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Association pour l'aide aux jeunes auteurs

Anne-Laure BOVERON – Underground

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Paris, Gare de Lyon. Loin du ciel de mai, sous des tonnes de bitume, le métro déroule ses deux cents treize kilomètres de rails, mobilise ses quarante quatre mille employés et charrie ses cinq millions d’usagers journaliers…

Depuis le 19 juillet 1900, date de l’inauguration de la première ligne Porte de Vincennes / Porte Maillot, les entrailles de la capitale fourmillent…

Fulgence Bienvenüe, ingénieur des Ponts et Chaussées, n’avait sans doute pas envisagé le futur succès de sa création. Aujourd’hui, le réseau compte seize chemins de fer métropolitain, cinq RER et deux cents quatre vingt dix huit stations.

A première vue, cet univers semble hostile. Une odeur métallique, graisseuse flotte dans l’atmosphère. L’air, trop peu renouvelé, irrite la gorge. Les néons exsangues peinent à dissiper la grisaille ambiante. Des touristes s’agglutinent devant le plan mural estampillé Ratp. Rompus aux transports en commun les Parisiens flirtent avec l’autisme. Espérer attirer leur attention à coup d’ « excusez-moi … » s’avère utopique. Ils marchent vite, et refusent tout échange d’un geste de la main. Ils n’ont le temps de rien. Et surtout pas de renseigner les vacanciers sortis de leur campagne ou venus du bout du monde. C’est là tout le paradoxe du métro. Dans ce monde de ferraille et de goudron, l’homme parait noyé, oublié, désincarné. Il occupe en fait toute la place. Cette mécanique complexe fonctionne pour et par lui.

L’humanité, elle, n’a pas déserté. Effarouchée, elle se fait seulement plus discrète. Une simple observation suffit à la déceler.

D’escaliers en couloirs, sous la dalle de béton de la gare, voilà le métro Porte de Vincennes /La Défense, dit des touristes et des hommes d’affaires. Il doit sa popularité et sa massive fréquentation aux sites et à l’important bassin d’emploi qu’il dessert. Une foule compacte s’agglutine dans le moindre espace. L’oxygène manque. Un homme, en silence, s’écroule. Certains râlent, car sa chute perturbe l’équilibre précaire des corps compressés. D’autres n’ont tout simplement rien vu. A St Paul, les deux hommes qui maintenaient l’inconnu évanoui, le hissent sur le quai. Alors que le métro reprend déjà sa course, des agents de la Ratp dans leurs seyantes tenues verte, apparaissent, s’agenouillent aux côtés du malade. Néanmoins, « à ce jour il n’y a pas d’équipe formée au secourisme. Ces incidents sont pris en charge par les pompiers ou le Samu, qui interviennent rapidement lorsque nous les sollicitons. » explique le service de communication de la Ratp.

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Il fait chaud. Lourd. La moiteur du printemps transperce les murs. Les passagers agacés s’empressent de sortir du wagon. Un homme en costume court dans le souterrain de l’Hôtel de Ville, entre la ligne 1 et 11. Son trench flotte derrière lui. Des relents d’urine et de poubelles emplissent la galerie. Les échos de discussions des voyageurs résonnent. Sur la plate-forme d’embarquement, des adolescentes piaillent et dansent. Elles font fi du métro qui arrive, autant que des limites de sécurité rappelées par la bande podotactile. Estimées à une centaine par an, les tentatives de suicide sont la hantise des conducteurs. Quand les micros crachent « suite à un accident grave de voyageur… », le trafic s’interrompt. « Des usagers se moquent de la pudeur de l’annonce ou la jugent hypocrite. Il ne s’agit pas de taire la nature du problème, en fait nous n’avons pas le choix des termes du message. Parler de suicide, par exemple, n’est pas de notre ressort. C’est une conclusion qui appartient à la police, après enquête. » clarifie encore l’employé de la communication.

D’une station à l’autre, d’immenses publicités colorent les murs bardés de carreaux de grès blanc biseautés de 7,5×15 cm. Fabriqués par la faïencerie Boulenger dès la fin du XIXe siècle, ils devaient compenser la faible luminosité des lieux. Aujourd’hui, ce carrelage symbolise le métro parisien, tout comme les vestiges de décoration Art Nouveau ou le lapin apparu dans les années 80 pour avertir les enfants des dangers des portes automatiques. Sur le site Promo Métro ou dans l’unique boutique de produits dérivés de la Ratp (installée à Châtelet) textiles et montres rendent à présent hommage au léporidé habillé de jaune. Si certains arrêts du parcours ont du caractère, tel Arts et Métiers intégralement recouvert de cuivre, d’autres sont plutôt surannés voire glauques. Ces animations visuelles semblent être une parade à l’ennui. De plus, en tant qu’entreprise, la Ratp ne peut se soustraire, sous peine d’assignation en justice, au principe de liberté d’affichage. Des lois qui font le bonheur des régies publicitaires comme Métrobus, qui facture aux annonceurs 67 400€ la semaine d’affichage de cent trente publicités 4x3m sur les quais parisiens. Cependant le sentiment de matraquage gagne. Les publicités pullulent. Certaines ont été tagués par des commandos anti-pub. Mais, assoupis, absorbés par les informations d’un gratuit ou leurs conversations téléphoniques, les habitués n’ont que peu de considération, tant pour les publicités que pour les hommes étendus entre les fauteuils.

