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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Charlotte VELUT – L’Iran, ce paradis touristique ignoré

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«Et surtout, fais attention à toi !»… Je me réveille avec cette phrase en tête. Il faut dire que ces quelques mots sont ceux que j’ai entendu le plus ces dernières vingt-quatre heures de février 2009. Bon c’est vrai, cette fois le choix de ma destination n’est pas commun : l’Iran en solo pendant un mois.

Ma mère cherche encore celui qui a bien pu me mettre cette idée en tête. En fait, tout est parti d’une question innocente posée lors d’un dîner : «et si on allait skier en Iran ?». Un mois plus tard, me voilà en gare ferroviaire de Damas prête à partir pour un mois d’aventure. «Oui, oui, le train pour Téhéran c’est bien celui-là» m’indique avec un large sourire le chef de quai. «Cela fait vingt-cinq ans qu’il fonctionne.» Avec ses vitres troublées par la poussière et sa peinture écaillée, l’engin qui se trouve devant moi ressemble plus à un train fantôme qu’à un moyen de transport prêt à parcourir quelques milliers de kilomètres.

Trois jours de trajet, et une rencontre: Minah, devenue mon hôte à Téhéran après une brève conversation plus proche de la séance de mime que de l’échange approfondi. A la descente du train une jeune fille au visage sculptural, la fille de Minah nous accueille: «hello, I’m Marjan, come.» Dans le bus, j’entre dans la partie réservée aux hommes. Rappel à l’ordre amusé de mes hôtes. Un sourire embarrassé en guise d’excuse, je recommence ma montée, du bon côté cette fois. Dans la capitale iranienne, bus et métro possèdent une section spécifique pour les femmes.
Téhéran chez l’habitant

Je passe mes trois jours à Téhéran au côté de Marjan de un an mon aînée. Mon programme : le sien. Je veux expérimenter le «avoir 23 ans à Téhéran.» Première surprise, la séquence maquillage, rituel immuable avant chaque sortie. «C’est interdit» me confie la jeune fille le regard amusé, «mais je le fais quand même» et je ne vais pas tarder à découvrir qu’elle n’est pas la seule. Dans les rues, foulards placés au milieu de la tête font concurrence aux tchadors. J’ai opté pour la sobriété : pardessus en laine gris et hijab noir. Seul impair, côté soulier. Les bottes en cuir au dessus du jean, ça ne passe pas ! Je bataille avec mon slim pour dissimuler les épais rebords de mes chaussures. Autre scène surprenante, à la sortie du centre commercial cette fois. Sans prévenir, Marjan m’agrippe la main et me tire vers elle. Elle presse le pas, réajuste son hijab et se frotte les yeux pour enlever son maquillage. «Regarde discrètement derrière toi. Tu vois la camionnette blanche avec la bande verte? C’est la police des mœurs, les Bassijis. Ils sont chargés de vérifier le respect du code vestimentaire islamique. S’ils me voient comme ça, je risque un séjour derrière les barreaux.» Impossible de savoir si le danger est réel, aucune connaissance de Marjan n’a effectué de séjour derrière les barreaux. Cependant le comportement craintif de la jeune fille à la simple vision de cette voiture siglée est intrigant.
L’impertinence des hauteurs

Pour s’échapper d’Iran pas la peine de traverser de frontière. Confortablement installée sur le siège passager d’une voiture de maintenance des routes, je grimpe vers les sommets. 2700 mètres d’altitude, Dizin. En plus d’être réputé pour la qualité de son enneigement, l’endroit est connu pour être un îlot de vie où les mœurs sont plus libérées que dans le reste du pays. Sur les pistes, les bonnets remplacent les hijabs et découvrent la chevelure des jeunes filles. En terrasse, les bières sont consommées sans complexe. Au déjeuner une créature extravagante s’avance vers moi: «tu veux venir à une soirée privée ? Il y aura de l’alcool», glisse-t-elle la voix basse et le regard enjoué. Je me revois soudain à ce fameux dîner en train d’imaginer les pentes enneigées iraniennes, très loin d’anticiper le vent de liberté qui souffle sur les hauteurs. Jolie perturbation, prometteuse pour le reste de ma pérégrination.
Délire onirique

