sentiment qui se transformera ensuite en fierté classique du touriste complexé, celle de n’avoir pas suivi les sentiers battus des tour-operators. Mais bref, nous sommes deux jeunes femmes, pour la première fois en Amérique Latine. En face de nous, une troisième, à peu de chose près comme nous, dans la vingtaine.

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Maria tresse des chapeaux depuis l’âge de 11 ans, des Panamas. Elle travaille tôt le matin et tard le soir, lorsqu’il fait plus frais. Sinon la paille risquerait de se briser avec le soleil. Il est midi mais Maria accepte tout de même de nous montrer sa technique. Elle se penche sur des rondins de bois, entre lesquels elle a coincé son ouvrage. Et elle se met à nouer, un coussin rose entre sa poitrine et le bois. Il ne reste du vernis bordeaux que sur le milieu de ses ongles. Le dos courbé, les seins écrasés, une position étrangement inconfortable. Maria démarre à peine ce chapeau, il s’agit d’un « super-fino », le plus fin des Panamas. Il lui faudra deux à trois mois pour le terminer, au bout desquels elle le vendra environ 350 dollars. Un chapeau moins fin serait plus rapide à tresser, mais vendu moins cher. Dans la région, les prix s’échelonnent de 40 à 400 dollars, selon la finesse du tressage.

A droite de Maria, une vieille femme, sa tante, est assise. Le visage creusé par les années, elle sourit. C’est elle qui a appris le tressage à Maria, qu’elle-même avait appris de sa mère. Une technique transmise de femme en femme. Leurs mains et celles de leurs enfants sont les plus à même de réaliser un ouvrage si minutieux. Maria n’a pour l’instant personne à qui transmettre son savoir, et quand bien même, aujourd’hui, les jeunes se détournent de ce travail artisanal.

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Maria se laisse photographier, un peu mal à l’aise, mais Maria ne parle pas, ou peu. Difficile d’établir en quelques minutes la relation de confiance nécessaire. Difficile, avec une si mauvaise maîtrise de la langue, de faire les quelques blagues qui d’habitude détendent l’atmosphère. Et puis la présence de Rosa, qui nous accompagne, change peut-être la donne. Maria se sent-elle vraiment libre de s’exprimer, puisqu’une fois son ouvrage terminé, c’est Rosa qui l’achète, pour ensuite le vendre dans sa boutique à Montecristi. Alors c’est Rosa qui parle, Rosa qui traduit, Rosa qui nous guide. Autant de gentillesse commence à nous sembler louche. Au final, elle nous demandera bien cinq dollars, mais là où nous avions tort c’est que nous lui donnerons avec plaisir.

Et c’est ici, dans cet intérieur dénudé que nous entendrons pour la première fois ce discours, celui de la misère des travailleurs équatoriens face aux profiteurs étrangers. Pourquoi les chapeaux sont-ils vendus si chers chez vous, alors que nous gagnons si peu ici ?

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Retour à Montecristi. Proclamée « capitale du Panama » dans tous les guides. Aux grandes heures du chapeau, jusqu’à la fin des années 1970, toutes les familles de la ville en fabriquaient. Aujourd’hui, beaucoup ont dû se tourner vers d’autres activités. Dans la rue qui monte vers l’église toute blanche, nous allons à la rencontre de Pablo. Sa boutique indique « manufactura de sombreros ». Comme les autres, il semble ravi de nous parler de son métier, et c’est volontiers qu’il nous emmène chez lui, à l’arrière de son pick-up, car cette fois encore, c’est à domicile que cela se passe. Son rôle : « finisseur », il termine les chapeaux achetés dans la campagne alentour. Il y a Pablo, le père, mais il y a aussi Maria, la mère, et Brian Alexis, le fils. Une entreprise familiale, sur laquelle veille Elvira, la grand-mère, 76 ans dont 64 de Panamas. Tout ce beau monde vit à Montecristi, dans deux maisons côte à côte, chacune surplombée d’une vierge Marie. Dans la première cour, nous suivons le fils, Brian Alexis, 12 ans. Il lave les chapeaux, il les frotte avec une brosse, un son magnifique. Lorsqu’on lui pose des questions, sa grand-mère lui souffle la réponse depuis son hamac. Il met les chapeaux au four avec du souffre pour les faire blanchir. Le lendemain matin ce sera au tour de Pablo, dans l’autre (basse-)cour de s’activer. Un travail d’homme cette fois, frapper les chapeaux avec un maillet pour assouplir la paille, mais la rigueur reste la même. Un coup trop fort risquerait de briser le chapeau, un coup trop faible n’aurait pas d’effet. Assis sur des tas de briques, dans son short en jean, Pablo frappe, souffle, un rythme régulier, auquel s’entremêlent les caquètements des poules.

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Pour les dernières étapes, direction la boutique de Pablo. Il faut encore donner leurs tailles aux chapeaux, à l’aide de rondins de bois de différents diamètres. Puis les repasser, avec un fer en métal comme ceux exposés sur la cheminée de ma grand-mère. Après cela, Pablo envoie les Panamas à Cuenca, là-bas une presse permet de leur donner leur forme : Clasico pour Al Capone, Gamber pour Mark Twain, ou Optimo pour Théodore Roosevelt…Une telle machine n’existe pas à Montecristi, parce que les chapeaux sont produits en moins grande quantité. Ici on insiste sur la qualité.

Quelques jours plus tard, destination Cuenca justement, située plus au Sud du pays, sur la Cordillère des Andes. Troisième ville d’Equateur et principal centre exportateur de Panamas. Premier choc en arrivant, le chapeau est sur toutes les têtes, des femmes surtout. A Montecristi il était presque exclusivement porté par des touristes. Ici il est un peu différent, plus haut et plus blanc. Ce n’est plus un produit de luxe, il peut s’acheter pour quelques euros. Lorsqu’il pleut, hommes et femmes emballent le chapeau dans un sac en plastique et continuent à le porter ainsi protégé. Toutes ces femmes qui descendent de la montagne vendre leurs légumes sur les trottoirs, savent-elles que le Panama sera un des accessoires de mode de l’été prochain, dixit les magazines féminins ?

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Nous cherchons les marchés de paille, on nous conseille un quartier au Nord de la ville. Nous finissons par repérer un petit rassemblement, dans un renfoncement d’immeuble, à l’arrière d’une camionnette. La meilleure paille est la plus fine et la plus blanche. Alors les femmes s’agenouillent et scrutent les brins, puis repartent avec de grandes tiges sous le bras. C’est aussi là qu’elles vendent leurs chapeaux terminés, souvent pour compléter leurs revenus des travaux agricoles. Carlos nous assure que sa paille est la moins chère. Il compte les brins, unos, dos, tres, quatro, … dix centimes le brin, il en faut environ six pour un chapeau. Juste derrière lui sa collègue jauge les chapeaux qu’on lui propose et en décide le prix, selon la finesse du travail. Les tresseuses se taisent en attendant le verdict. Les chapeaux s’amoncellent. Inachevés, ils ressemblent à des soleils.

Puis il faudra choisir, remonter sur la côte Ouest à la recherche des champs de paja toquilla, la matière première des Panamas, issue de feuilles de palmiers nains. Ou profiter des quelques jours qu’il nous reste pour découvrir l’Amazonie. Heureusement, dans la jungle, la paja toquilla pousse aussi. Ouf, nous l’aurons vu. Et avec elle, l’obsession ne faisait que démarrer. Maintenant dès que l’on voit des Panamas, sur la tête de Madonna au Malawi, ou sur les publicités dans le métro, on pense à Maria, et on se dit qu’elle n’imagine pas tout ça.

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