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Les habitants du métro patientent là pourtant, en compagnie d’amis d’infortune ou d’une bouteille. A quelques pas d’un groupe, par terre, à l’abri des courants d’airs, un homme dort. Pieds nus, allongé sur un carton éventré. Près de lui, quelqu’un a déposé un paquet de gâteaux. Brusquement, un SDF hurle. Dans le wagon personne n’a sursauté. Peu tourne la tête vers les portes qui se referment. L’adolescent qui écoute son rap si fort que tout le monde en profite, n’a pas cillé. Méthodiquement, il avale son sandwich à l’odeur nauséabonde par cette la chaleur. Indifférent à ceux qui l’entoure. Insensible aux larmes de sa voisine comme à l’âcre effluve de transpiration qui prolifère. Il est dans sa bulle.

Le métro stoppe déjà à Belleville, quartier chinois de Paris, où chaque année transite près de onze millions de voyageurs. Les horaires sont précis. Il faut « faire l’heure » dit-on dans le métier. Un train toutes les trois minutes en moyenne sur la ligne 11, classée comme secondaire à cause de sa faible fréquentation. Une masse se presse contre les portes. Évacuer le train, vite, et sans tomber. Les coups de freins des conducteurs sont parfois traîtres. Les personnes âgées en savent quelque chose. Certains usagers sortent, d’autres gagnent la ligne 2, au bout du couloir.

Tee-shirt orange, bermuda kaki, lunettes de soleil, un homme marche en chantonnant et grattant sa guitare. Il ne porte pas le badge délivré deux fois par an par l’Espace Métro Accord, qui gère depuis dix ans les musiciens du réseau. Les cinquante euros d’amende qu’il risque à jouer frauduleusement, ne l’effrayent visiblement pas. Pour Mme Sainson, membre de l’EMA « Les auditions garantissent, pour la clientèle, la qualité des prestations proposées. » Et de préciser que «les artistes accrédités ne perçoivent pas de salaire, n’ont pas le statut d’agent de la Ratp. La mendicité et le commerce étant interdits, vente de CD et quête sont proscrites. Les pièces offertes par des voyageurs sont assimilés à des pourboires, et donc consenties. » Antoine, jeune labellisé estime ses revenus à « 10€/h, en moyenne. Mais cela varie beaucoup selon le passage, le public, le style musical aussi. La variété marche toujours. A Concorde, il faut réserver sa place le matin pour la journée tant le lieu est rentable, surtout grâce aux touristes fortunés du quartier. C’est une chasse gardée. L’avantage du métro c’est la liberté : on joue autant que l’on veut. Enfin, tant que l’on peut. C’est assez fatiguant, stressant, surtout dans les grandes stations. » Informaticien en congé sabbatique, Antoine détaille ses aventures souterraines sur son blog supertonin.canalblog.com. C’est donc avant tout la confrontation au public que recherche ces passionnés. Néanmoins, les plus anciens accrédités et les groupes feraient recette de cette activité. Et la gloire peut surgir ! Souchon, Ben Harper ou Higelin ont débuté dans le métro.

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Une lumière crue s’abat sur les voyageurs groggy. Le métro a troqué les tunnels pour les viaducs. La ligne 2, Nation / Porte Dauphine est, avec la 6, une des principales voies aériennes du réseau. Le spectacle, inattendu, séduit. Du fond des moelleuses banquettes de la rame, les usagers contemplent les rues, le canal de l’Ourq entre Jaurès et Stalingrad, les rails de la Gare du Nord, les façades délabrées du XVIIIe arrondissement, les magasins chamarrés de Barbès… Une femme gigote sur son siège pour voir le Sacré Cœur que son mari vient de lui signaler entre deux immeubles. Mais il est trop tard. Le métro a déjà replongé sous terre, et marque l’arrêt à Anvers. Un choc que la vivacité du mobilier jaune n’amoindrit pas. La respiration aura été de courte durée. Les voyageurs retrouvent d’emblée leur bestialité, leur mutisme.

Un tunnel, et enfin, le terminus d’une partie des usagers. Blanche, la station du Moulin Rouge et l’espoir de l’air fais, là haut, à la surface. Dire que bientôt, peut-être, tous les provinciaux qui s’installent à Paris, initialement enclins à dire bonjour, s’extasier et s’excuser d’avoir écrasé le pied d’un passager, deviendront ainsi. Pressés, sûrs de leur parcours, les oreilles colmatées à la musique, un roman en main, blasés ou imperméables à la vie grouillante du métro, à son théâtre tantôt tendre tantôt dérangeant ou ahurissant, à ses mille beautés, totalement désintéressés du sort de son voisin de strapontin.