Mosquée de l’imam, mosquée du vendredi, pont au trente-trois arches, palais Chehel Sotun, bazar; Ispahan restera la ville aux mille visites, mais aussi la ville «au Café.» L’endroit m’avait été recommandé par l’ami d’un ami d’une amie. Un «à ne pas manquer» inscrit en lettre capitale sur un vieux bristol, suivi de ces indications : sur la place de l’imam, tourner le dos à la mosquée et marcher en direction de l’angle nord est. Prendre l’une des trois allées qui se trouve devant vous et s’aventurer sur une quinzaine de mètres. Sur la droite une pancarte indique un coffee shop. Entrer. Apprécier. Le lieu semble tout droit sorti d’un délire onirique. Des centaines de lampes et de théières sont accrochées au plafond. La première partie est mixte, le fond de la salle séparé par un rideau en perles colorées est réservé aux hommes. Ici même régime pour tout le monde et c’est délicieux. Soupe d’un côté, légumes et viande de l’autre, le tout accompagné d’un consistant morceau de pain. Je profite de cette parenthèse culinaire pour souligner la qualité de la nourriture iranienne. Vingt-huit jours de voyage, pas un mal d’estomac. Des souvenirs mémorables comme le kashke bademjan, une purée d’aubergines agrémentée d’un soupçon de crème et de menthe, et des découvertes originales. La plus marquante reste le hamburger de chameau de Yazd, savoureux et pas vraiment différent du bœuf !

Réjouissance gustative, visuelle et sensitive; Yazd titille les sens du visiteur. Si chacun est bien différent, en arrivant dans la ville, tous s’interrogent devant les drôles d’excroissances rectangulaires qui ont poussé sur les toits. Appelées Badgirs, ces constructions recueillent le moindre souffle de vent et l’envoient dans la maison. Début février, la température frôle les 20°C au petit matin. Le dos chauffé par les rayons du soleil, je déambule au milieu des ruelles, envoûtée par la douce teinte miel des habitations de terre cuite. Demain, dix-huitième jour de voyage, neuvième trajet en bus, dernière étape.
Le Golfe persique, cet autre Iran

Pendant les derniers kilomètres, je n’ai pu m’empêcher de guetter la mer. Les montagnes d’argile m’ont abandonnée à quelques mètres de la Grande Bleue. Je m’empresse de descendre du bus, les membres endoloris par les neuf heures de trajet. Une délicate odeur iodée envahit mes narines, je suis bien au bord de l’eau ! L’originalité de Bandar Abbas est son bazar, véritable régal pour le vagabond lassé des femmes en noir. Ici, la mode est à la tunique chatoyante, tchador coloré et pantalon bouffant. Une parure légère qui permet aux femmes du Golfe de respecter le code vestimentaire islamique en dépit des températures torrides qui s’abattent sur la région. En me promenant le long du bord de mer, je ressens une certaine décontraction. Un jeune garçon se déhanche sur les rythmes technos des enceintes de sa voiture sans se soucier des policiers à quelques mètres de lui. On est loin des rues de Téhéran et de ses jeunes sous pression.
Ile aux trésors

Les mains calées sous le menton, j’essaie de maintenir mon foulard sur la tête malgré l’air qui s’engouffre dans le 4×4. Mon guide me supplie de fermer la fenêtre, je fais la sourde oreille. Je suis à une heure de bateau de la côte iranienne, mais je me sens dans un autre pays. Un instant dans la pampa africaine, terre jaune brûlée par le soleil et arbre plat, je me retrouve ensuite au milieu de pics dentelés. Vision lunaire. La côte est ourlée d’une plage désertique. Par moment, de petites criques viennent interrompre cette immense bande de sable. En fin de matinée, la température atteint les 28°C, foulard plaqué sur la tête, jean collé à la peau, je ne résiste pas à l’envie d’aller goûter l’eau. Je retire mes chaussures, geste théoriquement interdit devant un homme qui n’est ni mon mari, ni de ma famille. Et puis zut, ce ne sont pas deux orteils qui vont m’envoyer en prison !

Dernier matin 6h37, je saute dans un taxi direction le port. En attendant le bateau qui m’emmène à Dubaï, je repense à ce mois passé en Iran. C’est surtout des images qui me viennent à l’esprit. Celles de ces femmes soumises au même code vestimentaire et pourtant si différentes d’une rue, d’une ville, d’une région à l’autre, des couples qui crient leur amour au moyen d’un regard. Souvenirs de ces interminables files d’attente devant chaque marchand de pain, des «hello, welcome» furtifs des enfants qui préfèrent s’enfuir sitôt ces quelques mots prononcés comme effrayés par la réponse que je pourrais apporter. Image d’un pays sincèrement fier de ses touristes. Perdue dans mes rêveries, je croise le regard d’un ancien accroupi sur le trottoir. L’homme d’une élégance simple esquisse un sourire et me fait un signe d’approbation de la tête que je traduis par un «bon voyage.» Ici, le touriste a la cote. Hier, un père de famille m’a félicitée : «vous êtes Française ? Bravo ! Je suis content.»
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