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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Juliette MONTESSE – Beograd follies

Photos : CC WATCHSMART

Photos : CC WATCHSMART

Budapest, un matin d’avril: l’express Avala qui nous emmène vers Belgrade entre en gare et devant son incontestable modernité, on se prend un instant à rêver aux bons vieux trains du passé, Orient-Express et intrigues de couloir, bridge et brandy du soir…

En France, une bonne âme nous avait prévenus : «Sept heures de train ? Ah, la traversée du nord du pays, c’est morne ! Rien à voir !». Plus tard, à l’annonce de notre destination, un New-Yorkais manifestement peu au fait des évolutions récentes du monde moderne nous mit en garde contre «ces gars qui vous chloroforment pour vous piquer vos organes, hop, comme ça». La cellule de veille du Quai d’Orsay, quant à elle, se contentait d’un laconique : «il est recommandé aux ressortissants français, jusqu’à nouvel ordre, de surseoir à tout déplacement dans ce pays qui ne serait pas justifié par des raisons professionnelles ou familiales impératives». Dans de telles conditions, les bons vieux albums des aventures de Tintin s’imposent facilement à l’esprit, mais c’est en Serbie que nous allons, et non en Syldavie.

Keleti Palyaudvar, Budapest, un matin d’avril : l’express Avala qui nous emmène vers Belgrade entre en gare et devant son incontestable modernité, on se prend un instant à rêver aux bons vieux trains du passé, Orient- Express et intrigues de couloir, bridge et brandy du soir. Mais non : l’express international traverse en une demi-journée la grande plaine de Pannonie, et si Hercule Poirot n’est pas dans les parages, le voyage n’en reste pas moins truffé de détails insolites. Impressionnant gang de contrôleurs serbes à la frontière –«Subotica», disent les tampons sur nos passeports-, course bondissante d’un hippie vers l’arrière du train dans l’espoir d’apercevoir l’emblématique panneau «Republika Srbija» : pour le brandy, on repassera, mais déjà le dépaysement est là. Sur les voies, des gamins jouent dans l’herbe de Vojvodine chauffée par le soleil et parsemée du jaune des fleurs de printemps. Surprise, deux hommes en costard marine palabrent entre les rails, au milieu de nulle part ; pas de quoi s’étonner outre mesure : après tout, nous sommes au pays d’Emir Kusturica. De temps en temps, on remarque une étoile rouge au dessus du nom de la station par laquelle nous passons. Et puis, vision fugitive: arrosoirs et saladiers colorés sont suspendus dans un arbre mort. Brillant. Enfin vient le crépuscule et la campagne serbe prend des allures glauques, mais bientôt nous apercevons les lumières de Novi Beograd. En dessous de nous, un énorme feu de bois allumé dans un bidonville éclaire la nuit noire.
« Velcome to Belgrrrède ! »

Belgrade, Beo-grad, la «cité blanche» : nous y sommes ! Les taxis stationnés devant la gare sont trop chers, nous a-t-on dit, «prenez-en plutôt un dans la rue! ». Les engageantes voitures que nous abordons étant déjà prises, nous nous rabattons sur un véhicule plus bringuebalant : le chauffeur maîtrise l’anglais quand cela l’arrange, réalise de tortueux détours pour grappiller quelques dinars, et fait preuve d’une maîtrise du code de la route toute relative. On se demande si c’est l’absence de ceinture de sécurité du tacot ou la frénésie zig-zaguante de son chauffeur qui nous coûtera la vie, mais miracle, nous arrivons entiers à notre destination : un building où nous attend notre hôte, P., contacté via le site CouchSurfing.com. P., 33 ans, truculent personnage, inoubliable dans son genre, nous gratifie d’un superbe «Velcome to Belgrrrède !». Nous posons nos sacs chez lui pour quelques jours et apprenons à trinquer : Z_iveli ! (santé !).

«Belgrade ne dort jamais», nous dit-il dans un anglais mâtiné d’accent serbe. Véridique, mais quels contrastes ! D’un côté, le clinquant : Knez Mihajlova et ses boutiques de haut standing, le look des jeunes dans la rue. «Les filles ici sont si belles qu’aucun Serbe ne peut être gay», ajoute P. avec force grands gestes. Très discutable, même si la prééminence du «fashion» chez les 20-30 ans est flagrante. De l’autre côté, moins glamour : Belgrade est une jungle urbaine ; pollution forte, voitures indisciplinées, embouteillages monstres, imposants et sales buildings de l’époque titiste. Josip Broz a été remisé au placard depuis longtemps –son mausolée est à l’extérieur de la ville, mais il subsiste dans la capitale serbe une sorte de grandeur décadente qui impressionne durablement. Belgrade, ville folle? Sans aucun doute. Ville underground, aussi. En ce début avril, la question de l’Eurovision 2008 est sur toutes les lèvres. On nous parle à tout-va de la vie culturelle bouillonnante de la métropole des Balkans : studios d’enregistrement en plein essor, festivals de musique, etc. : Beograd n’a rien à envier à une quelconque capitale occidentale –sauf peut-être les capitaux.
« No photos ! »

L’Eurovision partage le titre de Grand Sujet de Débat du Moment avec une autre échéance, plus sérieuse celle-ci : les législatives du 11 mai, opposant la classe politique non pas sur la question du Kosovo – la condamnation de son indépendance est unanime- mais sur celle du rapprochement ou non de l’Union Européenne. Au café du Tsar Russe, institution locale (1890), un portait de Vladimir Poutine nous rappelle qu’ici, certains ne seraient pas mécontents de se tourner vers Moscou plutôt que vers Bruxelles. Ce sont finalement les pro-européens qui remporteront l’élection. «Les jeunes se sentent proches de l’Europe», nous dit P., «c’est pas le cas des vieux, ils sont plus sceptiques les vieux». Il ne faudrait pas pour autant en conclure que la jeunesse serbe cultive une admiration forcenée envers l’occident. A l’évocation du gouvernement américain, la réponse est souvent la même : «putain de connards impérialistes, ils nous ont bombardés, comment tu veux qu’on les aime bien après ça ? Je suis pas contre les Américains eux- mêmes, mais leurs dirigeants, bah…».

«Ils», c’est en fait l’OTAN, qui en 1999 bombarda les points stratégiques de Belgrade pour faire plier Milosevic : QG de l’armée et de la police, ministère de la défense, ministère de l’intérieur ont été éventrés par des bombes. Sur place, on vole quelques clichés avant qu’un militaire fasse signe : «no photos». Il secoue la tête à notre «speak english ?». Dommage, on aurait voulu savoir pourquoi les bâtiments fantômes sont toujours sur Ulica Kneza Milosa. P., qui a quitté le pays dès le début des bombardements, nous explique finalement qu’il s’agit d’un manque de moyens ; impossible de mettre à terre les carcasses des buildings avant d’avoir fait exploser les bombes qui risquent encore de s’y trouver.

L’ambassade des Etats-Unis, qui avait fait les frais des émeutes consécutives à l’indépendance du Kosovo en février, est partiellement rouverte, et fortement surveillée. La ville elle-même est globalement très fliquée, policiers ou militaires étant même stationnés devant certaines banques. Pour obtenir une autorisation de séjour, nous devions aller nous déclarer au commissariat le plus proche avec notre hôte, mais devant le refus de celui-ci («ici, on n’aime pas beaucoup les flics») nous devrons nous passer du sésame en question, ce qui en fin de compte ne posera que peu de problèmes aux douaniers du train retour.
Le «club des adorateurs du Danube»

Relativement peu de touristes alentour, mais ce n’est pas dans le centre ville que nous trouverons la véritable Serbie. Direction Zemun, donc. Autrefois une ville distincte de Belgrade, Zemun y est officiellement rattachée depuis 1945 mais conserve toujours une atmosphère très villageoise, du moins dans le Vieux Zemun. Nous entrons dans ce qui n’est guère plus qu’une cabane de pêcheurs sur les rives du Danube –rien à voir avec le Danube tel qu’on le trouve à Budapest, par exemple ; à Zemun, la rivière, c’est sacré. A l’intérieur, un club très fermé, où chacun se connait. Pêcheurs et propriétaires de petites barques, le teint hâlé, ôtent leur veste dégoulinante de pluie et s’installent autour d’un jeu de dominos sur les tables rustiques. «Ici, c’est le club des adorateurs du Danube !», lance P. en riant. «On vient de décider de ne plus intégrer de nouveaux membres jusqu’à nouvel ordre». Une vieille femme nous sert du café turc et une soupe de poisson du cru. Excellent.

Difficile de réaliser que le vrombissant centre de Beograd n’est qu’à quelques kilomètres. Plus tard, c’est dans la Coccinelle aux forts relents d’essence de Vlad –un ami de P.- que nous irons chercher du scsevap csicsa, exquise saucisse cuisinée. Tapes dans le dos, high five, insatiable curiosité ; la joie de vivre serbe, c’est quelque chose. Et puis, le Serbe possède l’art du business instantané ; de retour d’un match entre l’Etoile Rouge de Belgrade et le Partizan, P. annonce : «je viens de me faire 7000 euros en une soirée ; c’est pas mal». Pas mal du tout, en effet. Mais il est cinq heures du matin, l’heure de retourner aux guichets défoncés de la gare de Beograd et de quitter les Balkans. A la frontière hongroise, nous revoilà dans l’espace Schengen : la fouille du train est interminable, et il fait trop chaud. Alors, on se prend à penser à la Jelen Pivo, achetée à la pinte pour à peine 200 dinars vers la forteresse de Kalemegdan, sur les bords de la Sava. Allez, Ziiveli, et à bientôt.